« La Suède me manque, parfois. » Shae poussa un soupir et s'étira comme un félin à la suite de cette déclaration. Un félin beaucoup plus dangereux que les chats d'appartement qu'on peut trouver parfois. Elle se leva du lit, enfila une longue robe de chambre en soie rouge sang pour couvrir son corps nu et attrapa une brosse à cheveux au manche incrusté d'ivoire pour démêler sa longue crinière brune. Elle sentait le regard de son frère aîné sur elle. Un soupir passa ses lèvres et elle se tourna vers lui. Il était appuyé contre le mur, près de la fenêtre occultée par de lourds rideaux noirs. « Je peux savoir ce que tu viens faire dans mes appartements, Cesar ? » Le vampire se contenta de hausser un sourcil vaguement surpris et se décolla du mur pour s'approcher de sa cadette. « Te voir. On ne te voit quasiment plus ces dernières semaines. Ma petite soeur adorée me manque. » « Tu sais, je ne suis pas la seule femme de la famille. Je suis sûre qu'on peut facilement me remplacer. » Cesar éclata de rire avant de se laisser tomber sur le lit aux draps défaits. « Nos soeurs ne sont pas toi, ma petite Shae. Elles sont beaucoup plus... sanguinaires. Et sadiques. Parfois, ton côté calme et rationnel me manque. » Haussement d'épaules. Shae pencha la tête sur le côté sans répondre. Cesar l'observa un moment avant de lui adresser un sourire plein de dents pointues. « Toujours pas décidée à prendre un autre esclave que ton cher Gaël ? Ca fait combien de temps que tu l'as... Une vingtaine d'années, non ? » La vampire fit non de la tête, se mordillant machinalement l'ongle du pouce. « Gaël me satisfait pleinement. Dans tous les sens du terme. » Gaël. Son « petit » Gaël. Elle l'avait pris comme esclave à son arrivée sur l'île, alors qu'il n'avait que douze ans. Elle l'avait vu grandir, elle l'avait presque élevé, peut-être pour se faire pardonner d'avoir massacré ses parents dans une orgie de sang des plus violentes. Ils étaient amants, à l'occasion. Elle l'avait initié elle-même aux plaisirs de la chair. « Tu comptes faire de lui un vampire ? » « Je ne sais pas. Il est... bien mieux en humain. » Cesar poussa un soupir vaguement agacé. « Je ne comprends pas cette fascination que tu as pour la vie humaine, Shae. Sérieusement. » Elle se pinça les lèvres. Sans doute aurait-elle rougi si du sang coulait dans ses veines. « J'aurais aimé vivre une vie humaine. Même le temps de quelques années. Sentir le soleil sur ma peau autrement que comme une brûlure mortelle, ce genre de choses. » Silence. « Tu es étrange, ma chère petite soeur. » « Je sais. Mais tu m'aimes comme ça. »

Je suis Shae Bridgestone. Mon nom doit vous parler. Je fais effectivement partie de la famille Bridgestone, la fameuse famille royale régnant sur les vampires d'Amérique depuis que nous avons fait la peau de Levinson. Je suis aussi la petite dernière de la famille, avec mes 1107 années de vie. La petite vampire à protéger. Mes frères et soeurs ont tendance à oublier que je peux être tout aussi dangereuse qu'eux, même si je suis... disons... plus calme que la plupart mes congénères.
Nous sommes tous nés de l'union de notre père vampire avec des femmes du peuple scandinave de l'actuelle Suède. Des femmes différentes à chaque fois. Certains de mes frères ont plus de cinq siècles d'écart. Je ne sais plus quand nous avons migré en Amérique. J'étais adulte, c'est certain, mais je ne sais plus quand exactement. Peut-être un peu avant la découverte de Christophe Colomb... Quoi qu'il en soit, nous avons migré en Amérique. Nous sommes vite devenus de proches conseillers de l'ancien Roi, Allan Levinson. C'était avant qu'il ne déraille complètement. Bref, notre position privilégiée nous a permis de lui faire la peau quand il a définitivement craqué, dans les années 1800. J'ai d'ailleurs eu l'immense satisfaction de pouvoir démembrer sa progéniture et femme avant de balancer son corps au soleil. Particulièrement exquis. Je vous avais bien dit que je pouvais être dangereuse.
Depuis, donc, je suis reine. Une délicieuse reine, juge suprême de tous les vampires d'Amérique. Je sais que j'attire les regards, je joue avec ça. Je sais aussi que je suis respectée. Aimée, je ne sais pas, mais mon sens de la justice - lequel peut être étonnant si on considère que je suis une vampire - suffit au peuple pour qu'il me respecte, apparemment. J'applique la loi, je suis la loi. Mh. J'ai l'impression d'être une de ces petites pimbêches humaines prétentieuses qui arrivent de temps à autres sur l'île. Pas très agréable, mais c'est la vérité, dans un certain sens. Que dire de plus que ce que je viens de vous dire ?
Je ne sais pas si j'apprécie ma condition toute royale. Certes, elle est agréable. Le faste, le luxe, le respect et la peur que vous insufflez chez les autres, tout ceci est extatique. Mais, et c'est certain, la Suède me manque. Notre condition de petits vampires banals me manque, parfois. Voir tout le monde s'incliner devant soi quand on entre dans une pièce peut-être fatigant, à la longue. Mais puisqu'il faut administrer ce continent, autant le faire jusqu'au bout.

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