Mille neuf cent quatre vingt neuf. L'année de ma naissance. Est-ce que je dois remercier mes parents pour m'avoir mise au monde ? Très franchement non. Du moins, c'est ce que je pensais jusqu'à ce que ma vie change du tout au tout. C'est un jour d'hiver mais ensoleillé que je vis le jour, dans un hôpital de Floride. À Jacksonville, plus exactement. Pauvre petit être innocent qui naissait dans une famille déjà déchirée en je ne sais combien de morceaux. Ma mère faisait le ménage dans une riche famille de la ville, tandis que mon père... je ne le connais pas. Monsieur aurait fui avec une autre femme, de ce qu'on m'a dit. Mais je ne sais pas grand chose, ma pauvre mère refusant catégoriquement de se plonger dans de mauvais souvenirs. L'homme qui a assisté à ma naissance à l'époque n'était que mon beau père. Ce couple qui m'a élevé se sont rencontré seulement quelques mois avant que je ne vienne au monde. C'est assez bizarre. Mais j'ai grandi en le considérant comme mon père à part entière. C'était lui qui ramené le plus gros salaire à la maison, celui qui nous permettait de vivre assez convenablement dans une petite maison modeste mais jolie. On avait toutes les raisons de lui être reconnaissant et pourtant... je ne comprenais absolument pas à l'époque pourquoi mon frère de sept ans mon aîné passait son temps à se prendre la tête avec celui qui m'avait élevé. L'innocence. N'est-ce pas le plus beau des cadeaux ? Ne pas réaliser dans quel monde corrompu l'on vit. N'avoir d'intérêt que pour l'amusement, l'école et les amis. Ne pas avoir à se soucier des « problèmes d'adultes ». Malheureusement, ça ne dure pas toujours et un jour ou l'autre, il faut se rendre à l'évidence et accepter de grandir. Même si ce jour arrive trop tôt. Bien trop tôt.


Mille neuf cent quatre vingt dix sept. L'année de mes huit ans. C'était un jour comme un autre que nous passions à bronzer comme des petites divas mes amies et moi durant la récréation. C'est tellement agréable. Le soleil est littéralement revigorant et pourtant le printemps n'est pas aussi étouffant que la saison qui suis. Un temps idéal pour être dehors, quoi ! Lorsque la fin des cours sonna enfin, je pris mes petites affaires et sortait presque en courant de la salle de classe en compagnie de mes deux meilleures amies. Souriante. Radieuse. À l'époque, j'étais loin de ce que je suis aujourd'hui. Un jeune fille qui croquait la vie à pleines dents, ne laissant pas une seule bonne occasion lui échapper. Et surtout, très entourée de véritables amis. C'est triste que je disais au revoir à ces demoiselles mais je me consolais en me rappelant qu'une fois le week-end passé, nous nous reverrions. Grossière erreur et pourtant, c'est avec un large sourire que je rentrais chez moi. L'esprit bondés de nouveaux souvenirs, je rêvassais alors que je m'approchais de la maison dans laquelle j'ai grandi. C'est là que j'entendis un bruit sourd suivit d'un cri. Mais qu'est-ce que c'était ? Ça semblait venir de chez moi et pourtant, je n'y croyais qu'à moitié. Sur la pointe des pieds, comme si le fait qu'on ne m'entende pas changerait quoi que ce soit, je me dirigeais vers la porte d'entrée et la poussais doucement, dans le plus grand des silences. Je balayais l'entrée du regard, m'interrogeant de plus en plus sur l'origine de tout ce bazars. C'est après retiré mes chaussures et m'être rendu dans la cuisine pour prendre mon goûté que je les vis, horrifiée. Sur le coup, je ne compris pas ce que faisait mon beau-père avec sa vieille batte de base-ball dans les mains, cet air si menaçant sur la visage. Son regard était dirigé sur mon frère, étalé par terre. Je ne réfléchis même pas à mon geste, c'était un véritable réflexe et je me ruais inconsciemment sur mon aîné pour le protéger en hurlant. « Arrête ! Ne le frappe pas ! » si seulement je m'étais attendue à la suite des événements. Ce tank attrapa mon maigre bras avec une telle violence que je ne saurais même pas exprimer la douleur que j'ai ressenti à ce moment-là. « Dégage de là ! Je ne le laisserais pas me parler sur ce ton une fois de plus ! » hurla-t-il, férocement. On aurait dit un animal. Son visage était complètement déformé par la rage. Puis il me balança sur le côté. Il n'en fallait pas beaucoup pour pousser loin à l'époque, mais il y mis tellement de force que je m'étalais sur le sol. Je me mis alors à pleurer. À pleurer comme jamais alors que mon frère se faisait battre. Et j'étais là, condamnée à regarder la scène sans pouvoir intervenir tant la peur me clouait au sol. Je ne pouvais pas bouger et ce monstre n'arrêta que lorsque l'adolescent qui n'était même pas son fils perdit connaissance. Mais comment avait-il osé faire une chose pareille ? Brisée, je hurlais à l'aide, les larmes envahissant mes joues et m'empêchant de voir correctement. Mais je n'eut pas le temps de me relever pour courir chercher les voisins que je vis sa silhouette s'avancer rapidement jusqu'à moi. « Ta gueule, sale petite garce. » et il frappa. Recroquevillée sur moi-même, j'avais si mal que je ne pouvais même plus crier.


Deux mille deux. Cela faisait cinq ans que le drame était arrivé. Suite à ce jour, je n'ai plus remis les pieds à l'école et ma mère a gentiment accepté de me prendre des cours à domicile. Mon grand-frère passa plusieurs jours à l'hôpital mais en ressorti en pleine forme. Bien que traumatisé par ce qu'il s'était passé. Prenant son nouveau mari en flagrant délit, ma mère le mit dehors et demanda le divorce peu de temps après. Désormais nous n'étions plus que trois et alors que mon aîné se remettait doucement mais sûrement de ce jour maudit, ma mère refusait catégoriquement de se trouver quelqu'un d'autre et s'est mise à boire. Comme un trou. Chaque soir, on l'entendait avec une nouvelle conquête fraîchement ramené du bar qu'elle fréquentait. Je n'avais que treize ans, et je me suis littéralement renfermée sur moi-même. Ma mère ne s'occupait plus de nous et passait ses journées complètement saoule tandis que mon frère n'était pas près à m'élever tout seul en assumant en plus l'état de notre maternelle. Je me débrouillais donc seule. Des amis, je n'en avais plus, les ayant tous perdu en n'allant plus à l'école. Au collège, ça ne s'arrangeait pas. Je préférais rester seule, honteuse de mon histoire et de cette femme méconnaissable qui vivait sous mon toit.

Deux mille quatre. Ce n'est qu'à l'âge de quinze ans que je commençais enfin à sortir un peu de ma coquille... Mais pour les mauvaises raisons. « Eh Sha' ! T'en as pas sur toi là ? » quel abruti, ce mec-là était une véritable sangsue et c'est froidement que je l'envoyais balader. « Non j'ai rien pour toi, casse-toi. », méconnaissable. La petite fille tranquille et sérieuse à l'école avait littéralement disparue, laissant place à la pire des garces. Oui, je suis consciente de ce que je suis devenue et je me porte très bien comme telle. Je refuse de m'attacher aux gens ou de leur laisser la moindre chance de me faire du mal. Des amis, je n'en ai pas besoin. C'est eux qui ont besoin de moi et c'est en véritable hypocrite que je commençais à m'entourer. Les gens sont tellement naïfs. Ou peut-être que je suis bonne actrice ? Peu importe, je n'aime pas les gens. Ce sont tous des imbéciles capables du meilleur comme du pire. Comme ce connard. D'ailleurs, nous ne l'avons plus jamais revu et pourtant, je ne rêve que de vengeance. Enfin, comme on dit, c'est un plat qui se mange froid donc je pouvais bien patienter. Je consommais de la drogue. Moins que ce que j'en vendais, mais j'aimais en prendre de temps à autre. Les choses semblent tellement dérisoires quand on est défoncé. C'est pourtant exaspérée que j'ai dû arrêté avant la fin de mon cursus au lycée. Cet abruti de Logan m'a balancé à la direction pour se venger du fait que je ne lui vendais plus d'herbe. Sérieusement, quand je dis que les gens ne méritent pas qu'on fasse attention à eux... Ils sont tous pareils et ne m'adressent la parole que par intérêt. Alors je trouve ça normal de leur renvoyer l’ascenseur.


Fin deux mille douze. Assise sur mon fauteuil de l'avion qui allait en direction de la Floride, je me réveillais doucement. Sourcils froncés, je ramenais une main sur mon front. Cette migraine était épouvantable. Que s'était-il passé ? Je regardais autour de moi. L'appareil était sans dessus dessous et c'est avec horreur que je découvrais les autres passagers... morts. « Aïe. » mon bras me faisait souffrir et c'est en posant mon regard dessus que je me rendis compte que j'avais un morceau de verre coincé. Génial. Je fermais les yeux et mordais ma lèvre inférieur après avoir respirer un bon coup. Il fallait que je l'enlève et que je trouve de quoi soigner la plaie ou j'étais bonne pour perdre mon bras. D'un coup sec, je le retirais et le déposais sur le fauteuil à mes côtés. Mais que s'était-il passé ? Tout ce dont je me souvenais, c'est que je rentrais chez moi après des vacances en Espagne, pays dont est originaire ma mère. Puis je me suis endormie. « Rah, eh merde. » râlais-je avant de me lever, tremblante. En réalité, je me fichais complètement du sort des autres passagers. Je voulais juste rentrer chez moi. Où est-ce que j'étais d'ailleurs ? Je fouillais les endroits où j'avais encore accès dans le but de trouver de quoi soigner un peu mon bras. Lorsque je trouvais enfin la trousse de secours, je me dirigeais à l'extérieur de l'avion par l'avant. L'appareil avait sûrement dû piquer du nez, d'où les ouvertures disponibles. Je plissais les yeux face aux rayons du soleil. Une plage, splendide. Mais où est-ce que je pouvais bien être ? L'océan à perte de vue, une espèce de jungle de l'autre côté... Je n'étais pas aux États-Unis, c'était certain. Les côtes sont toutes peuplées sans exception. Tandis que là... Aucun signe de vie. Je soupirais en m'approchant d'un arbre devant lequel je m'asseyais, fouillant la trousse à la recherche d'un peu de désinfectant et de bandages. Je déchirais la manche de ma chemise en y mettant autant de force que possible et mis le tissu entre mes dents. J'avais bien fait. Je failli hurler lorsque l'alcool entra en contact avec la plaie mais je serrais les dents à la place. Quelle horreur. Les larmes aux yeux tant ça me piquait, je me dépêchais de me faire un bandage aussi pourri soit-il. Le principal était de mettre ma blessure à l’abri pour ne pas l'infecter. Je regardais la plage, me demandant combien de temps est-ce que j'allais rester ainsi, sans le moindre signe de civilisation. Peut-être bien que j'allais mourir. Peu importe, ce n'est pas pour ce qui m'attendait en Floride que j'allais pleurer. C'est alors que j'entendis des voix. Je me levais alors brusquement, plus par réflexe que par peur et je me mis à avancer en direction des voix. Et je le vis. Un homme certes très mignon mais affreusement ringard avec son style moyenâgeux. Un sourcil levé, mais curieuse malgré tout, je demandais : « Euh, vous êtes qui ? » et cette question ne fut apparemment pas bien accueillie puisque le jeune homme saisit mon bras avec une force incroyable. De mauvais souvenirs remontant à la surface, je haussais le ton. « Mais ça va pas ! Mais qu'est-ce que vous faites ? Lâchez-moi, vous me faites mal. » c'est alors qu'à une vitesse vertigineuse, mon interlocuteur me plaqua contre un arbre. Je dû retenir un cri lorsque j’aperçus son regard injecté de sang et... ses canines. Mon dieu, mais où est-ce que je suis tombée ? « Écoute-moi bien, tu vas la fermer et me suivre gentiment si tu veux pas crever dans d'atroces souffrances. Suis-je clair ? » les yeux ronds comme deux billes, je n'osais presque pas bouger alors que je hochais doucement le tête. Est-il vraiment ce que je pense ? Impossible. Ce ne sont que des légendes, certainement pas la réalité...

Deux mille treize. Voilà six mois que je vis sur Heartkiller, l'île sur laquelle je me suis échouée. Non seulement inconnue du monde, elle est habitée par des créatures mythiques dont personne ne croit à l'existence. En effet, ça fait désormais six mois que je suis au service de sa majesté Lorcan Bridgestone, un vampire dont la famille est au pouvoir dans la petite cité qu'ils ont aménagé. Vous avez bien lu, oui. Un vampire, un assassin, un suceur de sang et celui-là n'est d'ailleurs pas le moins dangereux ici. Évidemment, il fallait que ça tombe sur moi et qu'il me garde pour lui servir d'esclave... Dieu que je n'aime pas ce mot. Je ne suis pas la seule humaine, mais nous sommes tous traité comme du bétail. Vendu, acheté, maltraité. Lorsque je suis arrivée, ils me prévoyaient d'ailleurs tous une mort certaine d'ici peu de temps. Mon « maître » est, parait-il, le plus cruel et sanguinaire de tous. Comme je suis chanceuse. Mais la haine et l'incompréhension se sont vite emparées d'eux lorsqu'ils ont vu que les mois passaient les uns après les autres et que j'étais toujours vivante. Pourtant, je dois l'admettre, je ne suis pas plus tendre avec Lorcan et les autres que je ne l'ai été dans le passé. Au contraire, et je me suis fait pas mal d'ennemis. Mauvaise idée, me direz-vous, quand on est coincé sur une île déserte entouré de buveur de sang. Peu importe, je refuse de m'abaisser et de laisser qui que ce soit me traiter comme ce que je ne suis pas. Néanmoins, j'ai appris à connaître le jeune prince... Enfin jeune, avec ses mille et quelques années il ne l'est pas vraiment mais je sais à quel point je dois me montrer méfiante à son égard. Je reste fidèle à moi-même, mais j'avoue que la crainte m’envahis lorsqu'il s'énerve. Évidemment, je tente au mieux de ne pas le montrer mais je reste sur mes gardes. Au final, il est un peu comme moi. Sombre, égoïste et sans cœur. La vie nous a forgé un caractère qui nous est propre et j'avoue que j'ai rapidement commencé à l'apprécier. Certains me prendraient pour une folle. Mais Lorcan n'est pas si monstrueux qu'il n'en a l'air. Ou peut-être est-ce parce que je ne suis pas mieux que lui que je ne m'en rend pas forcément compte. C'est possible. Je sais malgré tout qu'il m'apprécie mais je... Disons que moi-même je me sens folle. C'est la première fois que je rencontre enfin quelqu'un qui me ressemble et qui peut me comprendre. Mon cœur s'emballe quand il est et je me surprend même à me dire qu'il me manque quand il n'est pas là. Tss. Tombée amoureuse d'un vampire. Je crois que je ne pouvais pas tomber plus bas, d'autant que même si rien n'est officiel, ça m'a mis quelqu'un à dos. N'étant qu'une pauvre humaine, j'ai beau ne pas avoir peur de Rubis, je sais que je prends quand même de gros risques à l'avoir comme ennemis. Mais qu'elle ne se trompe pas à mon sujet : je compte bien me venger tôt ou tard de son comportement de gamine possessive. De toute façon, autant ne pas les craindre puisque leur monde est désormais le mien. Je ne retournerais plus jamais chez moi et très franchement, ça me convient. Je n'ai pas envie de partir. Finalement, je suis bien ici et pour rien au monde je ne laisserais Lorcan. Et même si je voulais rentrer, ce n'est certainement pas vivante que j'atteindrais la Floride.