Je n’ai jamais réellement compris pourquoi la plupart des gens scandaient haut et fort que l’enfance était la plus belle période de la vie, celle où on avait l’innocence des premiers âges, celle où on n’avait aucun problème, si ce n’est savoir à quels jeux jouer, quels dessins animés regarder… Je n’ai pas connu l’innocence. Ma seule préoccupation à l’époque était de la protéger de cette homme, appelé mon paternel… J’ai presque tout oublié de cette période, qui fut un désastre total dans mon univers de petite fille, au point de m’en laisser, encore maintenant, un arrière goût amer sur les papilles. J’ai réussi à enfouir, presque inconsciemment, bon nombre de souvenirs. Si j’en ai eu des bons, les mauvais les auraient tout avalés. Ma mère, Dana, était la fragilité même. Souvent, la nuit, je revois ses grands yeux bleus s’écarter sous la peur et la surprise, ses cils battre ne comprenant pas la situation, ses mains se lever pour se protéger… et sans arrêt, cette même scène, moi, petite –je devais avoir 4 ou 5ans-, qui la tire de toutes mes petites forces pour l’écarter du danger. Une fois, j’ai même osé me mettre devant lui –par désespoir de cause, car je pensais qu’il m’aurait épargnée, moi sa fille, ou tout simplement par instinct de protéger ma mère, mais soit-, j’avais vu sa main valser vers moi et me décoller du sol… Après ça, tout n’est que souvenirs confus de maisons en maisons, de familles d’accueil en foyers spécialisés.

Puis, un beau jour, une famille m’accueilli : les Sherridan. Ils étaient trois. Mon « père » s’appelait Duncan, ma « mère », Katrina et mon « frère », Donald. Ils étaient tous grands, avec des cheveux noirs de jais. Un simple coup d’œil montrait aussitôt à quel point j’étais une étrangère à cette famille. Pourtant, ils m’accueillirent comme si j’étais leur fille, me couvant d’amour et de cadeaux, les moyens ne manquant pas aux Sherridan. Duncan Jr descendait d’une longue famille spécialisée dans le whisky et autres manufactures en Irlande et Grande-Bretagne. Autre anecdote particulière, c’est que le nom « Sherridan » signifie le corbeau en irlandais et, par moment, n’ayant pas moi-même les cheveux noirs, je me demande si ce nom que l’on m’a confié ne représenterait pas cette part d’ombre, de noirceur que je transporte partout où que j’aille.

Je suis pourtant loin de m’apitoyer sur mon sort, bien au contraire. Je suis une battante, et grâce au support de mes parents, j’ai pu vivre mon adolescence d’une manière plus épanouie, même si un trou béant saignait encore abondamment dans ma poitrine. J’ai commencé à pratiquer les sports de combats –un traumatisme voulant que je sache me défendre à l’avenir lié à mon enfance ? Possible. J’ai également appris le français, le russe et l’espagnol. Les Sherridan ayant pour mantra : du sport, des langues étrangères et un instrument de musique. J’appris donc également à jouer du piano. Bref, ma vie fut remplie, bien chargée, au point de ne me laisser aucun moment pour réfléchir à autre chose.

Ma première histoire, ma première déception, je la vécu avec Julian. On était d’abord amis, puis de fil en aiguille, on a voulu tester nos limites, savoir jusqu’où ça irait. Il faut dire que je n’ai jamais été très sentimentale, ne croyant tout simplement et tout bonnement pas à l’Amour. Pour moi, il n’existe pas. Ce ne sont que des conneries que les gens se racontent pour ensuite blesser l’autre, le torturer et le faire saigner de l’intérieur afin qu’il meure à petit feu… Enfin soit, mes histoires d’amour n’avaient jamais vraiment duré et pourtant, avec Julian, ce fut différent. Il était différent. Plus spontané, plus romantique mais pas pompant ni cul-cul la praline. Il était juste comme il fallait qu’il soit. Ca dura un moment, ponctué parfois par mes sautes d’humeur, mais en homme parfait qu’il était, il restait calme, mesurait la situation… Mais un beau jour, il partit. Il avait toujours rêvé de partir à la découverte de l’Amérique et, ayant déjà des projets extra scolaires, je ne l’avais pas accompagnée. Signe du destin ou malchance ? Quoi qu’il en soit, il ne revint jamais. Car cette année-là, fut l’année fatidique de l’ouragan Katrina… Il en fut l’une des très nombreuses victimes, un parmi des milliers et il a fallut que ce soit lui. Quand j’appris la nouvelle, je fus en état de choc, incapable de réagir ni de pleurer. Mon univers s’écroulait –encore- et je n’ai eu aucune réaction. Ce n’est seulement qu’après, lorsque je me suis rendue dans les lieux où on avait tellement l’habitude de trainer, que la nouvelle me prit de plein fouet, me coupant le souffle… et les larmes se mirent à tomber par torrent. J’étais si profondément ébranlée que ma respiration devint également suffocante. Et ensuite, ce fut tout. Je me surpris à reprendre ma vie comme si de rien n’était, mais j’avais perdu ce peps qui l’illuminait. Et j’avais constamment mal au cœur.

Aujourd’hui, quand je repense à tout ça, je sais que Julian fut mon grand amour et que, malgré tout ce que je peux me raconter à moi-même, que ça n’existe pas, que c’est pour les imbéciles qui y croient, que avec lui, j’y ai vraiment cru et que jusqu’à la fin, il ne m’aura jamais déçue… Pourtant, ma vie n’en est pas moins devenue plus calme. Les relations se sont succédé et côté famille, j’ai décidé, dès mes 18ans, de partir parcourir le monde, ne m’établissant nulle part, voyageant, emportant mon fardeau ailleurs par delà les terres et les mers. Après tout, j’avais toute une fortune « familiale » qui m’y permettait.

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