Chapitre I
Et puis parfois on a juste envie de hurler, pour que les regards se tournent enfin sur vous, juste pour avoir l'impression d'exister...
« Enceinte ? Vous plaisantez j’espère ? » J’étais plus ou moins voulu par mes parents, le fruit d’un amour passionnel mais malheureusement interdit. S’ils n’avaient pas eu d’enfants avant, alors qu’ils étaient ensemble depuis sept ans déjà, c’était pour la simple et bonne raison qu’ils n’avaient pas une vie d’humains ordinaires, à-vrai-dire, ils étaient au service d’un vampire. On ne pouvait pas leur dire que leur maître était doux et compréhensif, bien au contraire, pendant toutes ces années, ils avaient dû leur cacher leur relation sachant éperdument qu’il ne l’accepterait pas, qu’il se sentirait trahis et mieux valait ne même pas s’imaginer quelle serait sa réaction s’il finissait par l’apprendre. Seulement, ne pouvant pas renoncer à leur amour, ils avaient pris le risque et ce qui devait arriver arriva : ma mère avait le ventre qui commençait peu à peu à s’arrondir et avait fini par se résigner, avec mon père, d’annoncer l’arrivée imminente d’un nourrisson parmi eux. « Décidemment, vous me prenez pour un imbécile et autant dire que ça ne me plaît pas du tout ! Je vous le garantis, cet enfant ne restera pas sous mon toit aussi longtemps que vous resterez à mon service je ne veux plus en entre parler, est-ce que c’est clair ? » Bouleversée, ma mère se tenait le ventre à deux mains alors que mon père s’avançait d’un pas. « Mais maître… » Le vampire s’approcha et l’empoigna par le col, rapprochant son visage de celui de mon paternel. « La discussion est close, il n’y a rien à ajouter ! Ce satané mioche n’a pas sa place ici que vous le vouliez ou non ! » La nouvelle était tombée comme un coup de massue sur les deux amants, aussi prévisible était-elle. De toute façon ils le savaient, ils n’avaient pas le choix, s’ils refusaient d’obéir à leur maître, il était certain qu’il finirait par les tuer, en plus de l’enfant qui ne tarderait pas à voir le jour. La fin de la grossesse avait été comme une véritable torture, plus le moment fatidique approchait et plus il était difficile pour le jeune couple de se faire à l’idée que malheureusement, cet enfant qu’ils chérissaient déjà tant n’aurait jamais aucun souvenir de ses parents, qu’il grandirait comme un orphelin, comme rejeté par des parents qui ne l’aimaient pas alors qu’en réalité ils auraient été capable de remuer ciel et terre pour le nourrisson. L’accouchement avait eu lieu en pleine nuit, dans le secret le plus total et c’était une douleur profonde que mes parents me regardaient, émus aux larmes à se demander comment est-ce que j’allais bien pouvoir survivre seule en pleine nature. Contre toute attente, leur maître avait laissé quelques années de répit avant le moment fatidique, cruel, certes mais il savait très bien qu’un nourrisson n’avait que quelques heures d’espérance de vie et ne voulait pas en être responsable. J’avais été préservée un maximum de le monde dans lequel j’avais grandi, l’insouciance de l’enfance m’avait été à pouvoir vivre naïvement pendant cinq ans, sans doute les cinq plus belles années de ma vie…
« Papa, maman, où est-ce qu’on va ? » Mes parents m’avaient emmenés en pleine ville, au beau milieu de l’après-midi l’air visiblement anxieux alors que moi, petite blondinette de quelques années seulement, j’espérais me tromper. J’avais entendu le vampire avoir une conversation pour le moins mouvementée avec eux, l’oreille aux aguets contre la porte du salon et les quelques mots que j’avais distingués n’avaient pas été là pour me rassurer… Le grand jour, plus de morveuse sous mon toit, abandon… Le soleil me piquait les yeux. Durant ses quelques années, j’avais eu l’habitude de passer la majorité du temps dans le noir, ne sortant que très peu de la demeure du vampire. « Ecoute ma chérie, nous n’avons que très peu de temps donc surtout soit attentive… Papa et maman ne peuvent plus s’occuper de toi, tu vas devoir te débrouiller comme une grande mais tu es une petite fille très intelligente, je sais que tu vas t’en sortir… » Ma mère pleurait… Je n’y comprenais rien, mes parents s’étaient toujours très bien occupés de moi, ils ne pouvaient pas m’abandonner, c’était inconcevable. Elle avait explosé en sanglots alors que mon père reprenait : « Surtout ne t’éloigne pas de la ville et tente de te mettre un maximum à l’abri la nuit… Les vampires rôdent, il faut t’en méfier, crois-moi… » « On t’aime ma chérie, ne l’oublie jamais… » Je clignais des yeux, ma longue chevelure blonde tombant sur mes épaules et tremblant légèrement dans ma petite robe. Je restais sans réaction, je ne pouvais pas croire qu’ils allaient partir, me laisse là, ce devait être une blague… C’est alors qu’ils se levaient, les yeux ruisselant de larmes et repartaient, sans même se retourner. Je restais debout au milieu des passants, le regard humide, comme paralysée. L’enfer commençait, l’enfer d’une enfant sans famille avec un avenir plus qu’incertain…
Rejetée, mal aimée, j’avais plus d’une fois voulu baisser les bras. Fille de l’ombre, considérée comme un déchet, invisible aux yeux de tous, je passais le plus clair de mon temps assise en pleine rue, parfois enroulée dans une vieille couverture de misère à regarder les passants sans dire un mot. J’avais une vie d’SDF à l’âge où j’aurais dû croire aux contes de fées. Un nom, voilà tout ce qui restait de moi, un nom inconnu de tous, Autumn Beryl Lewis, l’enfant venue de nulle part. Parfois je rêvais d’exister aux yeux de quelqu’un, d’être importante ne serait-ce que pour une personne, mais jamais on n’avait cherché à comprendre quelle était l’histoire de la petite fille sale qui traînait seule dans les ruelles.

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