Dans une histoire où ‘Il était une fois…’ n’aurait jamais sa fin heureuse...


« Andrèa, je vous aime. »

La brise balayait leur peau. Comme une caresse funeste, elle dansait dans leurs cheveux ondulés. C’était un souffle, une promesse que la nuit elle-même octroyait. Lentement, la respiration doucereuse de l’alizé souleva les vêtements. Petits cerfs-volants fébriles, qui laissaient dévoiler l’épiderme blanc frissonnant. Alors au loin, berceuse d’une étreinte prompte à venir, le ciel gronda. Ce fut des larmes enragées. Des larmes acérées. Et, dans une colère qui ne tint qu’à lui, l’éden déversa sa démence.

Allongée sur la pelouse mal défrichée, elle n’avait pas remué d’un millimètre. Ainsi, la chevelure éparse en une auréole démoniaque, elle ressemblait à l’une de ses icônes religieuses. Le corps éteint. Le visage reposé, presque serein, bien que résigné. Une larme de pluie dévala sa joue. Compassion illusoire, qu’elle aimait pourtant prendre comme telle. Un sourire étira ses lèvres. L’imminence lui semblait bien douce en cet instant. Elle pouvait la sentir. Cette petite réalité dévastatrice, qui luisait au creux des prunelles brûlantes de son amante chimérique. Alors, elle dévoila avec nonchalance l’insouciance de sa poitrine opaline. C’était l’offrande. La biche qui s’inclinait d’elle-même face à la gueule meurtrière du loup. Sa petite tête roula sur un côté, tandis qu’elle laissait ses doigts courir le long de son corsage. Elle y décelait sous leur bulbe le rythme irrégulier d’un organe devenu poussière d’encre. Petite danse lancinante, où le râle lointain d’une moralité passée semblait vibrer encore. Elle pressa au creux de sa paume ce sein qui ne voulait cesser cet appel désespéré. Comme si cela suffirait à étreindre les dernières cendres d’innocences…

« Embrassez-moi. Puisque vos baisers n’éveillent pas d’un profond sommeil. Mais qu’ils l’appellent, bien au contraire… » Une lueur de crainte traversa son regard azur. Et enfin, elle comprit. La mort était si proche, qu’elle aurait pu l’effleurer du bout des ongles. C’était ce souffle. Cet élan saccadé sur ses épaules, contre ses reins. Cette bouche, toujours plus avide, toujours plus agressif, de sa chair, de son air. Alors, elle agrippa une poignée d’herbe. L’humidité de cette végétation devenue rebelle par les années négligées, fondait en une brûlure amère. Même l’eau ne savait résister à la combustion de ce corps hérétique. Inlassablement, elle répétait ce prénom. Son prénom. Peuple de ses rêves, de ses fantasmes les plus fous. C’était une litanie sans vergogne. Une prière déliquescente. Un hymne…

Elle rejeta ses bras en arrière. Signe de son abandon, qu’elle assumait sans rougir. Lentement, elle déploya ses membres, Christ de cette passion ; depuis le premier jour destructrice. Elle compta les secondes manquées, les minutes folâtres qu’elle sentait s’ébrouer de çà et là. Le temps accélérait sa cadence. C’était la fin. L’inévitable. C’était le sang. L’inconcevable. Puis le silence… Le silence.

Andrèa releva ses prunelles vers ce visage délicat. Il semblait tout aussi perdu, tout aussi interrogateur qu’elle ne l’était. Les éléments s’enchainaient désormais telle une valse lente et décalée. C’était un arrêt. Un répit doux et religieux. Alors, elle glissa une poigne assurée autour de sa nuque, et dans un souffle hésitant, plaqua sur ses lèvres aussi impitoyables que froides, les siennes...

« Je me dois, de disparaître. »



C’était cette odeur. Cette sensation agréable. Cette étreinte despotique. C’était cet effluve enivrant. Cette petite soie envoûtante. Cette familiarité évidente !

Ô, petite mort illusoire, qu’elle revêtait inlassablement tel un long manteau d'abîme. Comme elle aimait s’y frictionner encore et encore. Blanchissant la peau déjà pourtant si pâle. Il fallait disparaître. Disparaître, pour enfin renaître. Pour enfin, paraître ? Mais comment ranimer la flamme de l’éternel, quand soi-même on n’était plus ?... Alors, elle s’obstinait. Embrassant de ses longs bras limpides l’existence éteinte de ceux qui, désormais gisaient sous ses pieds. Elle caressait en effet, les surfaces lisses et légèrement humides du sépulcre dévastateur, comme une mère chérirait son enfant. La tête inclinée, âme en peine, âme en phase de devenir ou bien de s’éteindre, elle se perdait en contemplations vaines. Dans son cheminement, elle jetait par ailleurs quelques mots. Quelques noms, égarés là sur les pierres victimes elles aussi, de l’érosion. Au loin, elle pouvait entendre les grondements de l’obscurité.

Elle se souvenait présentement d’Elle. Elle ignorait d’où remontait ce lointain parchemin, mais elle n’avait oublié les quelques lignes qu’elles avaient inscrit ensemble sur la toile de leur existence. Alors elle se laissa bercer par cette douce mélancolie. Par cette violence qui venait de la saisir aux tripes. Ses sourcils se froncèrent en une incompréhension visible. Pourquoi ? Pourquoi maintenant, alors qu’elle s’était laissée depuis trop longtemps allée à la négation de ce qui l’avait par ailleurs constitué ? Elle ferma ses paupières. Mais le refus ne voulait plus prendre l’avantage. Il semblait se terrer dans un mutisme qu’elle ne lui connaissait pas jusque-là. Elle le maudit silencieusement. S’injuria impétueusement.

A cet instant, la vivacité des faits déforma son visage. L’étirant en une grimace effarée, qu’elle ne put maîtriser. « Toi... » C’était une constatation plate. Indifférente au premier abord, bien que la flamme d’une passion encore terrifiée creusait vivement son regard déconfit. Là-bas, voûtée parmi les ombres sépulcrales, Elle se tenait. Fleur majestueuse perdue au fond de cette bouche funéraire. Elle n’osa prononcer une nouvelle fois le moindre mot, de peur que le songe ne s’envole. Que l’apparition ne s’endorme. Et pourtant, Elle était réellement ici. Invisible au joug accapareur du monde...

Elle effleura du bout des ongles l’empreinte mortelle d’un baiser, là, près de sa clavicule où gisait la marque indéniable de cet amour despotique. La brise agita sa chevelure, appel dénonciateur de son arôme. Et, quelques secondes suffirent à la fuite de ce Souvenir Ombragé…



L’obscurité. Petite bête aimante et omniprésente. Elle envahissait le cœur des Hommes. Elle envahissait le corps. Grignotait avec véhémence l’os, jusqu’à ne plus rien laisser. Elle était téméraire, et sans chaîne. Sans gêne, aussi. Elle prenait tout. Le beau, le laid. Le bien, le mal ? Elle était poison. Tortionnaire. Missionnaire. Petit insecte intenable sous les veines bleues. Insatiable. Elle s’insinuait. S’accaparant l’espace. Insufflant à l’âme lasse… un éternel mystère, que chaque être sentait poindre en lui. Et qui, ne cessait d’étendre ses griffes à l’infinie. Comme une promesse salutaire. Un adieu mortuaire...

« Un aller simple pour la Floride, s’il vous plait. J’aimerai partir le plus tôt possible. » Andrèa ne releva pas le regard interrogateur de la jeune femme. Distraite, elle se contenta de suivre la trace irrégulière qui trônait sur sa peau pâle. Dans quelques heures, elle ne serait plus…

C’était peut-être ça. Cette sensation étrange, ce picotement délicieux qui prenait l’abdomen, ce cheminement indicible des reins jusqu’à la nuque. C’était une maladie, virus incurable ravageant tout sur son passage. De la tête engourdie où grouillaient les petits insectes, au cœur affolé que le rythme effréné manquait souvent d’abdiquer. Mais c’était intense. Et ça prenait le corps, comme un courant d’air enveloppait la peau. Il n’y avait aucune échappatoire. L’épée de Damoclès restait là, telle une promesse funeste, un avenir funèbre…

L'Amour...


... elle se perdit malgré tout, dans cette spirale sans retour.