Le jour pointait à peine, mais la chaleur qui promettait de s’abattre sur la jungle aujourd’hui risquait de les assommer. A force de vivre ici, il reconnaissait les variations de température. Ne voulant pas subir cette chape de plomb, Caleb avait donc décidé de se rendre aux sources chaudes. Mais il ne comptait pas y aller seul. Soraya avait bien proposé de venir, mais au dernier moment, elle avait changé d’avis, donnant comme prétexte qu’elle avait autre chose de prévu. Caleb ne se formalisait plus depuis longtemps des changements de dernière minute de sa jeune sœur. Elle était comme ça, indépendante, et il l’avait toujours connu ainsi. De plus, Caleb avait prévenu qu’il comptait proposer à Lexie de se joindre à eux… Si elle acceptait, il ne serait pas seul. Sinon, tant pis, il ne se priverait pas pour autant d’une bonne baignade rafraîchissante.

En déambulant parmi les arbres gigantesques qui peuplaient les lieux, il faisait attention à ne pas laisser de traces derrière lui. Il préférait marcher sur les racines des arbres qui s’élevaient au-dessus du sol, sur les feuilles échouées par terre, mais jamais sur le sol terreux en lui-même. Les empreintes de pas étaient ainsi plus difficiles à pister. Que ce soit pour un humain ou un vampire. Il traversa la rivière, remontant le courant sur plusieurs kilomètres, afin de laisser ses éventuels poursuivants en rade. Caleb avait pris l’habitude d’agir ainsi depuis longtemps, au point qu’il n’y prêtait même plus attention. Il était rapide, prudent mais agile, ce qui lui permettait de ne pas perdre de temps.

Le cabanon de Lexie était bien dissimulé derrière un épais feuillage. Aucun bruit ne parvenait jusqu’à lui, mais il n’était qu’humain. Peut-être qu’un immortel entendrait un vrai capharnaüm de là où il se tenait. Il fit tout de même attention, bien qu’il soit en plein jour, de vérifier les environs. Effectivement, la nuit, les sangsues étaient de sortie, mais la journée, il ne fallait pas oublier que la jungle était aussi peuplée de bêtes sauvages. Et oui, ce n’est pas sur cette île qu’on pourra se reposer tranquillement, les doigts de pieds en éventail, allongé sur un transat, lunettes de soleil sur le nez, et cocktail dans une main. Le mot vacances ne rimait aucunement avec Heartkiller malheureusement. C’était plus camp de la mort qui tue quoi. Rien de réjouissant ! Surtout qu’il avait l’impression de ne pas en voir le bout. Rien à voir avec un entraînement car on sait qu’avec ce dernier, il y a un début et une fin. Pas ici !

Ayant repéré les alentours, il n’y avait rien à signaler. Du coup, Caleb s’avança jusqu’au cabanon, frappa à la porte en bois selon le code qu’ils avaient tous les deux mis en place, puis attendit qu’elle lui ouvre. Il était tôt encore, et l’aube avait pointé le bout de son nez depuis peu. Mais dans une jungle oppressante où on ne dort que d’un œil, il est vrai qu’il est plus simple de s’endormir paisiblement en fin de nuit, sans craindre pour sa propre sécurité, ou celle des autres. Devant l’absence de réponse, il frappa une nouvelle fois à la porte, avec le même code. La porte mit du temps à s’ouvrir. Lexie dormait peut-être encore. Il est vrai qu’il aurait pu venir plus tard, mais plus ils attendraient, plus le trajet jusqu’aux sources chaudes seraient péniblement long et étouffant. Après tout, les sources n’étaient pas à côté, ainsi, faire le trajet sous une telle canicule se révélerait pour eux deux plus facile… Si on peut dire.

« Bonjour Lexie, désolé, je suis un peu matinale. Je ne t’ai pas réveillé trop tôt? » Demanda le jeune homme.

Il ne venait jamais aussi tôt en fait, ce qui devait surprendre la jeune femme. Il préférait venir en fin de matinée ou en fin d’après-midi, toujours avec des victuailles. Il espérait qu’elle ne s’inquiéterait pas de le voir de si bonne heure.

« Je suis venu tôt car j’ai une proposition à te faire. Etant donné que la journée s’annonce étouffante, je pensais que nous pourrions nous rendre aux sources chaudes. Je suis tombé dessus il y a quelques temps déjà. Elles se trouvent à quelques kilomètres d’ici. Ça nous permettrait de nous rafraîchir. »

Bien que les rayons du soleil ne soient apparus que depuis moins de deux heures, on ne pouvait nier qu’il réchauffait l’atmosphère un peu trop vite à son goût.

« Ça te dirait de m’accompagner ? » Proposa-t-il à la jeune hôtesse de l’air.

Bon, certes, la proposition pouvait paraître étrange, mais pas du tout. La relation entre Lexie et Caleb avait quelque peu évoluée. Oh, rien non plus d’extravagant. Ils ne sautaient pas dans les bas quand ils se voyaient. Mais Caleb était devenu beaucoup plus tactile avec elle. Il avait hésité au début, puis il avait écouté son instinct et ses envies. Lorsqu’il avait envie de lui prendre la main, se sentir sa peau contre la sienne, il n’hésitait plus. Il osait l’embrasser sur la joue, même si dernièrement, les lèvres de Lexie étaient une douloureuse tentation. Lorsqu’ils partaient en expédition, il se montrait proche d’elle par de petites attentions comme l’aider à escalader certains obstacles en l’attrapant par la taille. Chose qu’il n’aurait pas fait dans les débuts. Aujourd’hui, être aussi proche physiquement de la jeune femme était à double tranchant. C’était aussi doux que douloureux.

Lorsque la porte s’ouvrit, effectivement, la jeune femme avait l’air tout ensommeillé. A coup sûr, elle venait tout juste de se lever. La cause était qu’il s’était montré un peu matinal. Il avait voulu la rassurer tout de suite, pour ne pas qu’elle s’imagine des choses. Genre « Soraya a disparu, elle n’a pas donné signe de vie depuis hier… ! » Non non ! Tout, sauf ça ! Il aurait l’impression qu’on lui arrache tout simplement une partie de lui. Alors non non, s’il venait de si bon matin, tout allait parfaitement bien. Pour le moment ! Il croisait d’ailleurs les doigts pour. Il manquerait plus qu’ils se retrouvent tous les deux à partir à la rescousse de rescapés. Il aurait un peu trop de choses à gérer en même temps. La sécurité de Lexie, celles des pauvres naufragés…ou « crashés », et la sienne en prime. Non, parce que lorsqu’on sauvait un quidam, il fallait s’assurer de ne laisser aucune trace visible ou olfactive. Ca prenait du temps. Beaucoup trop de temps. C’est pour ça que lorsque ce genre d’accident se produisait la nuit, les Grimm savaient qu’ils avaient peu de marge de manœuvre. Bref… Là n’était pas la question !

Aujourd’hui, Caleb voulait oublier un minimum où il se trouvait et la vie de merde qu’il avait sur cette île. Lexie était un peu son rayon de soleil. Il aimait être en sa compagnie. Elle était agréable, intelligente, douce et prévenante. Ca le changeait royalement de tout ce qu’il avait pu connaître auparavant, que ce soit ici, où ailleurs. Celles qu’il avait côtoyées avant étaient du genre « rentre dedans », séductrices, avec de très très fortes personnalités. Non pas que Lexie ne possédait pas de personnalité affirmée, loin de là, mais ces autres femmes auxquelles il songeait étaient d’un tout autre univers que Lexie. Elles appartenaient pour la plupart aux forces de l’ordre ou au monde de la nuit –je vous laisse imaginer le monde de la nuit… - et ces dernières avaient appris à se défendre et à s’imposer dans un monde d’hommes machos et roulant des mécaniques. Automatiquement, elles avaient un tout autre tempérament que cette jolie blonde qui se tenait face à lui. Et personnellement, il préférait cent fois l’hôtesse de l’air. Avec les autres femmes, ça ne durait jamais longtemps parce que leur emploi du temps étaient aussi chargé l’un que l’autre et dès qu’ils étaient ensemble, ils passaient leur temps à se disputer. Voilà pourquoi Caleb ne s’était jamais senti prêt pour une vie de couple.

Mais là encore, il laissait son esprit dériver… Ce qui lui arrivait souvent quand il pensait à Lexie. Même si ça lui permettait de s’évader un peu, cela pouvait se révéler dangereux. Que ce soit pour sa propre sécurité –imaginez en train de veiller la nuit pendant que Soraya dort…et Monsieur qui laisse son esprit vagabonder vers le joli sourire de Lexie alors qu’un vampire arrive ! Vous voyez le scénario ! Plus de Caleb !-, ou pour son cœur. Hé oui, malgré le fait qu’il ne s’attache pas facilement, Lexie avait su se faire une petite place dans son cœur. Et personnellement, il trouvait ça encore plus dangereux que de se faire bouffer par un vampire. C’est pour vous dire ! Il tenait à elle, et depuis qu’il la connaissait, il faisait tout pour veiller à sa sécurité. Il lui avait promis de quitter cette île car c’était son vœu le plus cher. Il espérait tenir sa promesse. Et puis s’ils y arrivaient ? S’ils parvenaient enfin à quitter cette île maudite, qu’adviendrait-il ? Elle retournerait auprès de son fiancé et lui reprendrait sa vie de Marshall à Phoenix… ?!! Si ce rapprochement devenait plus entre eux deux, comment cela se terminerait-il ? Lorsqu’elle lui avait annoncé qu’elle était fiancée, Caleb avait alors eu l’impression de se prendre une enclume sur la tête. D’habitude, toute femme prise par un autre était défense d’approcher. Mais…il était réellement attiré par elle, et sur cette île, tout pouvait arriver, n’est-ce pas… ?

A cette idée, il secoua brièvement la tête, comme pour se protéger de cette éventualité. Car chaque jour, ils risquaient leur peau. Comment pouvait-il autant s’attacher et risquer de la perdre ? S’il lui arrivait quelque chose, il craignait de ne pas le supporter. Est-ce qu’il voulait manger quelque chose ? Pas vraiment, il avait déjà mangé un bout avant de venir, et il avait un bon nombre de provisions dans la besace qu’il avait pendu sur son épaule. D’abord pour elle, comme toujours depuis qu’elle était sous la protection des Grimm, et deuxièmement pour leur trajet aller-retour jusqu’aux sources chaudes. Caleb avait tout prévu. Néanmoins, il ne voulait pas priver Lexie d’une collation avant le départ. Il avait eu le temps de se préparer, mais elle, il venait de la tirer de son sommeil.

« Je prendrais bien un fruit avec toi. » dit-il l’air de rien, même si le message était clair.

Ils ne partiraient pas tant qu’elle n’aurait pas quelque chose dans l’estomac.

« Et pendant que j’y pense, le colis habituel. » poursuit-il d’un sourire, en sortant de son sac les provisions qu’il destinait à la jeune femme. Des fruits divers, quelques baies aussi et bien sûr quelques morceaux de viande. Ce n’était pas grand-chose, mais il tenait vraiment à ce qu’elle ait des protéines. Oui, Caleb est un sportif qui prend soin de sa ligne habituellement. Même ici, il tente de rester sur sa lancée, tout en faisant attention à l’alimentation de ceux qui l’entourent. Ici, il est facile de dépérir.

Après avoir pénétré dans le cabanon, il déposa les provisions sur la petite table en bois bancale. Il attrapa un des fruits qui provenait de l’ancienne provision. L’apparence de ce dernier commençait à se friper. Puis il réalisa que Lexie avait peut-être un peu besoin d’intimité pour se préparer. Il est vrai qu’il ne l’avait jamais surpris au levé du lit. Les cheveux en bataille, elle était tout aussi attirante. Cette pensée le perturbant, il se reprit aussitôt.

« Euh…je sors,…je vais te laisser te préparer. » dit-il d’un sourire réservé.

Il est vrai qu'avec Soraya il avait l'habitude. Tout les deux se connaissaient sur le bout des doigts. Lorsqu'il savait que sa soeur avait besoin d'intimité, il ne mettait pas longtemps avant de déguerpir et de faire un tour dehors.

Il s’apprêtait à quitter la pièce pour aller dehors, lorsqu’il se retourna pour lui lancer « Et surtout mange quelque chose avant qu’on parte. »

Puis il referma la porte derrière lui. Il s’éloigna un peu, s’asseyant sur un vieux tronc d’arbre qui avait sûrement dû être déraciné par un ouragan ou un truc du genre. De là où il était, il ne pouvait voir par la petite fenêtre ce que faisait Lexie. Et avant de laisser son esprit vagabonder de nouveau en imaginant la jolie blonde se préparer, il mordit dans le fruit sans grande conviction, attendant que l’hôtesse de l’air le prévienne qu’elle était prête.  
Il aurait pu y aller seul, mais non, il voulait lui faire découvrir cet endroit. Lui apporter un petit quelque chose qui la ferait sourire, s'émerveiller devant cette cascade de toute beauté et se délecter de ces sources si agréables.
Oui, s'il lui avait proposé une telle expédition, c'est qu'il tenait vraiment à ce qu'elle soit là, à ses côtés. Et c'est ce qui est fond le perturbait.