Quatre ans, un âge lointain où les souvenirs demeurent fumeux, impalpables, oubliés… Je ne fus pas épargné par la fragilité de la mémoire. Pourtant, je me souviens, vaguement, ces souvenirs façonnés en partie par les révélations sincères de mes parents adoptifs. Ils valsent comme des tourbillons de fumée grisonnante dans l’océan agité de mon âme.

Je ne suis pas véritablement un Cheschire, ni même un Van Helsing. En tout cas, lorsque l’on parle de lien du sang. Celui qui bat dans mes veines depuis ma naissance est tabou, car si quelqu’un de mal intentionné en avait vent, ma réputation ne serait qu’une funeste hérésie. Qui suis-je ? Un Bridgestone…ou du moins, l’enfant de l’un d’entre eux. Né de l’union purement sexuelle du seigneur Eléazar avec l’une des esclaves du château, le très reconnu ‘Casanova’ de la famille royale, ma vie risquait de n’être qu’une accumulation de déception et de rabaissement si quelqu’un apprenait mon existence. Aussi, ma mère, la chair de ma chair, fut cachée par son bienfaiteur, Sire Lesthat, le gérant des esclaves du palais mais aussi, un vampire respectueux et qui soigne ses poussins. Il avait pris, un an plus tôt, la jeune humaine sous son aile, cette muse fragile et d’une beauté déchirante. Pourtant, la belle finit par être engrossé. Si quiconque le savait, elle craignait pour son enfant autant que pour elle. Lesthat la cacha le temps qu’elle accouche. Quand je fus mis au monde, mon existence sur Heart Killer étant compromise, le bienfaiteur de ma mère me confia à sa jeune sœur infertile, qui m’éleva comme son propre fils, aux côtés de son époux, sur les terres de la Mongolie. Ainsi fus-je épargné d’une vie de crachats et d’injures. Mais cela, ce fragment du passé qui peut aussi bien faire briller que nuire mon existence, ne m’a été révélé qu’il y a peu. Je me savais enfant de vampires, mais celui de ceux qui m’avaient adopté…et non pas l’enfant illégitime d’un Bridgestone ! Une révélation qui a de quoi vous retourner l’estomac !

Quatre ans, un âge lointain où les souvenirs demeurent fumeux, impalpables, oubliés… Pourtant, je me souviens de cette vague scène où je suis assis au coin du feu, à soigner Haddock, mon ours en peluche. L’odeur du bois consumé se mêlait à celle des plantes dont ma mère (adoptive) raffolait. Puis, comme un éclair bruyant, des hurlements captèrent mon attention. Inquiet, je m’étais retourné vers la porte, depuis laquelle je pouvais voir deux silhouettes distinctes, armées et ruisselants d’eau. Il pleuvait ce jour-là. Ces deux humains m’ont regardé d’une manière étrange. Des chasseurs de vampires, les célèbres Van Helsing. Cette famille que certains chuchotent comme étant une légende, d’autres prétendent les avoir déjà vu pour de vrai. Allais-je connaître le même sort que mes parents, celui qui me condamnerait aux enfers ? Car oui, ce couple de chasseurs venaient de les tuer. Au lieu de quoi, je fus ramené chez eux. Etrange n’est-ce pas ? Pourtant, j’appris la raison bien plus tard. S’ils avaient tués mes parents, c’était par une regrettable erreur. Ils les avaient confondus avec un autre couple sanguinaire en cavale. Ils auraient pu me condamner, mais pour racheter leur faute, ils m’ont finalement adopté. Aurais-je du venger mes défunts parents ? A quoi bon ? Qu’est-ce que ça aurait changé ? Et puis, ce soir-là, alors qu’ils m’avaient laissé auprès du feu pendant qu’ils discutaient sans aucun doute de mon sort, je fis sa rencontre… lui dont avec son sourire d’ange, lui au regard réconfortant, lui qui fit le premier pas vers la réconciliation avec le présent. « Tiens Lucian, tu veux un bonbon ? » Il m’avait ému. Alors je me suis promis que plus jamais je ne pleurerai en sa présence. Plus jamais Ambroise, le fils du couple, ne me verrait dans cet état. J’avais accepté le bonbon, et par cet acte, scellé cet accord silencieux.

Ainsi donc, je grandis dans une atmosphère conviviale, aux côtés d’Ambroise. Les parents s’absentaient souvent pour vaquer à leur mission, mais ils n’en oubliaient pas de nous inculquer les principes même d’un bon chasseur. Entre les cours à domicile et les jeux à l’extérieur, moi et mon frère finimes par nous discerner. Lui était toujours agité, tête brûlée et fainéant alors que je prenais un grand plaisir à réviser auprès des professeurs qui venaient enseigner à domicile. C’est à cette période que je me découvris une passion dévorante pour la science ou plus précisément, la médecine. C’est aussi à cette même période que nous nous découvrîmes. Sans savoir comment, mais nous savions que cela était arrivé, la fraternité céda au désir. Adolescents en pleine croissance hormonale, nous étions comme deux amants éternellement insatisfaits. Ni les parents, ni même la bonne n’avaient des doutes sur ce jeu de séduction qui nous poussait toujours plus loin. Puis un jour, ce fut l’abandon. J’avais beau me contrôler, avec lui, c’était une autre paire de manche. Son sang ne cessait de m’attirer comme la sirène séduisant le marin riche et sans peur. Il était ma muse, mon obsession. Mais ça, je me gardai bien de le lui dire, cela ne ferait que flatter son orgueil surdimensionné. De toute manière, il savait, il connaissait ma dépendance. J’étais l’agneau épris du loup. Plutôt ironique non ? Et cela ne se dissipa pas au fil des années, alors que nous traquions les vampires sanguinaires. Mon occupation principale : sauver le joli cul de mon frère qui avait la fâcheuse tendance à tomber la tête la première dans des pièges monstrueusement grotesques. Sa haine des vampires – moi faisant exception – m’était presque suffoquant et j’avais beau tenter de le persuader qu’il y avait un juste équilibre dans l’existence des vampires, que tout comme chez les humains, il y avait des bons et des mauvais, ce dernier n’en faisait qu’à sa tête. Chaque jour était une nouvelle épreuve où mes nerfs étaient mis à rude épreuve.

Puis un jour, nos parents furent tués à leur tour. Piégés par un taré de vampire que nous traquions depuis belle lurette, ce dernier finit par avoir la peau de nos parents. La collecte des indices nous amena ainsi droit sur HeartKiller, le repère des vampires…de quoi exciter la faim stupide de mon cher compagnon. Pourtant, contre toute attente, nous fûmes recueillis par un étrange vampire qui se prétendait être un ami. Un certain Lesthat, le gérant des esclaves humains. Il me fut très difficile de raisonner Ambry’ pour ne pas qu’il tue notre bienfaiteur, car c’est grâce à ce dernier qu’aujourd’hui, cinq ans après notre arrivée sur l’île, nous sommes pleinement intégrés dans la capitale. Je suis devenu l’un des médecins les plus prisés de la capitale, vaquant entre les maisons de la cité et le palais pour soigner les humains blessés ou malades. Quant à Ambroise, ce dernier a eut la chance d’éviter l’esclavage pour travailler comme gardien du mur, aux côtés de vampires de basse extraction. Lesthat veillait sur nous pour une autre raison que son mépris des Bridgestones, qu’il ne me révéla que bien plus tard. La raison liée à ma naissance. Je n’en ai encore rien dit à Ambroise. A vrai dire, je crains un excès de réaction qui l’amènerait à agir stupidement. Cette tête de mule souhaite détruire les Bridgestone et moi, je tente, comme toujours, de l’en dissuader car la famille royale est un point d’ancrage pour les vampires. C’est grâce à elle qu’il n’y a un équilibre entre humains et vampires à travers le monde. Maintenant que je me sais enfant de l’un d’entre eux, je ne sais plus trop quoi penser. Oublier cette importance du passé ou tenté de dissiper ma curiosité en m’intéressant à nos seigneurs ? Pour l'instant, j'essaie plutôt de maîtriser mon exaspération et mon mal être. La cause principale? Ambroise. Bourreau de mon cœur, il aime se jouer de moi et me faire sortir de mes gonds, mais voit-il à a quel point il me fait mal par son attitude? A quel point je me sens mal dans ma peau? Visiblement non...