Il y a des histoires qui se murmurent au coin du feu. Il y a des secrets qui s’enterrent dans les flammes et dans l’éternité. Cela se déroulait il y a si longtemps que le ciel lui-même semblait différent, l’air plus pur et le temps si sombre à la fois. Un temps où Einar Engen et Allan Levinson étaient très proches, peut-être même un peu trop pour que leurs jeux ne se répercutent pas sur leur avenir. Car une fois Elysium Levinson née des cuisses d’une esclave, cette même esclave termina dans la couche d’Einar, qui miraculeusement vit la silhouette de cette femme s’arrondir, s’adoucir au profit d’un futur nouveau né qui grandissait dans ses entrailles… Light Engen vint au monde à son tour. Lumière inattendue pour ce roi solitaire et taciturne, lumière qui déroba la vie de sa mère en s’extirpant de ses entrailles. Lumière à laquelle son père trouva très tôt un air de ressemblance avec la fille de son ami. Et plus les années s’écoulaient, plus la certitude qu’elles se ressemblaient comme de véritables jumelles était paradoxalement troublante. Deux fillettes qui jouaient régulièrement ensemble, sœur de cœur, car ignorantes de leur lien de sang qui en vérité ne comptait pas aux yeux des vampires, deux meilleures amies qui se ressemblaient physiquement, mais également dans leur gentillesse, leur douceur…



Ombo, petite île à l’intérieur des terres de Norvège sur laquelle mon père avait fait construire un château perdu au milieu des sapins, il y avait de cela des siècles. Château qui n'avait jamais été que ma maison, mon refuge, ma demeure, mais également celle de ma sœur de cœur, tout comme son propre palais devenait le mien lorsque je venais chez elle. Elysium et moi… deux visages si semblables, deux êtres qui semblaient l’être tout autant sous toutes nos différences. Comme des jumelles et pourtant nous ne l’étions pas, mais notre proximité laissait penser que nous l’étions pourtant. Je me souvenais de nos instants lorsque nous étions encore si jeunes et que nos visages ne s'étaient pas encore figés sous l'éternité de notre côté vampirique, qui pourtant nous poussait à nous nourrir à des gorges, des poignets... qu'importait la saveur, c'était un peu comme avoir le choix entre différentes confiseries. Dans mon château Norvégien, les humains qui veillaient sur nos journées étaient des êtres fidèles, certains offrants même volontairement leur sang pour nous nourrir. Des familles liées par une peur ancestrale et un très vieux serment que les mortels refusent de briser quoiqu’il puisse advenir, quelles que puissent être les années qui s’écoulaient, s’égrenaient, même lorsqu’il m’était arrivé de déraper étant enfant, ou même Elysium. Je pouvais lire la bienveillance de ces visages auxquels les années dérobaient leur jeunesse quand elles épargnaient mon père, ses amis, les autres nobles ou même le père de ma sœur de cœur. Nous grandissions, mais on nous murmurait alors que l’on se glissait parfois dans le même lit comme de véritables jumelles incapables d’être trop longtemps séparées, que lorsque notre corps le jugerait, nous aussi verrions nos traits se figer pour les éternités à venir, préservant notre beauté comme les tapisseries tissées à ces époques.

Ce fut durant notre jeunesse que mon surnom me fut attribué un jour où j’étais parvenue à attraper une luciole sans la réduire en poussière, préservant sa lumière contre la paume de ma main, émerveillée par ce petit insecte qui produisait sa propre lumière, une lueur douce et mélodieuse dans l’obscurité la plus absolue. Mon père m’avait souvent soufflé que j’étais cela pour lui, telle une lueur que l’on n’attendait pas dans l’éternité, présent inattendu de la nuit à laquelle on apprenait à se conduire dans la société nordique qui était la mienne, à montrer une certaine réserve tout en ayant cette envie de découvrir toujours plus de terres, de mondes, de coutumes… Une quête sans fin pour apprendre… Les pieds nus dans la neige, j’en aimais la sensation, tout comme sentir le vent soulever ma chevelure soigneusement coiffée, et caresser ma peau. J’aimais les immensités sauvages et glacées, les voir renaître à la vie lorsque l’hiver les délaissait au profit d’un printemps océanique, quand les brumes matinales, gouttelettes délicates, s’attardaient encore à l’aube et la nuit venue. Et j’en frissonnais de plaisir à défaut de le faire de froid.

Nous grandissions… princesses que nous étions, nous grandissions jusqu’à ce que nos traits se figent. Les siens furent les premiers, les miens ne tardèrent pas à les suivre pour conjurer notre ressemblance jusqu’au firmament d’une éternité qui nous conserveraient aussi proches que nous l’avions toujours été. Nous confiant de vive voix ou à travers de longues lettres tout ce que nous éprouvions le besoin de nous dire. Semblables… mais différentes à la fois, nous étions chacune celle que nous devions être, celle que nos pères destinaient à des coutumes différentes. Nous parlions toutes deux la langue de l’autre et mon intérêt s’émancipa, me laissant me repaître des récits des congénères de ma race, apprendre d’autres langues encore sous ma propre volonté qui s’accordait aux dessins de mon père de faire de moi l’ambassadrice de la Norvège. Je rêvais de voyage, de goûter à la liberté crevant l’éternel horizon des terres sauvages qui m’avaient vu naître. Je rêvais d’un amour sans foi ni loi qui m’emporterait jusqu’au firmament et je ne pus que me réjouir en entendant Elysium me parler du vampire qui avait ravi son cœur. La poussant moi-même à vivre cet amour sans la moindre limite, à rêver de mariage et à le rendre tangible dans le cœur de mon reflet. Car de ce qu’elle me disait de cet homme galant, prévenant, courtois et protecteur, c’était un prince charmant qui se trouvait en amour pour elle et j’étais heureuse pour elle tout en gardant l’espoir qu’un jour, moi-même, je trouverais un prince tout aussi parfait. Parce qu'elle m'avait confirmé l'espoir fou que les contes de fée existaient.



Mais les contes de fées… n’existent pas. Ou pas vraiment. Ils finissent dans le sang, la douleur et la perte. Car si tout semblait se dérouler pour le mieux, si le monde entier s’était ouvert et mis à ma portée, si je continuais à voir Elysium et que mon père me préservait de la folie du sien, il fallut que j’apprenne la rébellion, l’alliance des rois et la mort de celle que je considérais comme ma sœur, ma jumelle, par une simple missive déposée par un corbeau alors que le soleil s’était couché depuis quelques heures et que le silence se faisait dans le jardin intérieur du palais. Damnées, nous l’étions de naissance, mais en quoi la mort d’Elysium était-elle juste ? Qu’avait-elle fait de mal pour mériter un tel sort ? Pour disparaître alors que le bonheur était là, qu'elle n’avait plus qu’à tendre la main pour le toucher et s’y perdre pour les éternités à venir. Elle n’aurait jamais dû mourir.

Mes joues s’étaient teintées de rouge, de ce fluide carmin qui avait tracé un sombre sillon sur ma peau si pâle sous le clair de lune indifférent à mon propre tourment. J’étais tombée dans l’herbe fraiche, noircissant les quelques traces de neige qui perdaient de leur pureté quand mon être toute entier n’était que cela… pureté. N’ayant jamais été promise, j’avais fini par craindre les hommes tout en prétendant à présent tout simplement me préserver pour l’homme qui finirait par prendre son importance dans mon existence. J’avais envié celle qui à présent n’était plus… laissant comme une sensation de vide à l’intérieur de mon cœur, comme si quelque chose, une part de moi-même venait de m’être arrachée. Mon double, mon reflet, ma sœur de cœur était morte et jamais plus je ne la reverrais. Les mots s’étaient faits spectres dans mon âme, tournoyant jusqu’à m’entraîner dans une douce dépression qui ne me ressemblait pas vraiment. L’optimisme, si semblable au vent taciturne et changeant qui me caractérisait, semblait m’avoir quitté en même temps que la nouvelle de son décès s’était nichée au fond de mon être. Dans un premier temps, je refusais de me nourrir, comme envieuse du sommeil éternel de mon amie, désireuse de la retrouver à nouveau, rejetant les bras qui pourtant se tendaient, se jouant parfois de ma volonté lorsque le besoin de sang était trop grand, mais mon obstination ne tarderait pas à avoir raison de moi une nuit de trop. Ce fut l’intervention de mon père, ses bras aimants, ses murmures suppliants de ne pas l’abandonner qui me poussèrent à me relever, tout en continuant pourtant à porter le deuil de celle qui aurait pu être ma sœur, ma jumelle tant nous étions semblables.

Plusieurs années s’écoulèrent ainsi, alors que j’avais commencé à prendre l’habitude de tenir un carnet comme si je pouvais toujours parler à Elysium, lui raconter mes voyages, mes découvertes, mes doutes, mes craintes, mes curiosités… Les pages se noircirent tandis que je ne trouvais de réponse que dans la prière que je délivrais à un ciel inconstant et capricieux… ce fut une sorte de thérapie que j’effectuais alors, dans l’immensité de mes terres, de mon royaume, tout en partant à la rencontre d’autres royautés en tant qu’ambassadrice, retrouvant peu à peu le sourire sans pourtant que la perte d’Elysium soit oubliée, cette part de moi-même que j’entrainais dans chacun de mes pas, chacune de mes rencontres, à travers ces pages que je continuais à noircir. Alors que je retrouvais l’espoir fou de rencontrer un jour celui qui serait mon prince charmant, sans être véritablement pressée que ce soit le cas, tandis que mes mots précisaient cette crainte pour l’amour charnel que quelques siècles n’avaient cessé de faire grandir, plus encore depuis le décès de mon amie la plus proche, celle qui ne me répondait plus. Celle qui n’était plus présente pour me rassurer sur un sujet si délicat, alors que je sentais peser sur moi le regard de mon père ou d’autres nobles tandis que je vagabondais sur nos terres… me soufflant parfois à quel point il était étrange de voir tant de délicatesse fardée d’élégance dans une terre si sauvage, comme une princesse égarée dans un milieu hostile l’indifférant, ne l’atteignant nullement. Cela me faisait sourire… car j’aimais ces terres, cette impression de liberté dès que l’on s’éloignait de quelques pas de la civilisation, de pouvoir atteindre le ciel à travers ses pensées simplement en fermant les yeux, le visage tourné vers le ciel. J’y étais la princesse, vivant dans un domaine où les humains n’étaient ni massacrés, ni torturés, laissant certains rejoindre l’éternité à nos côtés lorsque leurs services ou leur loyauté faisaient d’eux des êtres d’exception.



La vie qui avait repris une certaine saveur, se tissait de rencontre, d’échange, de lecture, d’écoute… jusqu’à ce qu’une jeune femme blonde venue tout droit d’Heartkiller sous la volonté de l’Empereur, César Bridgestone, vienne jusqu’à Ombo pour parler mariage à mon père. Une demande parfaitement légitime, non pour lui-même, mais pour l’ancien fiancé de celle qui me ressemblait tellement. Une sensation de culpabilité m’avait saisie alors, comme si je m’apprêtais à remplacer ma sœur de cœur, à lui prendre ce qui était à elle, celui qu’elle aimait… Mais d’un autre côté, j’allais me lier à un homme courtois, si beau à l’intérieur de ce qu’Elysium avait pu me conter sur lui, que j’avais fini par accepter ce qui avait déjà ravi mon père. Il semblait penser que c’était une excellente alliance et il ignorait la vérité concernant ces deux êtres, aussi n’allais-je sûrement pas la souffler à qui que ce soit. Alice était ainsi restée un certain temps en Norvège, le temps de mettre tout cela en place, liant sous cette promesse d’alliance les Bridgestone aux Engen, nous permettant d’apprendre à nous connaître, de découvrir nos similitudes, d’échanger, parlant politique autant qu’humanité. Car ceux vivants si près de ma famille n’étaient pas représentatifs du reste du monde qui vivait dans l’ignorance de notre existence.

Puis… il avait fallu me rendre sur l’île au cœur du triangle des Bermudes pour me marier et rencontrer ce fameux futur époux. Et je dois l’avouer, j’ai immédiatement été sous son charme, cette présence imposante et ce qu’il pouvait dégager. J’étais certaine de découvrir un intérieur tout aussi parfait… mais ce ne fut pas le cas. Les murmures, les bruits de couloir, ne me soufflaient que la noirceur opiniâtre de ce membre de la famille royale, qui à l’image de la majorité de ses frères et sœurs, n’avait plus rien de tendre, de courtois ou de galant. Ce fut comme découvrir être liée à l’exact opposé de l’homme que je m’attendais à découvrir. L’exact opposé de celui que j’avais imaginé être un jour mon prince charmant… Savoir que mon avenir serait à tout jamais lié au sien me laissait un goût âcre sur la langue, ainsi qu’une boule d’anxiété au creux de l’estomac. Tant pour cela, que pour tout ce qu’une union symbolise, et la noirceur de l’être ne me rassurait aucunement sur ces étapes pour lesquelles je m’étais réservée jusqu’ici.

Pourtant, j’ai su lire dans son regard cette torture de voir en moi le visage de la femme qu’il aimait, culpabilisant de tant lui ressembler alors que je saisissais la teneur de ses actes d’auto-destruction et c’était avec l’aide de sa plus jeune sœur que j’apprenais l’art de la séduction avec une maladresse témoignant de mes craintes. Tandis que je cherchais auprès d’Echo à comprendre la manière de fonctionner du château, les coutumes, les visages, les rôles… Je veillais ainsi à me préparer à mon futur rôle d’épouse malgré que je ne parvienne pas encore à me faire à tout cela, que la Norvège et ses terres me manquent, que je ne me sente pas à ma place dans cet univers où tortures, viols et autres mesquineries ont lieu en faveur des esclaves. Peut-être que malgré tout, je parviendrais à éloigner mon futur époux de la noirceur de ce monde qui est à cent lieues de ce que je suis, l’attirant plus étroitement sous la lueur éparse d’une simple luciole, car il n’est pas toujours si sombre… Et je ne suis pas si seule dans ce nouvel endroit, y trouvant malgré tout quelques étincelles bienveillantes, mais je reste méfiante. Car la noirceur et la décadence semblent veiller dans l'ombre.



Light Symphonia Engen en quelques mots :
Chaste, pure, pieuse, elle a peur des relations charnelles avec les hommes du fait d'avoir vécu plus de 900 ans dans l'abstinence en restant vierge. ❦ Elle aime les voyages, les langues étrangères et la nature sauvage, intacte.  ❦ Elle aime également sentir le vent sur sa peau, fermer les yeux et avoir l'impression de voler. ❦ Elle éprouve une grande curiosité pour l'humanité et n'apprécie pas que l'on torture, viole ou abuse des autres. Voir même tout simplement l'esclavage, ayant été élevée dans une certaine complémentarité avec le genre humain. ❦ Naïve, elle rêve du prince charmant, d'un amour sans foi ni loi qui la bouleverserait au plus profond de son être. ❦ Elle est loin de la décadence des vampires de l'île et ne s'y sent de ce fait pas vraiment à sa place. ❦ Elle a perdu sa sœur de cœur, Elysium, la fille du roi fou, lors de la rébellion des Bridgestone. ❦ Elle a pris l'habitude d'écrire dans un carnet tout ce qu'elle souhaiterait confier à son amie d'enfance, son reflet, y compris tout ce qu'elle a pu ressentir lorsqu'elle l'a perdue, après avoir sombré dans une profonde dépression. ❦ Elle est très attachée aux convenances, à l'étiquette. Elle semble d'ailleurs élégante en toute circonstance, même trempée par une averse, même lorsqu'elle s'égare en pleine nature et que telle une enfant elle ferme les yeux et a l'impression de voler sous le contact du vent. ❦ Fiancée à Eleazar, un vampire qui est son parfait opposé, elle a pourtant perçu dans ses yeux que chaque acte du vampire est fait pour se détruire lui-même, saisissant une étincelle qui lui laisse croire qu'elle pourrait le sauver. ❦ Elle aime le sang, mais a l'habitude de donneurs consentants depuis son plus jeune âge. Elle aime varier les goûts et les saveurs, comme différents mets, laissant son envie du moment dicter son choix de repas, mais veille toujours à ne pas rendre l'acte obscène ou déplaisant, et ne force jamais un humain à la nourrir. ❦ Les humains de sa maison apprécient la princesse, sa gentillesse, son côté altruiste et l'écoute que l'on peut trouver auprès d'elle. Certains ont même grandi auprès d'elle et la considèrent comme une sorte de grande sœur protectrice. Ils ont d'ailleurs l'habitude de lui proposer naturellement du sang, mais elle a toujours refusé de s'abreuver sur des enfants. Tandis que eux, malgré leur humanité, donneraient leur vie pour elle. ❦ Butée, bornée et obstinée, la princesse de Norvège n'est pas simplement une jolie brune trop gentille et trop naïve pour son propre bien, elle sait faire preuve de fermeté et d'opposition. ❦ ...