Aujourd’hui le soleil avait brillé toute la journée. Valadrian s’était levé deux heures à peine avant que l’obscurité n’envahisse les rues de la ville. Un peu pressé par le temps, il ne prit pas la peine de prendre une douche. Il aurait tout le temps de le faire à son retour. Il enfila rapidement un bas de training et ses chaussures de courses. Valadrian jouissait de privilèges incroyables pour une personne de son rang. Il sorti de ses appartements, prenant soin de ne pas faire de bruit en refermant la porte. Bien sûr, Valadrian était reconnaissant de sa condition, mais il n’aimait pas particulièrement étaler sa chance sous le nez des autres esclaves. La simple idée de ce que subissaient ses camarades le terrifiait. Lui n’avait jamais subi le moindre mauvais traitement. Oui, certains membres de la famille royale s’amusaient avec ses nerfs, mais aucun d’eux n’étaient autorisé à lever ou à poser la main sur lui. Certains des Bridgestone ne manquaient pas une occasion de lui faire sentir qu’il n’était pas à sa place, qu’ils rêvaient de lui flanquer une bonne correction ou de le torturer jusqu’à ce que mort s’en suive. Alors oui, Valadrian appréciait sa maîtresse, il appréciait qu’elle ne le considère pas comme un moins que rien.

Dehors le soleil brillait toujours, mais bientôt plus longtemps. Valadrian sorti de l’enceinte du palais en marchant sans précipitation. Les yeux clos, il savourait la sensation de sa peau qui se réchauffait sa peau lentement. Une fois à l’extérieur du domaine, il se mit à courir en direction de la plage, sans passer par la ville. La course, au quotidien, était son moment d’évasion, il aimait se retrouver seul, loin de tout. Il n’avait pas vraiment besoin de se vider la tête. Quand on y pensait, son quotidien n’était de loin pas insupportable. Il appréciait tout simplement pouvoir être lui-même sans être sondé en permanence. Quand on vit entouré de vampires, il faut savoir renoncer à une certaine part d’intimité. Ces créatures entendent les battements de votre cœur, votre respiration. Ils leur est facile de savoir s’ils vous déstabilisent, vous effraient ou vous charme. Seul il n’avait pas besoin de se contrôler ou de tenter de contrôler sa respiration. Valadrian manqua de justesse de mettre les pieds dans l’eau. Perdu dans ses pensées il n’avait pris garde que sa trajectoire avait dévié. Un mauvais souvenir lui traversa l’esprit. Il accéléra le pas. Au bout d’une vingtaine de minutes de courses il s’arrêta et s’assit sur le sable chaud. Les bras autour de ses genoux il contempla l’océan, qui s’étendait à perte de vue. Il se demandait comment c’était « là-bas ». A quoi ressemblerait sa vie, ailleurs. Aujourd’hui Valadrian était âgé de 24 ans, il avait passé la moitié de sa vie sur l’ile. Avant ses douze ans, ses souvenirs sont très flous. Il s’amusait souvent à imaginer quel métier il pourrait bien exercer, où il serait en train de vivre, serait-il déjà marier ou non. Penser à tout cela était un moyen de s’évader un peu, même si cela l’attristait.

Ressasser les quelques souvenirs de son enfance dont il se souvient, imaginer un hypothétique futur en dehors de l’ile lui avait fait perdre le fil du temps. Le ciel d’était assombri. Il ne devait rester qu’une demi-heure avant que le soleil ne se couche et que l’on y voie pas plus loin que le bout de son nez. Les battements du cœur de Valadrian accélérèrent légèrement. Il n’aimait pas être sur la plage, proche de la jungle lorsque la nuit tombait. Il se remit à courir. Il courait à un rythme normal, comme pour se persuader que rien ne pouvait lui arriver, qu’il se comportait comme un enfant tétanisé à l’idée qu’un monstre se cache sous son lit. L’ile était peuplée de monstre, mais tous ne lui voulaient pas de mal, ou ne l’osaient tout simplement pas. Un bruit se fit entendre sur le côté, il tourna vivement la tête. Puis la secoua, se persuadant que ce n’était rien. Il réentendit le même bruit, un peu plus proche. Il se stoppa net, incapable de bouger. Il ne contrôlait plus ses jambes qui refusaient d’avancer. Il fixait le rivage, à l’affut du moindre geste. Un flash apparut devant ses yeux…

Il faisait nuit. Ils avaient marchés toute la journée sans trouver d’endroit où se réfugier. Le père de Valadrian était persuadé qu’en continuant de marcher ils trouveraient un endroit sûr où s’abriter. Cette ile ne pouvait pas être occupée uniquement par des créatures de la nuit. C’était impossible. Cela ne pouvait pas leur arriver à eux. A l’extérieur de la jungle la luminosité était suffisante pour s’orienter. Seuls quelques rayons de soleil filtraient au travers des épaisses feuilles de ses gigantesques arbres. Bientôt l’obscurité les envelopperait et ils seraient tous extrêmement en danger. Le père attrapa sa femme et son fils par la main, les forçant à accélérer le pas une dernière fois. Il faisait de plus en plus noir. Se diriger parmi les troncs qui jonchaient le sol et les branches devenait très difficile. Le silence les entourait. Ce qui se voulait être une bonne nouvelle. Tant que le silence régnait, ils étaient en sécurité. Aucune de ses créatures ne les suivaient. Le cœur de Valadrian battait la chamade. Un petit enfant qui se retrouvait dans son pire cauchemar. Cette fois-ci il savait que le danger était réel, même son père avait peur. Un homme grand et fort qui tremblait de peur, cela terrorisait Valadrian. Tout à coup son père s’arrêta de marcher. La tension monta d’un cran. Il se remit à marcher quelques pas, avant de s’arrêter à nouveau. Les nerfs à fleur de peau, le moindre petit bruit suspect suffisait à ce que l’esprit s’imagine les pires horreurs. Pourtant, il n’y avait rien. Ils étaient seuls, tous les trois. Ils se remirent en marche, pressant le pas le plus possible. Valadrian se prit le pied dans une branche et trébucha. A plat vendre sur le sol il n’osait plus bouger. Terrifié il appelait ses parents à l’aide. De petits gémissements parvinrent aux oreilles ses géniteurs. Valadrian avait retenu la leçon de son père : ne jamais crier pour ne pas attirer l’attention. Il se devait de rester discret et de ne pas paniquer. Il attendit que son père vienne lui prendre la main pour l’aider à se relever. Il entendit des bruits de feuillage qui bouge, se rapprocher, de plus en plus, qui provenaient de sa gauche et de sa droite. Une fraction de seconde plus tard deux monstres sautèrent sur ses parents. Pris de panique il oublia la règle que son père lui avait enseignée et se mit à crier. Ses parents hurlaient. Valadrian réussit tout de même à discerner quelques paroles. Ils lui ordonnaient de courir…

Sorti de ses pensées en sursaut, Valadrian se remit à courir. Régulièrement il avait des flashbacks qui lui sautaient au visage, sans crier gare. Il courait le plus rapidement possible, pressé de rejoindre le palais. Plus il accélérait le mouvement, plus il avait l’impression de s’éloigner du palais. Le trajet lui paraissait interminable. Il parvint tout de même à regagner ses appartements. Il avait traversé les couloirs comme une furie, manquant de renverser quelques esclaves au passage. Ruisselant de sueur, cette fois-ci il claqua la porte sans ménagement. Il concentra ses derniers efforts pour regagner son lit, sur lequel il s’entendit. Il resta immobile quelques minutes, le temps de reprendre son souffle et de se clamer avant d’aller prendre une douche. Sans s’en rendre compte, il s’assoupit.

Valadrian courait aussi vite que ses petites jambes pouvaient le porter. Il ne pouvait pas s’empêcher de crier et de pleurer. Il savait que ses parents ne s’en sortiraient pas. Que jamais plus il ne les reverrait. En prenant cet avion il avait tout perdu, tout. Toute sa famille avait péri durant ce voyage maudit. A commencer par sa sœur cadette, lors du crash. Elle a tout de suite disparu de leur vue. Elle non plus il ne la reverrait jamais. Désorienté, Valadrian ne savait pas dans quelle direction aller, il continua de courir tout droit. Son cœur battait à tout rompre, il se découvrait lui-même des ressources cachées. Avec de la chance, les vampires ne souciaient pas d’un humain aussi petit. Il ne suffirait pas à les rassasier, pensa-t-il pour se rassurer, mais il avait parlé trop tôt. Les créatures nocturnes étaient déjà à ses trousses, s’amusant successivement à se rapprocher puis s’éloigner de lui. La panique manquait de l’étouffer. Lui non plus ne s’en sortirait jamais vivant. Il en avait conscience, il continuait pourtant de courir. Ses nerfs étaient mis à rude épreuve, il savait qu’il allait périr dans d’atroces souffrances, l’attente de ce moment fatidique le torturait. Tout à coup il percuta quelque chose, ou quelqu’un. Il tomba à la renverse et s’écrasa violemment à terre. Une femme, dressée devant lui. Valadrian ne parvenait pas à réfléchir. Il ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. Ses assaillants s’étaient stoppés net. Voyant la femme fondre sur les deux vampires, Valadrian ferma les yeux et se mit les mains sur les oreilles. Elle non plus ne s’en sortirait pas. Il en avait déjà trop vu et trop entendu. Il ne voulait pas que ça recommence. Toujours allongé sur le sol, il tremblait de tous ses membres. Il pensait à ses parents, à sa sœur. Bientôt il serait à leurs côtés. Il allait les rejoindre, ce n’était qu’une question de temps. Les cris avaient cessé. Il n’y avait plus que le silence. Il relâcha la pression que ses mains exerçaient sur ses oreilles. « Tu peux te relever. Viens. » Il entendit une voix douce et délicate, qui tentait de le rassurer. Doucement, il entrouvrit les paupières. La peur de ce qu’il allait découvrir lui retournait l’estomac. La femme, celle qu’il avait percutée quelques minutes au paravent, accroupie près de lui. Lentement, il ouvrit les yeux et libéra ses oreilles. Il faisait nuit, mais il parvenait tout de même à discerner les traits de son visage. Elle était belle. Valadrian s’assit, prudemment. La femme se releva. Au bout de quelques secondes il en fit de même. Il jeta un regard autour de lui, pour s’assurer que les vampires avait disparu. Il ouvrit grand la bouche et les yeux. Il se mit à crier et à courir dans la direction opposée de la femme. Elle était l’une des leurs. Il le su en voyant ses assaillants inanimés sur le sol. Elle allait s’occuper de lui maintenant, comme l’avait fait les deux autres. La femme ne le laissa pas faire et le rattrapa. Il voulait partir mais elle ne l’entendait pas de cette oreille. Elle le contraignit à la suivre. Dans un palais disait-elle. Elle jurait ne pas être comme eux, qu’elle, elle ne lui ferait aucun mal. Elle était belle. Et sa voix si douce. Valadrian hésita un long moment avant de la suivre.

Quelqu’un frappa à la porte. Etendu sur son lit, une jambe dans le vide, Valadrian manqua de justesse de tomber de son lit. Il attendit quelques secondes mais personne ne frappa à nouveau. Il s’assit sur le bord du matelas et se frotta le visage de ses mains. Il détestait ses visions. Elles lui rappelaient tant de mauvais souvenirs. Il préférait les ranger dans un coin de son esprit et les oublier définitivement. Hélas, il n’y parviendra probablement jamais. Le passé fini toujours par vous rattraper.