1603 – Une vieille maison, dans un village, au Danemark.
What have I become?. My sweetest friend. Everyone I know goes away in the end

« Tu le sais que tu vas crever dans ce trou infâme. Pourquoi refuser ma proposition ? » La voix appartenait à une ombre qui se déplaçait autour de lui, lui murmurant des paroles qu’il ne comprenait pas, parlant parfois dans une langue qui semblait aussi vieille que le monde. C’était la cinquième fois qu’elle venait en deux semaines. Deux semaines pendant lesquelles il avait agonisé, suppliant la mort de venir enfin l’achever. Rien. Devait-il lui même accélérer les choses ? Il y avait pensé, bien sur, on y songe toujours mais la façon… et le courage.  « La mort, la mort… c’est juste un mauvais moment à passer. Regarde-moi. HUGO ! » Il s’était un peu plus recroquevillé, ne formant plus qu’une toute petite masse dans ce lit qui menaçait de s’écrouler à tout moment. Toute cette pièce était sur le point d’imploser. « Tu n’as plus cinq ans. Quarante-quatre, c’est bien ça ? Ou peut-être un peu plus. » L’ombre était proche de lui, il pouvait sentir son souffle glacial dans son cou. L’homme frissonna de terreur. On l’avait averti pour la démence mais jamais il n’aurait pensé atteindre ce stade. Il sentit sa couverture glisser et bientôt, il n’eut plus rien pour le protéger de cette créature qui rodait autour de lui tel un vautour. « Je t’ai observé pendant des années. Tu sais, je ne choisis pas le premier venu, j’ai fait cette erreur une fois et c’était un imbécile, alors je l’ai tué. Mais toi… Rassures-toi, ton sort sera différent. » Les derniers mots sortirent l’homme de sa torpeur. Il osa enfin affronter la créature et le choc fut si violent qu’il manqua de s’effondrer une énième fois. Une femme. Il avait devant lui la plus exquise beauté qu’il n’ait jamais rencontré. Comment était-ce possible ? Encore une hallucination. « Je rêve. Je rêve. Te laisse pas avoir. C’est pas vrai. C’est pas vrai. Mourir. Mourir. » Les mots du médecin provoquèrent le rire de la femme. Elle posa la main sur son visage, l’obligeant une nouvelle fois à plonger ses yeux dans les siens. « Bon voyage » murmura t-elle mais il eut à peine le temps d’entendre ces mots. Elle venait de le mordre au cou ! Deux pointes si aiguisées que la douleur en était intenable. Il n’eut pas la force de se débattre, juste un hurlement qui se perdit. Il sentait la mort, elle était si proche de lui mais au moment même où elle l’effleura, celle-ci s’envola. La femme s’était agenouillée au pied de son lit, ses lèvres étaient ensanglantées et ses yeux, sa peau ! Elle n’était plus cet être cadavérique à la peau d’albâtre, sa peau avait repris une couleur chair, tandis que ses yeux étincelaient. La frayeur du pauvre homme était à son comble mais il ne pouvait rien faire. « Libérez-moi » Murmura t-il.


1779 – Angleterre
See the sin in your grin and the shape of your mouth. All I want is to see you in terrible pain

« Libère-moi ». Hurla t-il, tandis que son poing s’était abattu sur le bureau de la femme qui vola en éclat. Du verre, partout. Cela ne sembla pas la déranger car un sourire s’était glissé sur ses lèvres couleur carmin. « C’est amusant, je crois avoir déjà entendu ces mots. Tu t’en rappelles Ingvar ? » Il parvenait de moins en moins à contenir sa colère et c’est avec la volonté d’abattre Jane qu’il fonça sur elle afin de l’étrangler, de lui arracher sa langue de vipère. Mais celle-ci était bien plus rapide que lui, plus vieille, il le savait, et c’est pourquoi il se retrouva acculé contre le mur, la main de celle-ci enserrant son cou afin de l’immobiliser. « Ecoute-moi bien » murmura t-elle contre ses lèvres.

« Tu ne seras libre que lorsque je serais morte. Autrement dit… jamais ! » Le rire qu’elle laissa échapper suite à ses mots glaça le sang d’Ingvar. Il connaissait la démence de sa créatrice mais jamais il ne l’avait vu ainsi. La peur aurait du lui déchirer les entrailles comme depuis toutes ces années où il s’était soumis au moindre de ses caprices mais plus aujourd’hui. La peur s’était mêlée à la colère, formant alors un curieux et dangereux mélange. Il inversa les positions, cherchant à étouffer celle qui n’était plus humaine mais elle riait toujours. « Tu ne peux pas me tuer. Je suis immortelle, tu es immortel. Rien ne peut tuer un vampire. » Faux !

Une rage sourde grondait en lui, il n’arrivait pas à la contenir, si bien que sa main libre était prise de tressautements. Il n’avait encore jamais connu cette impression de perte de contrôle. C’était comme si le monstre tapis au fond de lui cherchait à remonter. Un cri plaintif lui échappa. Ce n’était plus seulement une question de rage mais aussi de douleur. Sa prise sur le cou de Jane se resserra nettement, si bien qu’elle n’était plus capable de s’enfuir. Sa force semblait s’être décuplée, à croire qu’il l’avait bridé pendant toutes ces années. Et la Folle qui ne riait plus, non, elle était inquiète, il aurait pu le lire dans ses yeux.  « Ingvar. Calme-toi. » Sa main effleura le visage du vampire mais celui-ci l’évita aussitôt. « Je sais comment te tuer… » Les mots n’étaient qu’un souffle tandis que ses lèvres embrassèrent le cou de la femme, profitant alors d’un dernier instant avant que ses crocs ne n’y plantent avec une violence qui n’était pas sienne. Il ne se contenta pas de la vider de son sang, il lui arracha la gorge jusqu’à celle qu’il ne reste que des petits bouts de chair.


– Londres
You'll be crying out in pain. Begging me to play my games

Le sang se déversait lentement dans sa gorge, se faufilant alors dans chacun de ses membres, emplissant son corps. La sensation était d’autant plus grisante quand il prenait son temps. Plus rien ne pouvait l’arrêter et pourtant, il sentit une présence derrière lui. Quelqu’un qui l’observait. Ingvar laissa tomber son repas au sol, faisant alors volte-face pour trouver le petit curieux. Il n’eut le temps de voir qu’un morceau de cape voltigeant à la suite de pas affolés. La créature ne couru pas derrière l’importun, elle se contenta de le suivre tout aussi lentement qu’il s’était nourri de la jeune femme. C’était un jeu de piste qui démarrait, une chasse, et il voulait en profiter au maximum. Il pouvait entendre son souffle irrégulier, et ses pas qui martelaient les pavés. Il n’apparut devant le curieux qu’au moment où celui-ci se retrouva dans une impasse. « Gagné » dit-il avec ce sourire caractéristique du chasseur heureux de sa prise. L’inconnu se faufila au plus loin de la rue, ce qui eut don de faire rire Ingvar. Même face à la mort, les humains espéraient toujours pouvoir s’en sortir, c’était… amusant. « Comment la curiosité est-elle punie par ici ? On vous tranche la main ? On vous retire un œil ? » Il avançait toujours aussi lentement, comme si il prenait le temps de mesurer l’effet de terreur qu’il avait sur son futur morceau de viande. Arrivé à la hauteur de l’imbécile, il lui arracha sa capuche qui dévoila une longue crinière rousse et des yeux bleutés. Le vampire fronça les sourcils sous la surprise. Lui qui s’attendait à trouver un garçon chétif, voilà qu’il venait de gagner une somptueuse petite personne.

« Que fait une demoiselle dans les rues de Londres à une heure pareille ? » L’inconnue se contenta de lui jeter un regard qui se voulait glacial mais Ingvar pu aisément y lire la peur qui l’animait. « Ah, tu as déjà perdu ta langue, comme c’est dommage. » Il s’était un peu plus rapproché d’elle, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus bouger. Ses doigts de marbre effleurèrent le cou de la jeune femme qui tenta de s’en détacher. « Lâchez-moi. J’ai rien fait » Il relâcha sa prise, s’écartant pour une distance dite raisonnable. « Pourquoi avoir fui ? » Sa voix s’était faite plus rauque, et ses yeux brillèrent d’une lueur indescriptible le temps d’une seconde. La précédente ne lui avait pas suffit. « Vous allez bien ? » osa t-elle lui demander, mi- inquiète, alors que celui qui se trouvait en face perdait peu à peu de ce qui lui restait d’humain. *Trop jeune. Innocente. Pas le droit. Pas le droit !*. Ses pensées devenaient de plus en plus confuses.

La créature disparue dans la nuit.

Trois jours plus tard, au même endroit.

« Je pensais que vous ne reviendriez pas. » La voix cristalline le sorti de sa torpeur. Qui avait parlé ? Son regard balaya la rue jusqu’à ce qu’il s’arrête sur cette petite ombre cachée sous une large cape.


- Bermudes

« Votre nom là, c’est un truc de noble, vous devriez faire partie de leur famille, non ? » dit-elle tout en découpant délicatement les poumons qu’elle venait d’extraire du corps. L’homme esquissa un sourire devant l’ignorance de celle qui le suivait depuis bientôt dix ans. Dix années qu’il l’avait amené sur ce caillou incroyable. Elle était rarement curieuse, tout du moins frontalement, alors il prit la peine de lui répondre, même si cette discussion allait le ramener vers un passé qu’il aurait aimé oublier. « Je pense que j’aurais fait un bon roi. » dit-il avec une nonchalance qui déconcerta la jeune femme, au point que celle-ci rata sa dernière découpe, ce qui eu don d’agacer le vampire qui vint l’aider. « Comme ça. Il faut que tu apprennes à te nourrir, je ne vais pas te préparer à manger jusqu’à la fin de tes jours. » Celle qu’il prenait encore pour une gamine soupira. « Bien. Je suis l’un des nombreux bâtards de la couronne danoise. Voilà pourquoi je n’ai pas ma place au sein de la famille qui vit sur cette île, c’est… différent. » Ces simples mots étaient parvenus à faire ressurgir des images. Il ferma les yeux un instant, cherchant à chasser ces souvenirs qui affluaient. Rien n’y faisait. Ingvar se maudissait d’avoir accepté la curiosité de Mirana, jamais il n’aurait du. JAMAIS. Il abattit ses deux mains sur la table, cherchant à calmer cette colère qui menaçait. L’humaine s’était faufilée jusqu’à lui, posant sa main sur son avant-bras, cherchant alors à le ramener dans le présent. Il n’y avait qu’elle pour parvenir à ce résultat. Son corps entier se décrispa. Il s’écarta d’elle pour reprendre sa place à l’autre bout de la table.

« Ne négliges jamais aucune partie. » Il lui prit le couteau des mains et s’attarda sur le visage de la femme qu’elle avait trouvé hier. Pauvre chose. Elle n’était plus qu’un tas de chairs sanguinolentes. Il laissait toujours la moitié du sang dans leurs corps afin de ne rien endommager. Toutefois, l’odeur du sang, même mort était toujours aussi délectable et il ne se rendit pas compte que ses crocs étaient visibles. « Ingvar ! Elle est morte. La dernière fois que tu en as bu c’était une catastrophe ». Il ne l’entendait plus, totalement focalisé sur le sang qui recouvrait la table. « Ingvar ! » Il pivota vers elle, souriant. « Viens ici ». Elle haïssait quand il redevenait cette créature avide de sang. Mirana s’enfuit à l’autre bout de la pièce, tenant avec elle un couteau assez large pour lui trancher la tête. Ceci n’arrêta pas le vampire qui avançait vers elle. Il n’était qu’à quelques centimètres de ce sang qui battait. Tambour infernal. « Pas comme ça, s’il te plait.. ». Peut-être était-ce la supplication, ou bien avait-il tout simplement réussi à se maitriser mais il s’écarta aussitôt d’elle.

L’homme reprit sa place initiale puis continua ce qu’il était en train de faire avant que tout ne dégénère. Il enleva les yeux avec précision et s’attarda sur les joues de la défunte. « Les joues. La meilleure partie. Tu donneras la carcasse aux chiens ».