C'était à la tombée d'un soir d'automne, en ces dernières années en Allemagne. Vers le sombre faubourg, des voitures, allumées, roulaient, attardées après l'heure préconisée. L'une d'elles s'arrêta devant le portail d'un vaste hôtel, entouré de jardins séculaires. Les lourds battants s'écartèrent. Un homme de trente à trente-cinq ans, en deuil, au visage mortellement pâle, descendit. Sur le perron, de taciturnes serviteurs élevaient des flambeaux. Sans les voir, il gravit les marches et entra. C'était ton père. Tu étais à côté, ta petite main tremblante dans la sienne. Un silence de plomb planait au dessus de vous alors que vous essayez tout deux d'oublier, de vous remettre du mal qui vous habitait. La mort d'un proche. Celle de ton père, du moins, de ton autre père. Lors de ta naissance, tes parents t'avaient abandonné, ce n'est pas qu'ils ne voulaient pas de toi mais simplement qu'ils n'avaient pas les moyens de t'élever et t'éduquer convenablement. Toi, tu t'en moque. Tu as eu tout l'amour dont tu avais besoin au côté des deux hommes qui t'avaient adoptés. Tu aimes tes deux pères. Mais aujourd'hui, tu en as vu un s'éteindre. L'enterrement as duré quatre heures et tu as pleuré durant tout ce laps de temps. Il ne te reste plus de larme dans ton corps, tu as épuisé tout le stock disponible. Heureusement que ton autre père est là pour te réconforter. Tu sens ses bras te porter. Chancelant, il monta les escaliers blancs qui conduisaient à cette chambre où le matin même, tu avais couché dans un cercueil de velours. En haut, la douce porte tourna sur le tapis; il souleva la tenture.
Tous les objets étaient à la place où le défunt les avait laissés la veille. La Mort, subite, l'avait foudroyé. Il avait succombé à sa maladie, maladie dont tu es également atteint mais toi, tu espère y survivre. Malheureusement ton père n'avait pas eu cette chance. Et ce matin, ses lèvres s'étaient brusquement mouillées d'une pourpre mortelle. A peine avait-il eu le temps de donner à son époux un baiser d'adieu, en souriant, sans une parole, que ses cils s'étaient rabattu sur son regard. Comme un voile de deuil. Et maintenant que la journée sans nom s'était écoulée, tu allais enfin pouvoir trouver du repos. Les bras de ton père te porte jusqu'à ton lit et t'y dépose avec soin. Doucement, il déposa un baiser sur ton front et remonta la couverte sur ton corps mince et frêle.
« Il faut que tu dormes maintenant mon chéri. » Facile à dire. Comment t'endormir alors que tu viens de perdre l'une des personnes qui comptait le plus pour toi ? C'est tout bonnement impossible. Tu enroulas alors tes bras autour du cou de ton père en enfouissant ta tête dans son cou.
« Mais il me manque déjà... Je veux le revoir. » Une larme roule sur ta joue anormalement pâle. Et c'est dans les bras de ton père que tu te réfugies pour trouver un minimum de réconfort. Tu en as bien besoin, et lui aussi. Caressant ton visage enfantin, il essuya tes larmes à l'aide de son pouce en te murmurant quelques mots.
« Il me manque aussi, mais on arrivera à surmonter ça mon ange. D'accord ? » Il se releva ensuite et quitta la pièce. La nuit s'annonçait longue et maussade.
Il est trois heure du matin quand tu te relèves. Tu n'as presque pas fermé l’œil de la nuit et tu ressens le besoin d'aller dans les bras de ton père. Tu as besoin de son contact pour te sentir mieux, pour avoir l’impression que tout est redevenu comme avant. Te mettant sur la pointe des pieds pour atteindre la poignée, tu l'actionnes en serrant ton nounours contre toi. Poukie. C'est une peluche que ton défunt père t'avais offert le jour de l'adoption et tu ne quittais plus cette peluche depuis ce jour. C'est ton seul ami, et celui à qui tu peux confier tous tes secrets. Une fois la porte ouverte, tu vois ... une chose étrange. Tes pères. Au pluriel, en train de discuter comme si de rien n'était. Tu ne sais pas quoi dire. Tu ouvres faiblement la bouche mais rien n'en sors.
« Chéri, retourne te coucher. » Même si tu ne comprends plus ce qui se passe dans cette maison, tu ne bronches pas et haussant les épaules tu refermes la porte. Après tout, tu sauras bien ce qu'il se passe dans peu de temps. Tu n'as jamais été impatient, comme dirait La fontaine, patience et longueur de temps font plus que fort ni que rage. Ou encore, tout vient à point à qui sait attendre. Et bien toi tu sais attendre et cela ne t'embête pas le moins du monde. Tu fais alors demi-tour et retourne te coucher sans demander d'explication.
Le lendemain, à la première heure, tu es déjà assis dans la cuisine à attendre. Tu as beau être patient, tu ne comptes pas dormir longtemps et louper l'occasion de savoir toute la vérité. Seul dans la cuisine, tu te poses des tas de question. Peut-être que ton père est un super-héro. Peut-être que c'est Dieu. Peut-être même qu'il a un pouvoir d'immortalité. Ou tout simplement avait-il rêvé. Voyant les deux hommes arriver. Tu te lèves à grande vitesse pour foncer sur ton père que tu sers dans tes maigres bras.
« Pourquoi t'as fais ça ! T'as fait pleurer papa en mourant ! Et tu m'as fais pleurer aussi ! » Les bras de ton parâtre s'enroulent autour de ton corps, te soulevant aussi facilement que l'on soulève une plume. Puis tu l'entends rire, d'une manière qui ne te plait guère. Il se moque ouvertement de toi et ce que tu as pu ressentir en apprenant sa perte.
« Écoute, avec ton père on doit te parler. » Soupirant, tu descends des bras de ton père et t'assois sur la table en croisant les bras. Puis, tu dis, avec ton habituel cheveu sur la langue qui fait craquer tes parents.
« Vous avez deux minutes pour m'expliquer pourquoi papa n’est pas mort. » Tu ne parles pas vraiment comme un môme de ton âge. Tu as toujours été en avance sur ton âge et cela fait la fierté de tes tuteurs. Et tu es bien capable de bouder pendant des jours entiers si leurs arguments ne te conviennent pas. Ils ont intérêt de mettre le paquet, car tu pourrais bien t'énerver et leur crier dessus du haut de tes cinq petites années.
« Bien. Nous sommes des vampires. Est-ce que tu sais ce qu'est un vampire ? » Tu réfléchis. Tu as lu quelque chose là-dessus il y a peu de temps. Tu adores lire tout ce qui traîne. Car tu es fier de savoir lire à un âge si précoce. Regardant un peu autour de toi pour trouver un indice qui te mettrait sur la piste, tu souris une fois que tu as la solution.
« Oui ! C'est une chauve-souris d'Amérique tropicale qui suce le sang des animaux endormis. » Dis-tu en citant au mot prêt ce que tu as lu. Les deux hommes se regardent alors en riant puis l'un d'eux secoue la tête en s'installant à côté de toi.
« Non mon ange. En fait, ce sont des personnes qui... comment dire... qui suce le sang d'autres personnes pour pouvoir rester en vie. C'est comme de la nourriture. » Pendant qu'il parlait, tu hochais la tête en faisant une moue étrange. Tu ne comprends pas tout, loin de là. Ils continuent pendant un moment à t'en parler, mais tu ne les écoutes pas vraiment. Tout ce que tu comprends, c'est que ton père a été transformé en une chose étrange et qu'il a ensuite transformé ton autre père en la même chose. Tu ne sais pas vraiment quelles en sont les raisons, mais... peu t'importe. Tant que tes deux pères sont là, c'est tout ce qui t'importe. Tu te lèves alors, et te jettes dans les bras de ton géniteur.
« Ouai ! T'es mon papa chauve-souris ! » _______________________________________________
« Tu es vraiment qu'un pauvre con ! » « Hey Scar, tu ne parles pas à ton père comme ça ! » « Désolé, t'es un deb' father ! T'es con à bouffer du foin ! » Tu as grandi. Aujourd'hui, tu viens tout juste d'avoir 23 ans. Pour l'évènement, ton père t'avait promis un beau cadeau. La vie éternelle. Mais maintenant que le grand jour est arrivé, il se défile. Hors de question qu'il refuse de t'offrir ce cadeau que tu attends depuis si longtemps. Toi aussi tu veux être comme eux. Beau à jamais, jeune, en pleine santé quoi qu'il arrive et connaître toutes les générations futures. Et si ton père ne te transforme pas, tu comptes bien lui en faire baver.
« Pourquoi tiens-tu à ce que je te transforme Scar ? Je ne comprends pas ! » Il veut peut-être que tu lui fasses un dessin ? Si lui ne voit pas tous les bons côtés au fait d'être un vampire, toi tu les as bien en tête et tu as envie de pouvoir être une créature. Et pour cela, tu feras tout ce qui est en ton pouvoir, absolument tout. Lorsque tu veux quelque chose, il est bien difficile de te faire changer d'avis. Ce trait de caractère peut-être autant une qualité qu'un défaut.
« Tu te fou de moi ? Vous vous êtes vu ? Vous avez au moins 50 ans et vous êtes sexy à se damner ! Si vous n’aviez pas été mes pères, je vous aurais sauté dessus depuis longtemps ! » Tu regrettes aussitôt tes paroles. Tu es peut-être allé trop loin pour le coup. Te massant la nuque tu enchaînes.
« Désolé, je me suis emporté. » Regardant tes parents à tour de rôle, tu tentes de te rattraper.
« Puis, au moins vous ne me verrez pas mourir... » Vu l'expression sur leurs visages, ils sont convaincus. Mission accomplis. C'est ainsi qu'à l'âge de 23 ans tu deviens, un vampire.
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« Salut mon pote. » Un rat. C'est tout ce que tu as comme ami ici. Il y a bien ton compagnon de cellule, mais il dort, cela te laisse un peu de repos. Tu as beau t'entendre à merveille avec lui et partager les mêmes intérêts, tu aimes être seul. Cela ne t'empêche pas de parler, il t'arrive bien souci de te parler à toi-même sans te dire un seul instant que cela peut paraître tout de même assez louche. Tu t'en moques. Tu te fous complètement de ce que les gens peuvent bien penser de toi. Et tu aimes être ainsi, pour rien au monde tu souhaiterais être différent. Même si parfois tes pères t'ont conseillé de t'ouvrir aux autres. Foutaise. Le monde entier est con. Les gens sont cons. Et plus important encore, tu te trouves toi-même con.
« Moi c'est Scar, et toi ? » Prenant la petite bestiole entre tes mains tu souris.
« Enfin non. Mes pères m'ont appelé Scar. Mais mes parents biologiques avaient décidé de m'appeler autrement. Étienne. » Tu te mis alors à rire tout seul.
« Étienne t'imagine, j'ai la tête à m'appeler Étienne ? » Tu ris. Pendant un bon moment, tu pars en crise d'hilarité sans grande raison. La prison te fait perdre la tête. Tu n'as plus l'esprit très clair depuis quelque temps et tu as hâte de sortir d'ici pour redevenir comme avant. Quelqu'un de presque normal.
« Pourquoi es-tu ici ? Moi ils m'ont enfermé parce que je tuais des humains. Tu imagines un peu ? Comme si j'étais le seul ici ! Soi-disant c'est interdit d'éliminer des humains qui ne nous appartiennent pas. Pff... Les miens étaient tous déjà raides, je n’avais plus personne à buter. Quelle merde ce règlement ! » Tu prends alors la queue du petit être entre tes doigts et le regardes se débattre.
« Ils sont tous aussi misérables que toi. Et encore, toi t'es pas bavard. » Tu soupires. Tu es exténué. Partir, tu en rêves. Tu ne supportes pas l'odeur qui règne dans cette cellule, c'est pire qu'une vache éventrée.
« Qu'est-ce qui m'a pris de prendre ce putain d'avion ! J'étais bien moi chez moi, avec mes abrutis de père. Quels cons ces deux-là, ils sont pas très futés, mais je les aimais. » Soulevant le rongeur du sol tu le fixes.
« Tu as peur de moi ? Je t'en veux pas, cela doit venir de mon apparence peu banale. Mais grâce à ma différence, je suis devenu mannequin. Enfin... dans mon autre vie, maintenant que je suis sur cette île, j'ai changé de métier. Je tiens une sorte de quincaillerie. Je vends surtout des clopes et tout ce qui est dur à trouver sur cette île merdique. Si tu viens un jour je te ferais des réductions. » En effet tu t'es installé ton petit commerce, mais uniquement pour ne pas avoir des problèmes d'argent. La vie est chère de nos jours et tu n'aimes pas manquer de quoi que ce soit. Et même si tes clients sont peu nombreux, ils sont fidèles et viennent régulièrement. Parfois tu vois des gens passer, mais repartir aussi sec lorsqu'ils te voient. Ton physique atypique les fait fuir. Mais ce n'est pas de ta faute, tu as toujours adoré les tatouages. Tu n'en as jamais assez. D'ailleurs, tu comptes t'en faire encore un paquet. C'est un rituel. À chaque fois que tu tues un humain que tu connais bien ou un de tes esclaves, tu files te faire tatouer. Tous tes tatouages ont donc une signification. Ils sont plus ou moins grands selon l'importance de l'humain. D'ailleurs, pour le dernier que tu as tué tu n'as toujours rien fait, il faut encore que tu réfléchisses au motif que tu pourrais te peindre sur le corps. Il ne te reste que 10 % d'espace libre sur ton corps. Reposant ensuite le rat à terre tu te relèves. Tu te fais chier. T'as besoin de parler avec quelqu'un qui te répondra. Tu donnes alors un coup au type endormi prêt de toi.
« Debout mec ! »