Minuit approchait. Il faisait nuit noire à l'extérieur du Palais. Il était déjà assez dangereux pour les humains de s'aventurer seul ou à plusieurs à la nuit tombée, mais quand la Lune s'absentait auprès des étoiles, il était véritablement suicidaire de faire un seul et malheureux petit pas à l'extérieur de sa cachette. Un simple humain ne peut voir dans la pénombre du soir... Mais un vampire, oui. C'était d'ailleurs la meilleure occasion pour n'importe quels vampires de partir « à la chasse » ! Les humains étaient déjà faibles à la base, alors privés d'un de leur cinq sens, ils étaient à leur merci. Tel qu'un félin qui avançait dans une démarche sauvage et élégante, c'est ainsi que je faisais mon entrée dans l'histoire.

Habillée d'une petite robe lilas, serrée sous la poitrine par une large bande noire, cette dernière descendait parfaitement au-dessus des genoux. C'était une robe cintrée au niveau de la taille, mais qui partait évasée pour former une sorte de légère corolle. Elle n'avait pas de bretelle, mais la robe s'attachait autour du cou par des rubans de couleur lilas. Sans oublier que la robe était un dos nu. N'importe quel humain aurait pu attraper froid, mais me concernant, cela ne me faisait ni chaud, ni froid. Évidemment que je sentais le vent caresser doucement ma peau, ressentant même un délicat frisson. Mais ceci n'était pas un frisson de froid, mais de plaisir. Tout ce que nos sens pouvaient ressentir étaient décuplés, exaltés pour qu'on ne puisse plus s'en passer. Les sensations que je pouvais ressentir était telle une drogue, tel le sang que je buvais. C'était une sensation des plus agréables. Et si j'avais pu me retrouver une seule journée dans le corps d'un être humain, ce serait comme si les sensations qu'on ressentait en étant un vampire, étaient exactement la même chose concernant la morphine. J'avais lu ça quelque part. Cela provoquait un effet secondaires des plus exquis. Exquis était le mot parfait pour caractériser ce qu'on pouvait ressentir en tant que vampire. Sans compter que le sang surpassait tous les autres plaisirs... quoique les plaisirs de la chair en faisaient partie.

Je flânais donc tranquillement sur l'île d'Heartkiller, sans même me soucier des humains que je pouvais sentir à des kilomètres. Je n'étais pas venue à plus de minuit à l'extérieur du Palais pour aller chasser. Je n'avais pas la tête à ça. J'étais descendue pour une envie bien particulière. En effet, les cuisines du Palais manquaient cruellement de produits pour les humains. Quand mes esclaves avaient faim, hormis leur donner les vituailles qu'ils devaient manger sans sourciller, ils n'avaient rien d'autres à se mettre sous la dent. Ce soir, j'avais envie de chouchouter mes esclaves que je préférais le plus. Ils étaient mes privilégiées, je m'amusais à m'occuper d'eux comme des poupées et des simples jouets. Ils devraient donc manger ce que je leur donnerais.

Je m'arrêtais près de quelques arbres dont leurs branches regorgeaient de fruits. Je fixais un à un les fruits pour sélectionner ceux que je voulais. Les repérant avec facilité, je fis demi-tour pour m'asseoir sur un banc. Ajustant correctement ma robe, je regardais d'un air innocent, le regard rêveur, les vampires qui passaient devant moi. Et au hasard, je m'adressais à un homme qui avait la trentaine, un vampire.

« Bonsoir... » chantonnais-je d'une voix cristalline et enjouée.
Le vampire s'arrêta un instant et écarquilla les yeux quand il compris qu'une des Reines Bridgestone lui adressait la parole. Il fit donc automatiquement la révérence, en évitant de me regarder dans les yeux. Codes de la cour oblige.
« Pouvez-vous récupérer les quelques fruits que je vous désignerais ? » continuais-je d'une voix calme, Ô combien point menaçante, ni directive.
Le vampire, surpris, ne fit aucune remarque et exécuta la tâche que je lui demandais de faire. En deux temps trois mouvements, l'homme en question sautait à vive allure décrocher les fruits que je pouvais lui désigner. En même pas trente secondes, je me retrouvais avec un tas de fruits juteux à mes pieds. Se trouvaient des bananes, des ananas, des pommes, des noix de cocos... Oui, l'île Heartkiller située en plein milieu du Triangle des Bermudes était bien mystérieuse. C'était comme si le temps n'avait pas d'effet sur la végétation, les fruits, la nature en général. On pouvait trouver de tout à n'importe quel moment de l'année. Les saisons ne touchaient point les fruits car, on pouvait trouver les mêmes tout au long de l'année, on ne manquait de rien.

Je me redressais donc pour partir vers le Palais naturellement, sans ramasser aucun fruit. L'homme, s'il était assez intelligent pour cela, devrait comprendre qu'il devait porter tout cela jusqu'au Palais... ce qu'il fit sans rechigner. Après quelques minutes, je fis signe aux gardes d'apporter les fruits aux cuisines et de congédier bien gentiment ce sympathique vampire. Et même en étant correcte, je ne souhaitais pas qu'il pénètre dans le Palais, Après tout, ce n'était qu'un simple vampire.
En sautillant telle l'héroïne du fabuleux dessin-animé « Heidi à la Montagne », je traversais les couloirs en chantonnant, en m'amusant à faire des tours sur moi-même pour voir ma robe se soulever. J'avais hâte de donner à manger à mes esclaves. Oui, drôle de façon de le dire, mais c'était le cas, c'était comme si on donnait à manger à des animaux. Mais pour mon cas, je ne les considérais pas ainsi et ils avaient bien de la chance. Cependant, ils devaient rester à leur place. Je n'aimais pas les petites révoltes personnelles, mieux fallait rester bien sage.

Toujours dans la même frénésie de mes pas sautés, je pénétrais dans l'une des cuisines du Palais. Un large sourire ravi se dessinait sur mes lèvres pulpeuses, laissant apparaître mes dents blanches parfaitement alignées. Les fruits étaient posés sur la table. Je les contemplais avec délices, les couleurs chatoyantes me piquant au vif! Les différentes nuances de couleurs me fascinaient et je trouvais le met des mortels bien appétissant. En voyant une pomme bien rouge, je ne pus m'empêcher de la prendre dans mes mains. Je la caressais, l'observais comme si je voyais cet aliment pour la toute première fois et même si cela ne faisait pas partie de mon régime alimentaire, je me surprenais parfois à croquer avec avidité dans ce fruit bien mûre. Ce que je faillis faire avant qu'un humain pénètre dans la cuisine. Je pouvais sentir son odeur titiller mes narines. Et cette odeur ne pouvait appartenir qu'à un seul être humain ! Le seul d'ailleurs qui pouvait pénétrer en ces lieux sans avoir aucun risque de se faire démembrer ! Il faisait partie de ceux qu'affectionnait le plus ma chère sœur Shae. Il était donc évident qu'il se permettait des choses que seul lui pouvait, dans la limite du possible, évidemment. Je tournais donc ma tête en direction de l'inconnu avec ce fameux regard dans le vague. Ce regard qui faisait dire que je réfléchissais. Ce regard qui montrait aussi que je n'avais pas bien capté l'information ou que j'étais encore dans mes rêveries. Ce regard qui voulait désigner de même la surprise, l'étonnement, la tristesse. Il était annonciateur d'un sentiment à venir. Car à travers ce regard si innocent, venait supplanter un autre, celui dont je ressentais au moment-même. Mon regard se mit alors à pétiller d'étonnement – alors que je savais pertinemment que c'était lui – en affichant un sourire chaleureux.

Gaël s'était avancé jusqu'à s'arrêter dans l'allée où je me trouvais. D'un air nonchalant depuis le début, il me regardait sans rien dire, me souriant. Il avait l'air beaucoup plus préoccupé par ce qu'il avait dans sa main... et dans sa bouche aussi. J'ouvris de grands yeux à la vue du paquet qu'il tenait entre ses mains. Je ne pus m'empêcher d'exprimer ma surprise, ma joie non-mesurée et ma satisfaction d'avoir fait cette découverte qui avait été emmenée si gentiment sous mon nez.

« Des cookies ! » lançais-je joyeusement d'une voix aiguë.

Ni une, ni deux, je me précipitais vers lui à la vitesse vampirique, provoquant une rafale de vent sur mon passage. Oubliant les fruits ramenés plus tôt. Je me stoppais face à lui, le tenant par le bout de la chemise pour éviter qu'il ne tombe sous la surprise. Le paquet de cookies m'intéressait beaucoup plus que la présence de Gaël ! Si on connaissait le lien que j'entretenais avec lui, il était évident que je me saurais occupée de lui en premier. Mais l'appel des cookies étaient beaucoup plus fort pour que l'envie de jouer avec Gaël ou de le coiffer prenne le dessus. Je lui adressais la parole en le regardant, surveillant de près le paquet de cookies qu'il avait déjà entamé.

« Tu manges des cookies ?! Donne-moi le paquet ! » demandais-je tout naturellement et spontanément.

Il n'y avait aucune menace, aucun ordre dans ma voix. Seulement de l'impatience et la satisfaction de me dire que j'allais apporter des cookies à mes esclaves et qu'ils seraient contents de moi. Et un peu de la gentille manipulation. Je voulais seulement qu'il me donne le paquet de cookies et qu'il arrête d'en manger ! Il n'y en aura plus assez pour mes esclaves !