- Pourquoi ? Pourquoi je ne peux pas être comme toutes les autres filles ?
- Parce que tu n’es pas comme toutes ces filles ordinaires, tu es différentes, tu es spéciale
- Et si je ne veux pas être spéciale ? Je veux être comme tout le monde
- Ca c’est impossible. Allez vient, Maëlyss, rentrons….


Tu es assise devant la fenêtre du salon, contemplant deux vieilles femmes qui discutent dehors, tu les regardes en souriant, pas parce que tu désires boire leur sang non, juste car tu les trouve amusantes. Ta mère arrive derrière toi avec une tasse de sang chaud et te la tend en s’asseyant à tes côtés.
- Qu’est-ce que tu regardes donc comme ça ?
- Les vieilles femmes là bas, elles sont marrantes, tu penses que je serais comme ça un jour aussi ?
- Non Maëlyss, cela t’est impossible.
Tu la regarde alors silencieuse de tes grands yeux bleus et la réalité te frappe de plein fouet, se rappelant à toi d'une manière des plus détestable, te montrant le reflet de ce que tu ne pourras jamais avoir.
- Tu sais très bien que tu vas finir par ne plus vieillir, je te l’ai déjà expliqué.
- Jamais ?
- Non, jamais. voyant bien la tristesse dans tes yeux elle carasse tendrement ta joue de sa main et essaye de te réconforter en te disant  « Mais tu ne mourras jamais non plus » mais rien, tu n’y vois rien de réconfortant.
- Je ne pourrais jamais avoir d’enfants non plus ? elle reste silencieuse, et détourne le regard, toi, tu sais pertinemment ce que cela signifie, alors tu répète, un peu plus fort, tu veux l’entendre de sa bouche.
- Je ne pourrais jamais avoir de famille ? Avoir des enfants ? N’est-ce pas ? N’est-ce pas !?
- Non, tu ne pourras pas.
- Toute nourriture est cendre dans ma bouche, excepté le sang, je ne pourrais jamais avoir ma propre famille et je suis condamnée à errer pour toujours sur terre….c’est tellement injuste. tu finis par lâcher en sentant une larme couler sur ta joue, tu l’essuie aussitôt avant de regarder de nouveau à travers la vitre.
- En effet c’est injuste, mais c’est la vie.
- C’est faux, ce n’est pas la vie, c’est ma vie, mais cela ne compte pas puisque je suis déjà morte…


Les robes volent, tournent en rythme. Les talons martèlent le sol, donnant un tempo régulier à cette danse. Les violonistes caressent vivement les cordes de leur instrument avec leur archet. Et toi tu es là, sur le balcon, à les regarder danser. Qu'ils sont naïfs. Qu'ils sont pathétiques, tous. Où tu es ? Chez toi. Bal d'hiver chez les Bridgestone. Certains sont honorés, d'être ici. D'autres viennent par politesse. Ou encore, pour s'attirer les grâces, et autres dons de Messire Bridgestone. C'est ainsi que ça se passe, dans la haute : on vous fait des courbettes quand vous avez argent et promesses, on vous plante un couteau dans le dos quand vous êtes quelqu‘un d‘ordinaire. Enfin, cette vie te sied bien. Bien que ce soit profondément ennuyant. Figée, à jamais, dans tes vingt ans... Tu les regarde évoluer, te sourire, t'inviter à danser. Ceux sont tous les mêmes : des poches de sang. Très subjectif, tu sais, comme avis. Tu n'y peux rien. Tu n'étais pas méchante, avant. Tu n'arrive juste pas à te contrôler...à l‘image de tes frères et sœurs, cruelle et sans pitié. Combien ont claqué, depuis que tu es ce monstre ? Des dizaines. Centaines peut-être. Comme si tu perdais ton temps à les compter. Tu essaye de garder l'humanité qui s'estompe au fur et à mesure, le plus possible du moins. Autant dire que c'est plutôt dur... Cette nature apporte tant. Tant de défauts alléchants. Les serveurs s'activent, et font circuler des plateaux d'argent sur lesquels trônent des coupes de vin, pour le toast. Un sourire charmeur au serveur, et tu récupère ta coupe. Ah la la... Tu ne peux pas t’en empêcher. Toujours à chercher à séduire...

Le patriarche demande à prendre la parole, montant sur une des plus hautes marches de l'escalier. À sa droite, sa femme, à sa gauche, son aîné : César. Et les six autres enfants sont dispersés dans la salle, les yeux rivés sur leur paternel. Tu secoue un peu la tête, lasse. Allons donc, qu'est-ce qu'il va encore vous sortir, l'ancêtre ? Oui, tu l’aimes ton père. C'est ironique, bien sûr. « Bienvenue, bienvenue ! Bienvenue chers convives pour ce nouveau bal d'hiver. Comme vous le savez certainement, c'est un immense plaisir pour moi et l'entièreté de mes sept enfants de vous accueillir à nouveau, cette année ! » Une voix mélodieuse, interrompant l'homme. Tout le monde se retourne vers celui qui a osé. Tout le monde se retourne vers toi. « L'entièreté ? » Tu reçois un coup dans les côtes, et souris, moqueuse. Esfir qui essaye de se retenir de rire. Ton père te foudroie du regard, et tu fais une révérence, histoire de faire monter la moutarde, encore un peu. « L'entièreté moins Maëlyss, qui comme vous pouvez le constater, est plus que désagréable à cause de ses pulsions. S'il y en a bien une de raté dans la fratrie, c'est elle. ». Est-ce que les convives prennent cela sur le ton de la plaisanterie ? Visiblement oui, puisqu'ils rigolent. Tu souris, avec une bonne dose d'insolence, et prends la peine de répondre une dernière fois. « Alors père, cela signifie que je suis bien la seule à avoir hérité de vos gênes. » Large sourire, tu te retire. Tu sais que tu vas t'en prendre une, dès que tout le monde sera parti. Et après ? Tu t'en fiche, royalement.

Le discours s'achève rapidement : tu n'y prête même pas attention. Ils t'agacent, tous. Le doyen lève son verre et boit le premier, le reste de l'assemblée s'exécute, et toi y compris. Peut-être que ça rendra le coup moins douloureux. Ah non, c'est vrai : l'alcool n'a aucun effet sur ton organisme. Youpi. Tu as presque envie de pleurer. « Et maintenant, je déclare le quatrième bal d'hiver de la famille Bridgestone, ouvert ! » Tout le monde applaudit, et se presse sur la piste de danse. L'aigle descend de son perchoir. Et tu soupire profondément. Cool. Tu peux partir maintenant ? Tu peux croquer dans un cou ? Non. Rien. Tu restes jusqu'à la fin, et tu danses avec toutes ceux qui le voudront. La punition, franchement... Nouveau soupir, et puis finalement tu t’exécute, tu en profite même pour tourner la situation à ton avantage, tu séduis, tu attires, tu pièges ces belles personnes dans tes filets et attends impatiemment la fin de la soirée pour les enfermer dans un pièce et en profiter comme il se doit, tu es d’humeur à vouloir t’amuser et surtout tu meurs de faim !

« T'as vu maman, je suis habillé tout comme papa. » Tu souris franchement, et embrasse les cheveux du garçon Ton fils ? Non, cela est impossible de part ta nature... Plutôt ton fils adoptif. Son fils à lui, à celui qui sera ton mari dans quelques heures seulement. Tu es heureuse. Pour une fois depuis un sacré bout de temps, globalement six longs siècles, tu es heureuse. Trois ans que vous vous êtes rencontrés, trois ans que vous vous aimez à un point que t’en deviendrai niaise. « Eros, tu devrais retourner avec ta cousine et ton oncle, faire les derniers préparatifs... » Le gamin s'exécute, tu souris un peu plus. La vie est belle, vraiment. Et pourtant, tu désespérais de connaître le bonheur un jour. Tu vérifie que tout soit parfait, te détaillant de la tête aux pieds dans cette glace. Vingt ans pour toujours. Il t'a promis qu'après le mariage, il accepterait de devenir comme toi. Ainsi, vous pourrez vivre ensemble, pour l'éternité. Que demander de mieux ? Rien. Et tu es prête à tout pour lui. Jusqu'à te sacrifier. Il est de ta famille à présent, il est ton amant, ton amour, ton futur époux, ta promesse d’un avenir meilleur…

Quelques heures plus tard, et sans une minute de retard, tu es dans cette église. À l'écoute du moindre bruit. Sur des rangées et des rangées, les gens demeurent silencieux. De ton côté, une bonne quantité de vampires. Des amis, et des membres de ta famille aussi, ils ne sont pas tous là, seulement quelques uns.. Il y a certains de ses amis à lui également. Tu souris. C'est donc ça, le bonheur ? Les portes s'ouvrent, tu le vois, il t’attend sagement devant l’autel, les mains croisées, la tête haute, tu déambule dans ta robe blanche pour aller le rejoindre, arrivée là tu le regarde, captivée par son regard lagon. Le maître de cérémonie parle, encore et encore, et pourtant, tu reste sourde à tout ce qu'il peut dire. « Caelan, veux-tu prendre pour épouse Maëlyss ? » « Oui, je le veux. » « Maëlyss, consens-tu à prendre pour époux Caelan ? » « Oui, je le veux. » Son sourire, son magnifique regard. Il t'envoûte, et tu te refuse à regarder ailleurs. Il attrape ta main. « Moi, Caelan Romeo Vladimavich, déclare te prendre, toi Maëlyss Santana Bridgestone. pour épouse légitime, à partir de ce jour, pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse et dans la pauvreté, dans la santé et dans la maladie, pour t'aimer et te chérir jusqu'à ce que la mort nous sépare. » Tu en as les larmes aux yeux, et il glisse alors l'anneau à ton doigt. « Moi, Maëlyss Santana Bridgestone, déclare te prendre, toi Caelan Romeo Vladimavich. pour époux légitime, à partir de ce jour, pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse et dans la pauvreté, dans la santé et dans la maladie, pour t'aimer et te chérir jusqu'à ce que la mort nous sépare. » Un large sourire étire tes lèvres, et il t'embrasse. Que c'est un beau un conte de fées. Quand il s'arrête là, bien sûr.



Bon, d'accord. Fuir cette soirée de mariage n'est pas poli... Mais... Vous ne pouviez pas attendre. Alors oui, une heure de matin, vous abandonnez la salle de réception pour rejoindre une chambre du manoir. Une bougie est déjà allumée sur la table de chevet. Alors, il l'avait prévu ? Ça te fait sourire, un peu plus encore, et entre deux baisers, tu referme la porte. Sa veste ne tarde pas à voler, le tissu de ta robe non plus. Torse-nu, il se retrouve allongé sur le lit, alors que tu t'installe au-dessus. Ses mains glissent le long de ton corset, tandis que vos lèvres se rencontrent, une fois de plus, il te retourne soudain pour inverser les rôles, tu entrouvre doucement les jambes pour laisser son poids reposer sur toi. Tu garde les yeux clos, et il attache tes mains aux barreaux du lit. Minute, quoi ? Il attache tes mains ? Tu romps le baiser, et le regarde, avec un large sourire... Mais qu'est-ce qu'il fait ? Une lame glacée vient se poser sur ton cou. Ça brûle, comme de l'argent. Tu essaye de bouger un peu, et ton sourire passe d'amusé, à légèrement nerveux. « Qu.. Qu'est-ce que tu fais Cae’ ? » Il te sourit. Ce même sourire angélique que tu lui connais depuis trois ans. « Enlève ça s'il te plaît, ça me brûle... » Il appuie un peu plus. Tu fronce un peu les sourcils, et tire sur tes poignets. « J'ai pas tellement envie de jouer avec de l'argent, s'il te plaît, arrête... Je ne trouve pas ça très drôle... » Il ricane méchamment. « Parce que c'était drôle, de décimer ces familles, en Russie ? » Tu te retiens de protester. Comment peut-il être au courant ? Tu ne fronce qu'un peu plus les sourcils, inquiète « De quoi tu... » « Vladimavich, ça ne te rappelle rien ? » En y repensant, oui, ça sonne Russe. Mais tu n'aurais jamais pensé que... « Tu te souviens, la nuit où mon ancêtre a mené l'assaut contre ta famille ? Tu te souviens parfaitement de cette nuit-là. Tu as tué tous les autres après. Mais non, mon ancêtre, tu as transformé sa famille devant ses yeux, et tu l'as obligé à les tuer, en bon chasseur qu'il était. Sauf que, tu en avais oublié une... » Tu secoue la tête. Non, ce n'est pas vrai. C'est totalement impossible. Tu cligne des yeux, alors que la panique te prend lentement... « Et celle que tu as oublié, elle s'est mise en tête de te traquer. Ce fut un échec, alors ce fut au tour de son fils. Nouvel échec... Et c'est ainsi que sur des générations, les plus téméraires sont partis à ta poursuite. Aujourd'hui, c'est moi. Désolé Maëlyss, tu as fait une épouse formidable mais... » Inconsciemment, des larmes de sang coulent. Au creux de tes yeux, puis sur tes joues. Non, non, tu l'aime ! Il ne peut pas, c'est impossible ! Tu l'aime ! Il ne peut pas être un des leurs ! « Mais, Caelan... Je t'aime. On vient de se marier, je donnerai tout pour toi et Eros, tout ! Mon pardon, mon âme ! Je suis prêt à me damner pour toi ! Par pitié, dis-moi que tu étais sincère, je t'en supplie... » Il sourit, mauvais. « Comment est-ce que j'aurais pu l'être ? Je ne t'aime pas Maëlyss. Je ne t'ai jamais aimé. Certes, ce fut laborieux pour avoir toute ta confiance... mais saches que je ne t'ai jamais aimé, en réalité tu me dégoute. De toute façon, quel homme sensée pourrait t'aimer, hein ? Tu es un monstre... » Ses mots te torturent, ils te blessent, ils te coupent et t'achèvent. Les larmes redoublent, et tu es bloquée. « Je t'aime Caelan... Je t'en supplie... Par pitié, j'ai bien changé pour toi, et je peux encore m'améliorer, je te le jure... » Il ricane, à nouveau, et appuie un peu plus sur la lame. « Ne t'esquintes pas, tu es irrécupérable. Rien de tout cela n'était vrai voyons... Ce n'était qu'un jeu pour moi. Un jeu qui fut bien facile... Et le pire, c'est que tu as tout gobé... Le pauvre veuf et son fils, à la recherche d’une femme parfaite... Que tu es pitoyable. » Tu t’es faite rouler, et en beauté. Tu ne sais pas si c'est de la haine ou de l'amour, qui se mêlent pour donner ce résultat explosif qui parcourt tes veines. Tu brûle d'envie de le tuer, de l'embrasser. Tu l'aime. Tu l'aimais. Il te détruit, il te tue lentement. Tu essaye de bouger, et sa lame vient doucement découper la peau de ta poitrine. Tu serre les dents... L'argent te brûle, et tu grimace. Il semble prendre du plaisir à te faire mal, puisqu'il finit par planter la dague dans ton ventre. Tu ne peux te retenir de hurler, tant la brûlure t'est douloureuse... « Je t'en supplie ! » Il secoue la tête, et retire la lame. Tu grogne. Tirant plus sur tes poignets, la corde cède, et tu te redresse, l'attrapant furtivement à la gorge pour le plaquer contre un mur. Les larmes tombent, encore. « Pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi est-ce que tu nous as fait ça, hein ? » Il étouffe, puisqu'il essaye de retirer ta main qui l'étrangle. « Pour... L'honneur... La.. Famille. » La famille. Rien que d'y penser, tu veux le tuer. Il était ta famille, il était ton avenir, il t’a trahit. Tu ne l'écoute plus, l'instinct prend le dessus : tu le mords. Il tente de te repousser, en vain. Tu es plus forte que lui, bien plus forte que lui. Et tu n’as pas envie de t'arrêter de boire, bien au contraire. Il hurle, pleure, tout autant que tu pleure. Il se vide peu à peu, de son sang, de ses forces. Et finalement, il arrête de se débattre, il suffoque... Un dernier hoquet, et il meurt dans tes bras. Tu abandonne son corps sur le lit, et triste, tu laisse la bougie tomber entre les draps. Le visage baigné de larmes, tu rejoins Eros dans sa suite. Il se réveille, et se redresse dans son lit. « Maman ? Pourquoi tu saignes des yeux ? » Tu souris tristement, et pleure, encore. Tu l'attrape contre toi, lui faisant un câlin. « Maman a fait un cauchemar, c'est tout... » Et sans prévenir, tu plante tes crocs dans son cou. Tu dois t'arrêter. Il n'y est pour rien. Pourtant, c'est son fils à lui... Il n'y est pour rien. Les enfants ne doivent pas payer pour les actes des parents. Tu n'arrive plus à t'arrêter. Et au bout de quelques minutes, tu l'as tué. Ton monde s'écroule.

Tu es là, tu les regardes, tous autour de cette table, en train de se partager le pouvoir, chaque représentant des familles les plus puissantes est là, et puis tes frères et sœurs, ces chers frères et sœurs qui n’attendent que ça eux aussi. Tu jette un bref coup d’œil à Satyne, tu sais bien que cela ne lui suffit pas, ne lui suffira pas, cette sœur avide qui en veut toujours plus. Alors vous vous partagez les pouvoirs parce que cela évitera tout désagrément à l’avenir….Est-ce mieux ? Est-ce juste ? Qu'est-ce que la justice au fond ? Qu'est-ce que la vérité ? C'est abstrait, ça n'existe pas, la vérité. Chacun a la sienne. Rien n'est vrai, tout est faux. Tout ceci est complètement absurde et néanmoins a un sens, tu comprends bien ton rôle ici mais tu ne veux pas le tenir et pourtant tu t’y attaches, comme c’est stupide, oui tout cela est trop stupide, eux tous, ils sont si stupides ! Comment établir une paix, cela est-il même possible ? Mais soit, tu choisis de rester, tu choisis de soutenir, tu choisis d’y croire, ton choix c’est l’espoir. Ça ne peut être que mieux ainsi, et cependant au fond de toi tu sais que quelque chose à changé, ce complot, cet assassinat, cette odieuse trahison dont tu as été complice t’a transformé, tu n’es plus la même depuis ce jour-là. Pas que tu aimais ce roi, ni que tu le regrettes, mais comme c’est paradoxal, que les êtres qui vous sont le plus proches, que ceux en qui vous avez le plus confiance se retournent un à un contre vous. Mais c’est bien là l’ironie de la chose, c’est justement quand vous avez quelqu'un qui couvre vos arrières que le premier coup est toujours porté derrière vous. C’est ainsi, il n’y a rien à nier, rien à réfuter, à présent ta vie ta changé et tu sais que plus rien ne sera comme avant. Tu ne sais qu'en penser, tu désires ce changement, tu le crains, tu le repousses, tu l’attends, mais quoi qu'il en soit tu ne dis rien. Tu reste là, tu les regardes, tous autour de cette table, et lorsque César se lève pour porter un toast tu souris.

 «Et bien mes chers amis qu'attendons nous pour reconstruire cette capitale ? A Heartkiller ! »
« A HeartKiller ! » répètent-ils tous en cœur en levant leur calice de sang, et tu les imitent tu fais de même, tu souris de plus belle, tu adresse un tendre regard à ton amour de frère, et tu bois. Tu bois à HeartKiller, et au changement.




Mourir, c'est quoi au juste ? Passer d'un état à un autre, rien de plus. Tu es morte. Tes victimes sont mortes. Certaines ne se réveilleront jamais. D'autres courent les rues de Heartkiller. La mort rend triste, et chaque personne subissant une lourde perte passe par cinq étapes distinctes. Tout d'abord, le déni. On ne peut pas accepter une telle perte, c'est tout simplement inconcevable. Ce genre de choses n'arrivent qu'aux autres. Et quand on comprend enfin, quand on sort de cette bulle, a force de répéter que cette fameuse personne ne reviendra plus jamais. Que cette personne ne vous sourira plus, qu'elle ne parlera plus avec vous, qu'elle ne vous écoutera plus parler, qu'elle ne vous serrera plus dans ses bras... On s'énerve. On s'énerve contre tout le monde, et en particulier contre nous-même. Qu'est-ce que j'ai loupé ? J'aurais dû la rappeler. J'aurais dû passer la voir plus souvent. J'aurais dû lui répéter je t'aime, une dernière fois. En colère et complètement détruit, on se lance dans des négociations impossibles. On ne négocie pas avec la faucheuse. Et pourtant, on est prêt à donner tant ! On est prêt à donner tellement. Tout ce que l'on a, y compris notre âme. On est prêt à tout, pour juste un jour de plus avec le défunt... Finalement, quand on comprend qu'il n'y a pas de négociation possible, quand la rage devient bien trop dure à supporter... On s'agenouille, et on tombe dans le désespoir. Les mains se tendent et se retirent. Et une dernière fois, une dernière étape et pas des moindres : on accepte. Tu ne suis pas ce schéma. Parce que tu n'es plus humaine ? Très certainement. Les sentiments, ce n'est plus pour toi. Les sentiments, ils ne sont là que pour les humains naïfs. Toi tu es... De glace. Tu as toujours été de glace, du moins c’est-ce que tu t'acharnes à répéter aux autres : c'est bien mieux ainsi. Mais toi tu sais que ce n’est pas vrai, depuis la mort du roi tout a changé, tout es différent, tu ne renie plus ton humanité, tu l’accepte, tu l’embrasse, et en fin compte c’est-ce que tu es, oui au fond, tu es plus humaine que vampire.

Les pieds dans la neige, le regard rivé sur le coffre en bois qui descend lentement dans ce trou de terre, tu ne bouges pas. Mains liées, tu ne souris pas, pour une fois. Il s'appelait Matthew. Matthew Blackout. Un de tes nombreux descends... Accompagnant du regard une dernière fois la boîte, tu écoutes rapidement le maître de cérémonie. Accident hein... Chasseurs oui. Quelqu'un ne se retrouve pas empalé ainsi sans raison. Encore moins un vampire. Encore moins Matthew. Tu les détestes, au plus profond de ton être. Ils t'ont tellement enlevé déjà, et ils continuent, encore, un peu plus tous les jours. À quand, une traque aux chasseurs ? Tu n'attends que ça. Les tuer, un à un. Tu n'es pas tellement affectée, par la mort du jeune Blackout. Il avait quoi après tout... Un siècle, tout au plus ? Un jeunot. Ce n'était qu'un jeunot de plus, dont les chasseurs avaient utilisé la naïveté pour mieux le piéger. Secouant légèrement la tête de gauche à droite, perdu dans tes pensées, tu ne te rends pas compte sur l'instant que tout le monde déserte au fur et à mesure. Ton frère, César, te tapote gentiment l'épaule avant de filer. Valadrian, l‘humain que tu as sauvé ce jour-là, alors qu'il avait faillit se faire vider de son sang par des vampires, cet humain que tu chérie tant mais que tu dois sans cesse rabaisser devant les autres pour donner le change, t'embrasse tendrement sur la joue. « Tu as fait ce qu'il fallait faire. » Tu souris tristement, un sourire maigre, pauvre, qui en dit long sur ce que tu en penses. Matt était mourant quand tu l‘as transformé à l‘époque mais finalement n‘aurait-il pas était mieux qu'il meurt en restant lui ? Qu'il meurt en restant humain…« Oui, comme pour les autres. » Réponds-tu, lasse. Lasse d'enterrer des infants. Lasse de voir que les chasseurs sont de plus en plus présents. Lasse, tout simplement. « On rentre ? » Tu te mords légèrement la lèvre, et secoue la tête de gauche à droite, négativement. « ...Non, j'ai encore à faire par ici. Je reviendrai tard, certainement. » Il acquiesce, quoique toujours aussi inquiet pour toi, et embrasse ton autre joue. « Fais attention à toi. » Tu souris tristement. Quel conseil...

Tout le monde est parti, tu restes un instant face à la pierre tombale, et la terre fraîchement retournée. Un autre qui s'en va, et toi tu restes là, sur le carreaux, encore et encore, le même schéma inlassablement. Un enterrement, c'est toujours triste et tu ne peux faire autrement que d’être touchée. Tu prends une grande goulée d'air, et les mains se refermant sur tes bras, tes pieds marquent la neige dans le sens inverse de ta venue. C'est fini, tu dois rentrer maintenant, la vie doit reprendre un cours normal. Un court normal, ce n’est pas vrai, tout cela n’est pas normal et tu le sais pertinemment, de toute ta famille tu es celle qui a eu le plus de mal à te faire à cette condition de vampire, au fil des siècles tu t‘es lassée de jouir de l‘immortalité et de cette puissance dont tu ne sais plus que faire. Aucune créature ne devrait avoir un tel pouvoir de vie ou de mort sur terre. Pendant toute une époque, tu as pourtant essayé de t'y faire, en prenant modèle sur tes frères et soeurs. Grave erreur, car finalement ça ne te correspond pas, ça ne te correspond plus...Bien que les tiens sachent combien tu affectionne les humains, ce qui évidement ne les enchantent pas toujours, ils ignorent tout de ton profond mal-être. Tu te dois d’éviter de soulever les doutes auprès du reste de la population vampirique, qu‘adviendrait-il si tout le monde était au courant que la Reine Blanche déteste être ce qu'elle est, tu essaye de te montrer cruelle, de continuer à prendre exemple sur tes aînés... Mais tu sait très bien que tu ne pourras pas jouer ce rôle longtemps. Un jour, tu devras leur dire la vérité. Un jour, tu devras avouer que tu n’es pas prête à supporter l'éternité…