L'humanité. Est-ce vraiment si important que je vous parle du passage de ma vie qui aura été le plus futile. Enfin, lorsque je dis vie, je devrais plutôt parler d'existence. Il y a à présent un peu plus d'un siècle que je ne vis plus. Mais bon, commençons par le commencement, voulez-vous. J'ai vu le jour à Rome en Italie au printemps 1809. D'après ce qu'on m'a raconté, il s'agit d'une complètement enchanteresse, pleine de monuments historiques et de paysages à couper le souffle. Pour ma part, je ne connais rien de cette ville où je suis née. Je devrais même vous avouer que je suis loin d'être le fruit d'un amour sincère. En fait, mon père était un marin, plus précisément le capitaine d'un immense navire qu'on appelait L'Œil du Tigre. Aussi, comme la plupart des marins de l'époque, il adorait enchaîner les relations d'une nuit d'un continent à l'autre, sans avoir à se soucier de ce qu'allait devenir la femme en question le lendemain matin. Cela dit, en Italie, les choses furent différentes. Alors qu'il demeurait à Rome pendant un an, il eu la surprise de croiser un de ces soirs le chemin de ma mère. Belle italienne à la peau pâle, il ne pu s'empêcher de l'accrocher à son tableau de chasse et de la faire sienne l'espace d'une nuit. Cela dit, il était loin de s'attendre à ce qu'elle tombe enceinte, et encore bien moins à ce qu'elle décède en mettant l'enfant au monde. Lui qui avait toujours vécu une vie solitaire et nomade, il était loin d'être heureux d'avoir à présent un enfant sur les bras, mais bon, comme il n'avait pas le choix, il remonta à bord de son navire, apportant l'enfant avec lui.
 
Cette enfant, c'était moi, Opale Lena Jenkins. La petite fille indésirée qui faisait absolument tout pour plaire. À bord du navire, j'étais celle qu'on appréciait le moins, le boulet, comme la plupart des membres de l'équipage m'appelaient. Le seul qui m'offrait réellement un peu de considération était mon père. Bien que je ne fusse pas réellement prévue, je pouvais tout de même sentir qu'il avait un peu d'affection pour moi et à cette époque, ça me suffisait largement. Moi je l'adorais. À mes yeux, il était l'homme le plus fort du monde, le plus courageux et le plus intrépide aussi. J'adorais l'entendre me raconter ses nombreux récits de voyages à travers le monde et tout les obstacles qu'il était parvenu à traverser pour se rendre jusqu'ici. J'espérais secrètement vivre de telles aventures à mon tour et devenir aussi forte que lui pouvait l'être. La seule chose que je regrettais, c'était qu'il ne me parlait jamais de ma mère. Je sais aujourd'hui qu'elle n'était rien d'autre qu'une femme de plus à ses yeux, mais au cours de mon enfance, j'aurais eu besoin d'entendre sa description et de savoir si je lui ressemblais au moins un minimum. Toujours est-il que mon imagination me servait bien dans ces cas là. J'aimais me l'imaginer belle, douce et généreuse, comme toutes ces belles princesses des romans que j'adorais feuilleter. Autrement, je m'imaginais milles et une légendes que j'avais eu la chance d'entendre lors de nos escales en terres lointaines. Celle qui m'effrayait le plus était de loin celle du Triangle des Bermudes. Savoir que plusieurs navires s'étaient mit à disparaître mystérieusement pour ne jamais réapparaître me faisait froid dans le dos, et mon père avait beau tout tenté pour me rassurer, penser à ces événements m'empêchait régulièrement de dormir la nuit.
 
Rapidement, la petite fille enjouée que j'étais laissa place à une adolescente en mal de vivre. À vrai dire, j'avais du mal à comprendre ce que j'étais exactement. Lorsqu'on accostait dans un port ou un autre, je pouvais voir les autres jeunes filles de l'époque. Elles étaient toutes élégamment vêtues, portant de longues robes de soie, des gants de satin contre la peau de leurs mains délicates et de hautes coiffures qui dégageaient leurs fronts pâles. Elles ressemblaient toutes à de véritables poupées de porcelaines. Pour ma part, avec mes vêtements masculins, je faisais pitié à côté d'elles. D'un autre côté c'est pendant cette période que je me rendis compte de qui était mon père en réalité. Je comprenais maintenant pourquoi on accostait aussi peu longtemps dans les villes. Le terrible sort de ma mère ne lui avait donc pas suffit pour lui faire comprendre que ce jour des sentiments des femmes était quelque chose de mal en soit ?? N'étions nous donc que de simples morceaux de chaires pour que les hommes nous traitent tous de la sorte. Bien sincèrement, il commençait réellement à me décevoir, et bien que j'adorais toujours discuter avec lui de ses aventures que je connaissais à présent par cœur, je commençais bien malgré moi à ressentir une profonde rancune à son égard.
 
À seize ans, je me sentais de plus en plus anormal. J'étais à présent devenue une femme, et pourtant, j'avais l'impression de ne rien connaître de la vie. Ohh sii, j'avais eu une véritable formation de matelot et je connaissais à peu près tous les nœuds qu'il était possible de faire en ce monde, mais mon côté féminin avait été terriblement brimé. Jamais je n'avais portée de robes ou de gants, je n'étais jamais allée à une soirée mondaine et je n'étais jamais tombée amoureuse de qui que ce soit. Ce dernier détail me laissait un peu plus froide que les autres cependant. Ayant grandit auprès d'hommes, je ne connaissais que trop bien quelles étaient leurs intentions enfouies. D'ailleurs, mon corps de femme semblait attirer de plus en plus l'attention de l'équipage de mon père, et ce même s'ils m'avaient tous connus alors que je n'étais qu'une enfant. Les regards qu'ils posaient tous sur moi me donnaient de plus en plus la nausée au fil des jours qui s'écoulaient. Malgré tout, je tentais d'ignorer tous leurs gestes déplacés, au moins pour mon cher père que j'aimais toujours autant malgré les années. De toute façon, il ne m'aurait jamais cru. Ces hommes étaient ses amis depuis de très nombreuses années maintenant. À ses yeux, jamais aucun d'entre eux n'oserait me faire le moindre mal. De toute façon, j'étais une adulte maintenant. C'était à moi de me défendre seule contre d'éventuelles attaques. C'était ses dires et je devais m'y tenir. Tel que mon père le croyait, tout se passa bien jusqu'à ce fameux soir d'automne. Nous avions accosté en Angleterre et une grande fête s'était rapidement déclenché sur le pont de L'Œil du Tigre. On riait, on chantait, on dansait et in buvait un peu partout. De mon côté, j'essayais de profiter au maximum de la fête, jusqu'à ce que tout le monde soit complètement ivre. À ce moment, je sentis qu'il était temps pour moi de me retirer dans mes appartements. Disons que l'idée de voir mon père s'envoyer en l'air aux yeux de tous avec une femme qu'il connaissait à peine ne m'enchantait guère. Mieux valait que j'aille lire un bon bouquin et que je me laisse ensuite gagner par le sommeil. Ce n'est qu'au bout de quelques heures que j’entendis des pas dans l'escalier menant à ma cabine. Croyant d'abord qu'il s'agissait de mon père, j'eu la surprise d'apercevoir Edwardo, son ami le plus proche et son co-capitaine. Ivre mort également, il me susurra à l'oreille qu'il souhaitait me dire bonne nuit. Il sentait l'alcool à plein nez et étrangement, en le voyant s'approcher, j'eu immédiatement un mauvais pressentiment. J'aurais voulue m'enfuir de là, hurler, mais je n'en eu pas l'occasion. Ses mains se posèrent aussitôt sur moi et il se mit à me prendre le peu de dignité qui m'avait été donné à la naissance. Dès lors, je sentis une rage immense m'envahir, et encore davantage lorsque je tentai de parler de cette nuit à mon père et qu'il n'en crue pas le moindre mot. On dit que la haine est un bien vilain sentiment, mais en deux siècles, je n'ai jamais éprouvée un tel dégoût que ce jour là. J'espérais même ardemment que chacun des membres de ce navire périssent dans d'atroces souffrances. Je ne savais pas à quel point mon souhait me serait exaucé.
 
À peine quelques jours plus tard, nous atterrîmes sur une île complètement différente de toutes celles que j'avais vu jusqu'à présent. Ouais, complètement différente parce qu'ici, il n'y avait pas de grande foule qui longeait la mer, ni même la moindre trace de vie. Enfin, aucune trace de vie mit à part cette jeune femme qui finit par arriver près de nous. Je dois admettre que jamais encore je n'avais vu une telle beauté. Ses grands yeux bleus et ses longs cheveux blonds respiraient la bonté et la gentillesse, et il va sans dire que si j'avais moi-même remarquée sa grande beauté, l'équipage de mon père ne ferait certainement pas exception à la règle. Aussi, sans même que mon ère aie à réfléchir, nous la suivîmes sans poser de question, complètement inconscient du danger dans lequel nous venions de nous fourrer. Vous vous rappelez de ce fameux Triangle des Bermudes dont je vous ai fait mention en début d'histoire ?? Et bien nous étions tombés en pleine dedans, sans la moindre possibilité de pouvoir sortir d'ici. De toute façon, comment aurions-nous pu avec les créatures qui vivaient dans le coin ?? Parce que la belle jeune femme aux longs cheveux blonds était très loin de n'être qu'une simple humaine comme nous. Il s'agissait d'un monstre cauchemardesque des légendes, d'une créature nocturne, d'un vampire. Oui, les vampires existaient réellement, et nous avons tous dû nous rendre à l'évidence lorsque toute cette meute s'est jetée sur nous afin de s'abreuver de notre sang. Je dois admettre avoir ressentie une très grande joie lorsque j'ai vu Edwardo hurler de terreur en se faisant aspirer la moindre parcelle de vie qu'il lui restait. Étais-je donc mesquine à ce point pour aimer voir souffrir les autres ?? Après que la bande se soit régalé, on amena les survivants au château de l'île afin que ceux qu'on appelait la Royauté puisse disposer de nous. Le chemin vers le royaume me fît complètement flipper. J'étais persuadée que je vivais les tout dernier instant de ma vie et que d'ici peu, je mourrais dans d'atroces souffrance comme beaucoup d'amis proches de mon père. Ce fût d'ailleurs le cas de tout le reste de l'équipage. Sous mes yeux, ils moururent tous sans exception, les vampires nobles n'ayant trouvé aucune utilité à les garder en vie. C'était mon tour à présent, et ça va de soit, je m’attendais à subir le même sort qu'eux. Cependant, celle qu'on m'avait désigné pour maîtresse semblait bien différente des autres. D'une beauté quasiment enfantine, elle respirait la joie de vivre et le bonheur. Dès l'instant où mes yeux croisèrent les siens, je me sentie rassurée, apaisée, comme si j'avais déjà l'impression que mes malheurs étaient terminés. Elle aussi sembla appréciée mon allure en générale puisqu'elle décida de ne pas me tuer. À la place, la belle Esfir décida de me prendre comme l'une de ses esclaves, et quand je dis esclave, le mot est beaucoup trop rude. J'étais plutôt une demoiselle de compagnie, passant le plus claire de mon temps à discuter avec elle de ma vie d'avant et de comment j'étais arrivée ici. J'allai même jusqu'à lui confier le mal qu'Edwardo m'avait fait, mais comme elle me le répétait souvent, tout ceci était derrière moi à présent.
 
C'est ainsi que je vécue pendant quatre années, un peu comme une poupée qu'on cajole sans cesse, m'efforçant tout de même de combler les moindres caprices de ma maîtresse. Pas parce que je craignais qu'elle m'élimine si jamais je faisais une erreur ou autre, mais plutôt par envie de lui plaire encore davantage. Je voulais qu'elle soit fière de moi et que notre amitié n'en soit que d'autant plus forte. Moi qui n'avais jamais eu d'amis étant jeune, c'était tout nouveau pour moi, et pour rien au monde je ne voulais perdre cette chance qui m'était offerte. Puis, après ces quatre années de bons et loyaux services, Esfir décida qu'il était temps de me remercier pour mon dévouement. Elle m'offrit à mon tour la vie éternelle en faisant de moi une vampire. Au départ, tout me sembla différent. Les couleurs, les odeurs, je vivais avec encore plus d'intensité que je devais le faire pendant ma vie humaine. Cela dit, cette idée ne pouvait que m'enchanter davantage. En quatre ans, j'en avais appris des choses sur ce monde, notamment sur le rôle qu'avait joué cette jolie blonde lors de notre arrivée sur l'île. Ma maîtresse m'avait expliquée qu'il s'agissait d'une succube, créature enchanteresse dont le métier était de ramener le plus d'humains possible à son maître afin qu'il en fasse ses esclaves ou son repas de la journée. Désormais, je serais sa succube et je devrais lui rapporter les petits humains qui débarqueraient sur Heartkiller. Cette idée me plaisait assez. Dû à ma transformation, j'avais acquis une beauté indéniable dont je devais à tout prix me servir désormais, et ma vie ici m'avait appris à prendre confiance en moi en ce qui avait attrait à la séduction et à la sensualité. Je m'Efforçais donc de combler toujours ma maîtresse qui se montrait toujours aussi formidable avec moi.
 
Un peu plus d'un siècle s'est écoulé depuis ma transformation et mon existence ne fait que me plaire davantage de jour en jour. Avec le temps, j'ai découvert que j'avais désormais le pouvoir de faire payer aux hommes la cruauté qu'ils peuvent avoir envers les femmes. Je me fiche que les mœurs aient pu changer avec le temps, je me fiche qu'ils ne soient pas tous comme l'ancien équipage de mon père, je me dois de les faire payer en les faisant souffrir au maximum dès que je le peux. Pour ce qui est des femmes, je crois bien avoir attrapée la passion de la beauté qu'Esfir a toujours eue. Je me plais assez à avoir de jolies esclaves desquelles prendre bien soin. Je me montre plus dure avec les hommes et plus douce avec les femmes. Comme vous pouvez le voir, ma joie de vivre est revenue en force. Je ne pense plus du tout à mon existence humaine ou presque pas du moins. C'était dans une autre vie alors à quoi bon me faire du mal avec ça ?? Mon existence actuelle me plaît et je n'en changerais pour rien en ce monde.