Accoudée sur la rambarde du pont, j’entendais les conversations vives et animées en bruit de fond derrière moi, guère intéressée par ces bavardages incessants. Mon regard se perdit sur l’étendue immense qu’était l’océan atlantique et je me surpris à repenser à mon Irlande natale. Ses falaises somptueuse et abruptes rentrant dans la mer, ces champs verts et ses landes gigantesques où, petite, mon frère Donald s’amusait à me faire croire à toute sorte de choses aussi incroyables qu’impossibles, et je passais ainsi mon temps à chercher les leprechauns et autres fairies. Je souris distraitement à ce souvenir, me rendant compte que, malgré mon envie de partir si loin d’eux, ils restaient ma famille –une famille d’adoption, certes-, mais la seule famille que j’aurais jamais et… ils comptaient pour moi, d’une manière ou d’une autre, les Sherridans m’avaient sauvée…
Secouant la tête, je m’éloignai de la rambarde, troublée par tant de sentimentalisme et par peur de faire ressurgir des souvenirs plus anciens encore. J’avais choisis de partir, de voyager et de parcourir le monde. Pourquoi devrais-je être triste ? J’avais vu tellement de choses, tellement de peuples et de coutumes aussi étranges qu’incroyables. Ca m’avait comblé, mais ça ne dure jamais, pensais-je avec ironie.

« Elena ? Tu peux nous prendre en photo ? ». Sans attendre mon consentement, Andy me fourra l’appareil photo dans les mains. Je levais les yeux au ciel, amusée.

« A vos ordres, monsieur Andy » répondis-je mielleusement, faisant une petite courbette qui le fit éclater de rire.

« Cette fille est incroyable, Sean », fit-il en se tournant vers son ami qui devait avoir la quarantaine, des cheveux châtains clairsemés de blancs mais un visage pourtant jeune.

‣ Dans mon rêve, ma tête me donnait l’impression d’avoir été tapée avec un marteau, tant la douleur irradiait de partout, lancinante et répétitive. Je me sentais faible, sans vie et me cœur battait à mes tempes violement. Boum, boum, boum. En fait, tout mon corps semblait être meurtri. Un flash m’aveugla et je me retrouvais sur une plage au sable fin, l’eau s’abatant violement sur moi –peut être était-ce la marée haute ?-, remplissant ma bouche de son goût salé par torrents. Il fallait que je recrache tout, sinon, hé bien, je finirais noyée. Pourtant, je me sentais dans un état second, incapable de faire quoi que ce soit, incapable d’agir. Mon hantise. Et tout à coup, des bras me portèrent hors de l’eau, me sauvant in extremis de la noyade… mais je gémis. Il me faisait mal, ses bras me serraient trop fort, je sentais les blessures sur mon corps plutôt que je les voyais. Et son visage se pencha vers moi, des cheveux châtains, c’est tout ce que je retenu et une phrase « ça ira, t’en fais pas », murmurée à la hâte. Et je sombrais dans les ténèbres, les accueillant presque avec plaisir, puisqu’elles annihilaient toute sensation de douleur. ▫


Mais je finis par me réveiller. J’ouvris les yeux tout doucement et la lumière de l’astre roi m’aveugla aussitôt. Les plissant, le temps de s’adapter, ils purent enfin analyser la pièce dans laquelle j’étais. Et quelle pièce. J’ouvris la bouche en un grand O et la refermais aussitôt, complètement hébétée. What the hell !? Qu’est-ce que je fous ici ? Je sentis mon pouls battre à la chamade mais je le refrénais, me calmant selon les méthodes que le docteur Grey m’avaient un jour expliquées. Il devait y avoir une explique logique et raisonnable… sinon qu’est ce que je pouvais bien faire dans cette chambre de luxe avec des oreillers –en plumes d’oies, à n’en pas douter !- et un matelas aussi confortable ? J’étais sur le bateau et là… je ne comprenais plus rien. Il fallait que je parte. Je voulu me lever mais je ne pus m’empêcher d’esquisser une grimace tant mes jambes me faisaient souffrir. Je voulus les regarder et remarquais au passage des pansements autour de mes bras. En soulevant les draps, je vis la même chose sur mes jambes. Ca ne semblait pas beau du tout. Et ma tête… Un flash me parcourra soudain. Le rêve ! Ce pourrait-il que ça n’en soit pas réellement un ?! Une ombre attira soudain mon attention, je sursautais, bien malgré moi, et une jeune femme –qui venait de toute évidence d’arriver ou du moins, de revenir dans la chambre- m’accorda un sourire timide. Je la regardais, le visage impassible, masquant un maximum de mes émotions, bien qu’elle ait déjà vu ma surprise, je ne voulais pas sembler vulnérable, quelle ironie.

« Qui êtes-vous ? » Demandais-je poliment, toute trace de surprise ou de peur effacée, la voix claire et mesurée.

La jeune femme, d’une démarche agile et gracieuse, s’approcha vers moi et vint s’asseoir sur le fauteuil juste à côté du lit. Une telle proximité ne me plaisait pas, je devais l’admettre mais, pensais-je sombrement, si elle avait voulu m’achever, elle n’aurait surement pas attendu que je me réveille. De plus, elle apportait avec elle des draps de rechange. Oh, touchant. Ca me perturba quelques secondes, n’ayant pas l’habitude que d’autres personnes, en dehors de ma famille, prennent soin de moi. J’étais plutôt quelqu’un d’autonome et d’une grande fierté. Plutôt crever que de supplier à l’aide, telle était ma devise. Mais, dans le cas présent, je fus touchée et quelque peu déstabilisée par tant d’hospitalité. Elle était surement celle qui m’avait posé ces bandages. « Je me nomme Mélinda Eden Kingston, enchantée. Ne t'inquiète pas, tu es en sécurité et entre de bonnes mains ici; et un conseil, évites de bouger car tes plaies ne sont pas encore cicatrisées. » Alors qu’elle parlait, je ne pu m’empêcher de la regarder à la dérobée, mais d’une manière discrète, pas en la fixant intensément. C’est-à-dire en jetant quelques regards par-ci, par-là tout en emmagasinant un maximum de détails. Elle était assez jolie avec son visage bien dessiné et ses grands yeux bleu gris. Elle me faisait penser à un elfe. Je souris intérieurement.

« Je m’appelle Elena », fis-je, voulant lui tendre ma main, mais je renonçais. En effet, les blessures étaient encore bien présentes. « Elena Sherridan », ajoutais-je, avec un fort accent irlandais sur mon nom, en voyant son sourire et me rappelant tout à coup qu’elle m’avait décliné son identité complète. J’aurais été surprise qu’elle connaisse mon nom ou même ma famille. Les Sherridan étaient peut être une grande famille en Europe en ce qui concernait le whisky et les liqueurs –dont la marque était « Sheridan’s » avec un seul « r »-, mais ceux-ci n’étaient pas commercialisés aux USA.

« Où suis-je ? », finis-je par demander après quelques secondes de silence et un regard dans la pièce. Celle-ci était grande, spacieuse et claire. Une légère brise venait de la fenêtre ouverte mais la température de la pièce était suffisamment chaude que pour avoir froid. On ressentait que le –ou la ?- propriétaire de cette maison avait énormément de goût en matière de design. Ca me rappelait la maison à Cork, bien que cette dernière ait une allure plus proche de la nature.

« Que s’est-il passé ? » ajoutais-je, presque aussitôt, ne lui laissant pas le temps de répondre à ma première question. Les sourcils froncés, je tentais de me souvenir. Je revoyais le bateau, Andy –ce trentagénaire sexy, fiancé et qui, pourtant, n’avait pas arrêté de me draguer pendant le séjour-, ainsi que Sean, son ami chirurgien. Puis, plus rien. Le bateau avait-il sombré ? Probablement… sinon, que ferais-je ici ? Mélinda me lança un regard et je ne parvins pas à saisir si elle se disait « la pauvre, elle ne se souvient de rien » et qu’elle pensait que j’étais amnésique –après tout, ça pouvait arriver après un choc important et ma tête le confirmait- ou si elle savait réellement ce qui s’était passé et en avait horreur. Etrange. Ou tout simplement, je comprenais mal ses signaux ne la connaissant que depuis quelques minutes. « Je me souviens que j’étais dans un bateau , repris-je, concentrée sur mes souvenirs, en direction de la République dominicaine. Et puis… plus rien. Je saurais même pas dire s’il s’agissait d’une tempête tropicale qui nous aurait surpris en pleine mer ou si quelqu’un m’a droguée pour m’endormir ou… Bref , ajoutais-je avec un sourire charmant et plein d’humour, je n’ai absolument aucune idée ». La dérision, l’humour, c’était la clé à toute situation embarrassante ou gênante et dans mon cas, c’était pour cacher au mieux ma peur de ne pas me souvenir.