▲ CHAPITRE UN ; ONCE UPON A TIME…

Julian, vingt-cinq ans, célibataire mais coureur de jupons professionnel, dealer de drogue et voleur mineur à ses heures perdues. Adam, vingt-trois ans, aussi surnommé ‘le mec qui vivait au jardin d’Eden’ - je reviendrais là-dessus plus tard - un petit nouveau chez nous, je l’aimais bien, il était calme, il n’avait jamais une pointe de méchanceté, c’est d’ailleurs pour ça que j’avais accepté de le « prendre sous mon aile ». Voilà, c’était avec ces deux boulets que je vivais depuis quelques semaines. Au début, j’habitais chez Grégory, un vieil ami, je le connaissais depuis maintenant au moins six ans, si c’est pas plus, seulement vu que depuis peu il s’était fait coincé par les flics et qu’ils l’avaient directement envoyé en tôle, j’avais dû prendre mes bagages et filer ailleurs pour pas qu’ils me trouvent moi aussi. Bien sûr, j’aurais pu aller chez mes parents mais bon… Les connaissant, ils allaient encore me demander de participer au loyer et je préférais autant vivre avec des collègues qu’avec eux. Si c’était pour parler à deux portes de placard, c’était franchement pas la peine. Depuis tout petit, on ne peut pas dire que mes parents s’étaient vraiment souciés de moi. Ils savaient jamais en quelle classe j’étais, des fois même quel âge je pouvais bien avoir, si j’étais dehors ou dans ma chambre, puis avec tout l’alcool qu’ils consommaient par jour, il y avait rien à en tirer.

Jusqu’au lycée, j’avais toujours à peu près suivi en cours. J’étais pas le premier, mais j’étais pas non plus le dernier. D’ailleurs mes professeurs avaient toujours été fiers de moi et connaissant ma situation familiale ils étaient impressionnés que j’arrive à sortir la tête de ce merdier. Très tôt on m’avait dis que j’avais un esprit particulièrement vif et calculateur, c’est pourquoi on m’avait conseillé de poursuivre mes études pour faire un bon métier. Mais bon… En voyant l’ambition qu’accordaient mes parents pour mon futur et surtout l’attention monstre qu’ils me portaient chaque jour, je m’étais vite découragé. Certes j’étais peut-être très intelligent, mais quand on a pas la motivation, ça sert à rien. En plus, mes parents avaient pas assez d’argent pour me payer de brillantes études. Eux, tout ce qu’ils avaient, ils le dépensaient dans le vin, la vodka ou le rhum quand ils étaient contents. En tout cas, ce qui est sûr c’est qu’ils s’étaient bien trouvés ces deux-là, ils avaient le même centre d’attention : boire. Boire jusqu’à même plus pouvoir tenir debout. Aussi, il est normal que dès mon plus jeune âge je m’étais familiarisé avec les boissons. Contrairement à mes géniteurs, ça n’avait jamais été une obsession, au contraire, j’avais jamais vraiment accroché. D’où le fait que je n’ai jamais vomi la tête dans la cuvette des toilettes.

Vers les quinze-seize ans, j’avais fait une belle rencontre : la drogue. Elle était devenue ma fidèle amie, celle qui me faisait oublier tous les problèmes du quotidien et surtout la situation familiale. D’ailleurs plusieurs fois j’étais rentré pas vraiment clair à la maison, mais pas une seule fois mes parents s’en sont rendus compte. Au lieu de faire attention à moi, ils préféraient compter leurs bouteilles sur la table. Intéressant, n’est-ce pas ?
Lorsque j’avais quitté le lycée après la seconde c’est à ce moment-là que je m’étais mis à voler. Bien sûr, j’étais pas un braqueur de banque, non, moi je me limitais aux vieilles bourgeoises, c’était le plus facile pour se faire la main. J’ai pas vraiment honte de le dire parce que j’ai fait pire, mais j’en suis pas très fier non plus. Disons qu’il fallait bien se faire de l’argent d’une façon ou d’une autre. En l’occurrence j’avais pas pris la plus honorable. Commençant à traîner dans des histoires louches, c’est en rejoignant un groupe de dealers/voleurs et toutes ces belles professions que j’avais rencontré Gregory. Lui était dealer professionnel, c’était d’ailleurs mon fournisseur officiel. Bien vite puisque nous étions à peu près du même âge - lui avait un an de plus que moi - nous étions devenus très proches. Aussi après quelques mois, j’avais décidé d’emménager chez lui, mes parents me sortaient par les yeux, je pouvais plus les voir, c’était viscéral. En plus avec Gregory on s’entendait bien, on avait les mêmes délires. Et même si on n’était pas à l’abri de voir les flics débarquer, on passait toujours de bons moments en profitant de l’instant présent. Pour des jeunes de dix-neuf et vingt ans, on avait un appartement plutôt spacieux. La raison ? Vendre de la drogue et faire de faux papiers officiels, ça rapportait assez bien. Ainsi, vivant à présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensembles, Gregory et moi on avait noué des liens très forts. Pour moi, il était comme un frère et c’était réciproque. Si l’un venait à se faire prendre, il ne parlerait jamais de l’autre pour lui éviter tout problème. D’ailleurs, la sœur de Gregory, Roxanne, était aussi devenue très importante pour moi. Au début, en constatant notre rapprochement, Greg avait vu rouge. Il craignait qu’en me fréquentant elle aussi s’embarque dans des affaires troubles et puis il voyait pas son meilleur ami sortir avec sa petite sœur. C’était son point sensible. Seulement, avec Roxanne on a toujours été de très bons amis, des confidents même, mais ça n’a jamais été plus loin. Déjà je savais que son frère nous avait à l’œil, et ça me refroidissait pas mal je dois l’avouer, mais même, je voyais plus Roxanne comme une sœur et pas vraiment comme une petite amie potentielle. Du coup, vu les histoires qui sont arrivées à son frère, c’est dorénavant à moi de veiller sur elle. Et attention, j’ai dans l’optique de bien jouer mon rôle ! Surtout que je n’aime pas lorsqu’il lui arrive quelque chose, ou même quand quelqu’un vient l’embêter, d’autant plus lorsque ce quelqu’un est un homme qui n’a pas des pensées très charitables. Par contre, je tiens à préciser qu’en aucun cas je ne suis jaloux, peut-être trop protecteur et encore. Mais Roxanne c’est une fille que je connais depuis plusieurs années, c’est ma meilleure amie et j’aime pas qu’on s’en approche de trop près.

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« Hey, Math tu fumes ? Allez dis pas non ! » J’enjambai tout le foutoir répandu sur le sol. L’appartement ces temps-ci était vraiment une porcherie. Moi j’avais pour habitude de ranger un minimum mes affaires, j’aimais bien que les choses soient à leur place, mais on pouvait pas en dire autant de mes deux compères, affalés sur le canapé tout mou qu’ils avaient récupéré de je-ne-sais-où, avec chacun un joint coincés entre leur index et leur pouce, installés face à la télé – volée quant à elle. Par terre, nous avions une mosaïque de choses en tout genre. Des vêtements, surtout des chaussettes, des bouteilles vides, un cendrier, un portable, l’ancienne brosse à dents de Julian qu’il était sensé avoir jetée. Enfin, un vrai dépotoir.
Finissant de franchir tous les obstacles qui se présentaient à moi, je jurais entre mes dents avec un air désabusé, en fronçant les sourcils. « Putain les mecs, sérieux vous voulez pas faire le ménage un peu ? » « Attends, c’est aux femmes de faire ça, nous c’est pas notre travail. » Désespérants, ils étaient vraiment désespérants. Le pire c’est qu’ils étaient toujours comme ça, même quand ils étaient clairs.
Je me penchai pour prendre le joint des mains d’Adam en prétextant qu’il était trop jeune pour fumer ça avant de le porter à ma bouche en répliquant à l’attention de Julian avec un sourire en coin. « Bah trouves-toi une copine alors. Parce que là, à force de voir vos affaires s’accumuler, le couteau dans la cuisine va me faire de l’œil. » « Espèce de sadique… Vil créature… T’es même pas un poil gentil avec tes colocataires. ». Souriant un peu plus en voyant la tête de chien abattu de Julian, je les rejoignis sur le canapé, m’enfonçant dedans au milieu de mes deux colocataires. A peine m’étais-je installé que la sonnerie de la porte secoua tout l’appartement. Ça devait être Roxanne, elle avait dit qu’elle passerait aujourd’hui. Enjambant la table basse, j’allai lui ouvrir en entendant en bruit de fond Julian et Adam qui imitaient le roucoulement des oiseaux. « Vous êtes des grands gamins, franchement. »


▲ CHAPITRE DEUX ; C’EST TROP BANAL D’ÊTRE SENTIMENTAL

Ça faisait au moins deux jours que Rox’ revenait à l’appartement toujours en pleurs. A la seconde où je l’avais vu pleurer je m’étais douté que quelque chose n’allait vraiment pas. Roxanne c’était pas une fille du genre à pleurer pour un rien, à se lamenter sur sa misérable vie et puis elle avait un mental en acier. Jamais elle n’osait montrer ses faiblesses. D’ailleurs son comportement m’avait toujours déboussolé. Elle avait un visage de poupée mais un vrai caractère de chien. Et justement, l’image fragile qu’elle renvoyait me poussait tout le temps à être près d’elle et à en prendre soin comme si elle allait se casser. Sauf qu’à chaque fois elle faisait celle qui n’avait besoin de personne et qui ne supportait pas qu’on la pouponne. D’ailleurs à force de vouloir trop jouer aux guerrières amazones, on s’était souvent pris la tête. Elle était trop intrépide et aventureuse, à chaque fois elle frôlait le cataclysme, et quant à moi j’étais obligé de tout réparer derrière elle. Bref. Quand elle veut, elle peut être vraiment chiante.
Et là une fois de plus elle avait fait n’importe quoi et elle n’arrivait plus à émerger de tous ses problèmes. Le premier jour qu’elle était arrivée en larmes, il avait fallu bien la mettre en confiance pour qu’elle finisse par nous raconter le souci. Julian avait voulu la droguer comme ça elle se confierait plus facilement mais rien qu’à voir le regard noir que je lui lançai, il avait vite changé de sujet. Le deuxième jour on en avait appris plus sur l’histoire à laquelle elle était mêlée. En fait, le gros de l’affaire c’était qu’elle était sortie avec un type pas des plus fréquentable, un espèce d’ex-tôlard fraichement sorti de prison qui lui demandait à chaque fois d’aller voler pour lui ; une des choses qu’on refusait qu’elle fasse avec Greg pour pas qu’elle tombe aussi bas que nous. Aussi, inutile de vous décrire ma réaction face à ça. Bien sûr, j’avais juste envie d’engueuler Roxanne pour s’être laissée emporter dans un espèce de système mafieux, mais le plus important c’était de la protéger de ce certain « Idriss ». Et pour mieux la garder à l’écart de lui, on avait décidé de la faire dormir ici, à l’appartement. Adam était d’accord pour lui laisser sa chambre, lui il dormirait provisoirement sur le canapé tout défoncé. Au début, ça devait être à Julian de laisser sa place mais finalement Adam s’était dévoué. Lui aussi il aimait bien Roxanne. Ils étaient du même âge alors ils s’entendaient bien, puis Adam il avait quand même la tête sur les épaules alors, pour moi comme pour Greg, il y avait aucun problème à leur relation. On préférait encore qu’elle traine avec lui plutôt qu’elle aille voir un gars du même type que le Idriss. Chose que pour le coup, on avait pas pu empêcher.

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« Rox’ viens déjeuner, reste pas allongée comme ça toute la journée, on dirait une femme enceinte dépressive. » Voyant qu’elle s’enfonçait encore plus sous sa couette, je m’approchai d’elle pour m’accroupir face à son visage. « Je suis franchement désolée de vous mettre dans une telle merde, c’était pas ce que je voulais crois-moi. J’ai peur qu’il vous arrive quelque chose du coup. » En souriant, je lui ébouriffai les cheveux. « T’sais, la police ça fait au moins trois ans qu’elle a mon nom dans ses dossiers et qu’elle m’a toujours pas retrouvé. Puis Julian, ça doit faire plus de six ans ! Donc, t’inquiètes pas pour nous, c’est pas nécessaire. » Sans qu’elle ne le dise explicitement, je me doutais qu’elle faisait un parallèle avec ce qui était arrivé à son frère. Elle craignait que tous ses proches partent en prison et je pouvais comprendre que ça lui fasse peur. Mais bon, pour le coup, Greg il avait pas été malin en laissant des preuves, or nous en plus nous n’avions jamais commis de gros délits ni tuer quelqu’un, donc il y avait pas vraiment de raison à ce qu’on aille en prison.
En effet, depuis que je m’étais laissé entraîner dans ce cercle vicieux, j’avais toujours gardé un brin de lucidité. Puisque mon côté calculateur et manipulateur ne pourrait pas me servir dans mes études autant l’exploité afin qu’il ne m’arrive rien. D’ailleurs, je m’en étais toujours bien sorti jusqu’à présent, espérons que cela continue. Les gens, j’aimais bien les embobiner, les mettre en confiance, les tromper, jouer avec eux, c’était devenu naturel. Du coup, on se méfiait de moi, on savait que dans mon cas les apparences étaient vraiment trompeuses et qu’en aucun cas j’étais l’ange agréable et sympathique que je prétendais. Cependant, même si la plupart du temps j’avais pas trop d’attache avec les autres, et je ne me gênais pas pour leur faire un coup à l’envers, reste qu’avec ceux que j’appréciais vraiment c’était différent. Jamais, par exemple, je ne me serais permis de jouer avec les sentiments de Roxanne ou sur notre amitié avec Gregory. Du coup, lorsqu’ils leur arrivaient quelque chose, j’étais différent. Je me sentais concerné par leurs problèmes et je faisais tout mon possible pour les aider. En fait, même si aucun lien de sang ne me reliait au frère et à la sœur, on s’était toujours dit qu’on était une fratrie. D’ailleurs, comme tous frères et sœurs normaux, on s’était construit des rêves. Roxanne désirait vivre en Europe, c’était son souhait le plus cher. Elle voulait partir de New York, aller loin pour fuir tout ce bordel dans lequel on était. Greg’ songeait à devenir patron d’une entreprise pour finir milliardaire – mais lui il a toujours eu trop d’ambition. Quant à moi, c’était à peu près comme Roxanne, je voulais quitter tout ça et commencer une nouvelle vie. Etre une personne comme les autres, sans stresser tous les jours par rapport à l’avenir, parce qu’il faut bien l’avouer, j’étais pas très fier de notre condition de vie.

Pensant à tous ces rêves d’enfant, je me levai et allai fermer la fenêtre parce qu’il commençait à faire sérieusement froid dans la pièce. Une fois fait, j’avais machinalement, sans vraiment y faire attention, regardé sur la commode pour y voir trois cachets colorés dont je reconnaissais parfaitement les symboles gravés dessus. Enervé, je les avais pris dans ma main pour les flanquer sous le nez de Roxanne qui se réveillait doucement. « Putain, mais c’est quoi ça ? Tu m’expliques pourquoi tu prends de l'ecstasy ? T’es tombée au fond du gouffre, mais qu’est-ce qui se passe dans ton cerveau ? » Je savais que pour le coup, j’avais pas été très doux mais là c’était vraiment le TRUC par excellence que je ne pouvais pas supporter. « Mais laisse, c’est bon. C’est pour penser à autre chose, j’en ai marre de tout ça, j’ai besoin de m’aérer l’esprit. Et puis rends, c’est à moi ! ». Mettant les comprimés dans ma poche, je l’avais entraînée par le bras jusqu’à la cuisine, forcée à s’asseoir sur une chaise pour ensuite déposer sur la table négligemment le bol de lait avec les céréales qu’Adam venait de lui faire chauffer au micro-ondes. « Manges et après on part. » J’en avais déjà ras-le-bol d’être enfermé ici comme un lion en cage, de devoir penser que mon meilleur ami est enfermé dans un prison pourrie et décrépie alors maintenant que Roxanne faisait n’importe quoi, fallait dire stop et s’éloigner de tout ça. Comme elle venait de le dire, on devait « s’aérer l’esprit » et c’est ce que je comptais faire. « On va en Europe, peut-être en France ou en Angleterre, je sais pas, on verra bien. » Soudain, alors qu’elle tirait une tête de six pieds de long et évitait mon regard, son visage s’illumina. Pour tout vous dire, ça faisait déjà pas mal de temps que je pensais partir mais j’hésitais toujours en pensant que j’allais laisser du monde derrière moi. Mais là, c’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase et je pouvais pas la laisser s’enfoncer comme ça, de même que j’en avais plus qu’assez d’être avec des gens sans avenir et sans espoir. Comme Adam nous disait souvent « On avait tous notre propre destiné » Et en l’occurrence, la mienne ça devait être de partir loin et de devenir quelqu’un d’autre.
Le matin même, on faisait nos sacs, moi je prenais l’argent que j’avais mis de côté et adieu l’Amérique ! On allait devenir des gens comme tout le monde, des français, qui parlaient pas vraiment bien le français d’ailleurs, mais c’était pas grave, on apprendrait sur place, ça devait pas être sorcier.


▲ CHAPITRE TROIS ; TROIS PETITS CHATS TROIS PETITS CHATS

Ça faisait peut-être une heure qu’on avait quitté le continent direction l’Europe. Nous étions à la fois excités, angoissés, stressés mais surtout libérés. Dans l’avion Roxanne arrêtait pas de parler. Un vrai moulin. Elle était contente et ça se voyait ! Elle m’expliquait de long en large comment elle imaginait notre nouvelle vie. Premièrement, elle voulait qu’on ait un appartement à deux comme ça on pourrait se soutenir mutuellement et on serait pas séparés en terrain inconnu. Deuxièmement, elle voulait faire des études en médecine ou devenir actrice ou sinon maîtresse en maternelle, enfin faire quelque chose qui lui plaisait vraiment et qui n’avait rien à voir avec notre passé. Ensuite, elle voulait devenir autonome pour pas avoir à compter sur quelqu’un toute sa vie. Elle aimait pas qu’on lui dicte ses faits et gestes et pour l’instant elle n’avait pas du tout envie de se marier et de fonder une famille. Ça elle le ferait quand elle serait plus vieille, pour l’instant elle voulait profiter.
Ainsi, je m’amusais à l’écouter commençant moi aussi à penser à un avenir idéal lorsque brusquement l’avion eut une secousse. Puis une deuxième. Il se mit alors à pencher dangereusement, la tête en avant et à perdre de plus en plus d’altitude. Autour de nous, les gens étaient tous affolés. Roxanne s’était accrochée à mon bras. C’est alors que tout le monde se mit à crier en même temps, puis le trou noir.
Lorsque je rouvris les yeux, il faisait nuit. J’étais allongé près d’un rocher sur le sable, quelque chose de froid posé sur mon bras. Reprenant mes esprits, je m’étais tourné vers la « chose » pour m’en dégager mais je fis une pause brutale. J’étais collé à un cadavre. Et puis, il n’était pas le seul. En réalité, des centaines comme lui jonchaient le sol. J’avais l’impression d’être arrivé tout droit en Enfer et même si j’avais conscience que j’étais en fait le seul survivant du crash aérien, je ne voulais pas y croire. Le pire, dans tout ça c’était que je ne voyais Roxanne nulle part. J’étais complètement dépité à l’idée qu’elle soit morte, je devais la retrouver, je devais savoir où elle était, dans quel état elle était, il fallait que je m’assure qu’elle soit en vie.
Allant pour me relever, une femme séduisante se posta tout à coup face à moi. Elle était apparue si vite que j’en étais complètement ébahi, déjà que j’avais un mal de tête cuisant mais alors voir des choses surprenantes comme ça, ça me fichait encore plus mal au crâne. J’étais pas en état de réfléchir donc je ne cherchai pas à comprendre comment elle avait fait pour arriver aussi vite. Au lieu de ça, je restai figé devant ses canines proéminentes et son regard profond et emplit de curiosité. Inconsciemment, je n’étais pas très rassuré par la vision de ses dents, mais je n’avais jamais cru en quoi que ce soit de surnaturel donc je ne pensais même pas à l’hypothèse du vampire, pour moi il s’agissait peut-être d’une mal formation ou quelque chose dans le genre. « Amélia, t’as trouvé quelque chose ? » C’était la voix d’un homme, peut-être un autre naufragé, c’était ce que je m’étais dit. Toutefois, lorsque je voulus relever la tête pour voir de l’autre côté du rocher qui avait parlé, la jeune femme m’en empêcha et posa un index sur sa bouche pour me dire de ne pas faire de bruit. Puis, elle partit quelques mètres plus loin faisant comme si elle observait le reste de la plage. « Non rien. On peut partir. » S’ensuivit un silence de mort. Amélia n’avait pas parlé de moi, on voyait même qu’elle était plutôt stressée, elle m’ignorait et insistait pour que les autres partent avant elle, prétextant vouloir faire un dernier tour de garde. Puis, lorsque les bruits de pas des hommes s’éloignèrent assez, elle revint vers moi avec un sourire qui se voulait amical mais que je ne comprenais pas. « Reste-là, je vais revenir mais ne fais pas de bruit et si tu vois quelqu’un fait comme si tu étais mort, il ne t’arrivera rien » Pour elle, l’instant avait l’air d’être capital, sauf que pour moi je ne comprenais absolument pas ce qui se passait et je commençais sérieusement à me demander si elle n’était pas un peu haut perchée. D’autant plus, que j’avais autre chose en tête, il fallait absolument que je retrouve Roxanne c’était plus important que tout. Aussi lorsqu’Amélia partit rejoindre les autres je ne pus rester à l’attendre comme elle me l’avait demandé. Même si ce n’était pas par joie que je fis cela, j’entrepris de parcourir la plage et d’inspecter chaque corps en espérant reconnaître ma meilleure amie et qu’elle soit en vie. Mais sans succès. Elle n’était pas ici. Peut-être avait-elle rejoint l’épaisse forêt qui s’étendait devant la plage, c’était ce que je pensais mais surtout ce que j’espérais. Ainsi, je m’enfonçai dans la jungle à sa recherche. Au bout d’un quart d’heure alors que j’étais en train de me faire bouffer par les moustiques et écorcher les jambes par les ronces, je tombai sur une sorte de petit cabanon apparemment à l’abandon. Avec les minutes, j’avais de moins en moins d’espoir de la retrouver. Peut-être en fait qu’elle était morte mais que je ne l’avais pas vu parmi les corps, ou alors peut-être qu’elle avait été noyée dans l’épave de l’avion qui était à moitié immergée… Je commençai sérieusement à voir tout en noir, j’étais au fond du trou. En plus, je n’arrivais pas à chasser toutes ses pensées négatives, j’en venais même à me dire que c’était ma faute, que je l’avais lâchée, mon cerveau était en effervescence et je n’arrivais pas à le calmer. En puis, le fait de ne voir personne à part la jungle qui s’étendait à perte de vue, ça me remontait pas vraiment le moral. D’un côté je regrettais de ne pas avoir attendu Amélia mais d’un autre, je la sentais pas. Je sais pas, elle avait l’air mystérieuse, trop obscure… Bref. Elle m’avait l’air étrange et j’aimais pas les gens difficiles à cerner. Et puis c’était quoi ce regard de fauve et c’est canines de dix centimètres ? Sérieux, je commençais vraiment à penser que j’étais sur une île de fous. C’était pire que le jardin d’Eden d’Adam. Un coin imaginaire où il rêvait d’habiter et où tous ses rêves même les plus louches prendraient forme. C’était son pays des merveilles à lui et à chaque fois qu’il avait une idée pour son futur il nous disait « Vous savez, dans mon jardin d’Eden à moi, j’aurais un travail stable et j’en serais fier. Pas comme maintenant. Mais en attendant, bah, j’attends ! » En résumé, c’était ses espoirs de vie meilleure qu’il avait regroupé dans un monde parfait.
Aussi, repensant à Adam comme avec une pointe de nostalgie, je décidai de partir vers ce fameux cabanon pour y passer la fin de la nuit et me reposer avant de reprendre mes recherches. De ce fait, croyant dur comme fer qu’il était inhabité, je n’avais donc pas du tout prévu de me faire assommer d’un coup de poêle par une jolie jeune fille. En même temps, c’est plutôt spécial comme façon de souhaiter la bienvenue donc je vois pas comment j’aurais pu m’en douter. Quoi qu’il en soit, après m’être effondré comme une masse par terre, je rouvris les yeux, posant une main sur ma tête avec une grimace. L’espace de quelques minutes, je savais plus vraiment où j’étais, même qui j’étais, ce qui venait de se passer, enfin j’étais encore un peu sonné. Puis, ma vue commençant à redevenir claire, je vis la même fille qui venait de m’assommer, accroupie près de moi avec un air gêné. Etant pas un habitué de la proximité avec les inconnues - aussi belles soient elles - je ne savais pas trop par où commencer niveau conversation. Dire « bonjour, moi c’est Mathias et toi ? » c’était pas vraiment mon truc… Au lieu de ça, je m’étais relevé en disant un bref « Désolé de t’avoir fait peur ». Pas merveilleux comme réponse mais c’était tout ce que j’avais pour le moment et vu les circonstances.


▲ CHAPITRE QUATRE ; AND FOR THE FUTUR…

A présent, cela fait déjà plusieurs jours qu’avec Beth on vit en « colocation » dans le cabanon. On s’entend plutôt bien donc ça se passe tranquillement, mais j’avoue que des fois cette fille, elle est vraiment étrange. Enfin maintenant je m’y suis habitué donc son comportement me fait plus peur mais au début je me suis vraiment demandé où j’avais atterri. La nuit, elle m’inquiétait vraiment. Elle se faisait les questions et les réponses, comme si elle était à plusieurs dans son cerveau, parfois même elle venait vers moi et elle m’observait dormir pendant de longues minutes sans que je n’ose bouger un petit doigt ou alors elle me réveillait en vitesse parce qu’elle avait soi-disant vu quelqu’un à l’intérieur du cabanon. Seulement, depuis j’ai appris à la connaître et à la cerner et même si je connais pas toute son histoire, je sais qu’il faut la mettre en confiance et être très attentionné avec elle sinon elle se braque et c’est fini. En tout cas, je sais pas pourquoi elle est comme ça, mais ça me fait mal au cœur de la voir autant sur le qui-vive et anxieuse avec les gens. J’ai pas l’intention de la trahir ou de la laisser, à force je me suis habitué à la voir, à l’entendre se parler toute seule. D’ailleurs, j’aime pas quand elle a une baisse de moral ce qui arrive souvent vu qu’elle a un caractère très changeant et à chaque fois, je ne sais pas pourquoi, je me sens forcé d’aller la consoler. Alors qu’en temps normal, les gens que je connais que depuis deux/trois semaines je leur accorde pas beaucoup d’attention. Par contre, c’est vrai que des fois elle est sérieusement pénible. On dirait une enfant, surtout quand elle me suit partout ou lorsqu’elle me demande d’exécuter les ordres de la voix qui est dans sa tête mais bon je dis rien pour lui faire plaisir, à part si ce qu’elle me demande c’est trop bizarre, là je mets le holà.
En tout cas, même si tout se passe plutôt bien avec Beth’ j’ai un mauvais pressentiment. Depuis quelques jours, je me sens épié et suivi. J’ai cru une fois reconnaître la crinière blonde d’Amélia mais je ne sais pas si j’ai halluciné à cause de la fatigue et du manque de nourriture ou si c’était vraiment elle. Reste que j’aime pas être observé et encore moins par quelqu’un comme celle que j’ai vu sur la plage et que je redoute de croiser de nouveau. Sinon, même si presque tous mes espoirs de la retrouver se sont envolés, je ne veux pas renoncer et penser que Roxanne est morte. Et même si je ne saurais peut-être jamais ce qu’elle est devenue, je ne veux pas penser au pire.

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