Nous ne sommes que rarement destiné à être ce que nous devenons. En règle générale, la vie que nous devrions avoir devait être simple et se résumer à vivre et vieillir, mais à notre époque, vieillir n'est plus exactement une chose commune. Non, c'est devenu difficile de ne plus traverser les âges et j'en suis la preuve vivante, enfin du moins aussi vivante qu'est la mort...

Je suis né il y a 125 ans, fils d'un charpentier, je travaillais durant toute mon adolescence avec lui. L'aidant à bâtir les fondations de maison, à créer des logements. J'avais une vie bien simple, une vie que tout mortel aimerais avoir. J'étais heureux, réellement. J'avais épousé une magnifique jeune femme et j'avais même eu un enfant, je me destinais alors à devenir un parfait père de famille lorsque la guerre éclata. Brisant mes plans d'avenir pour m'envoyer sur le front. Et que dire lorsque je me sentis perdre la vie ? Je voyais ma vie disparaitre et même aujourd'hui je ne sais pas exactement ce qui se produisit. L'attaque direct d'un vampire ou la blessure infligée par une arme ennemie ? Je ne saurais dire, tout ce que je me souviens, ce fut le réveil, un réveil dans une douleur sourde et absente, une douleur que je n'avais jamais ressentie. Je me savais changé, mais à quel point ? Je n'aurais su le dire...

Je fus dés lors encadrer par celui qui serait mon nouveau père, un vampire âgé et dont le charisme n'avait pas de limite. Me perdant dans sa contemplation, j'en viens à oublier la vie qui avait précédé cette renaissance. Oubliant l'humain pour me parfaire dans le rôle qui m'incombait aujourd'hui. J'étais fidèle, sage et envoûté par celui qui s'adressait à moi chaque jour et jamais je n'eus la moindre envie de me défaire de lui. Il était puissant et je l'étais à ses côtés, héritant du rang de noble, héritant d'une supériorité. Et puis les années passèrent et le vampire soumis que j'étais devint peu-à-peu un vampire indépendant. Développant mes propres pensés, développant ma propre ligne de conduite, mais le tout en restant dans son sillage, restant fidèle. J'étais à présent un de ses vampires que l'on pouvait redouter tant le jugement que je portais sur les gens pouvaient leur couter la vie. J'étais la réussite de mon créateur, j'étais l'enfant gâté à qui il passait tous ses excès. Son préféré, celui qui hériterait de son passé et de son futur.

Le temps passa et j'étais devenu un assassin redoutable, tuant bien souvent alors que je me perdais dans les chaires de ma victime, j'étais la parfaite représentation du vampire. Accros au sang et à la luxure, le tout sans ressentir la moindre once de culpabilité. Oui, j'étais épanouie et je ne me doutais de rien. J'étais un prince grisé par le pouvoir qui grandissait peu-à-peu en moi, j'étais un souverain, j'étais au sommet, du moins, c'était ce que je ressentais.

Personne ne doutais de moi à l'époque et grand nombre de personne étaient mes amis. J'avais su développé un réseau, j'avais su m'entourer. Passant ainsi de rang de novice à celui d'expert, je n'étais plus de ceux que l'on pouvait manipuler.

Malheureusement, mon passé revint me hanter d'une bien étrange façon. Nous étions en 1940 et à l'époque, j'étais loin de me douter que c'était le début de ma chute... Alors que j'étais en visite à Cardiff, une ville qui m'évoquait brièvement quelque chose, je fus arrêté par une femme assez âgé, cette dernière jurant que cela était impossible qu'elle devait se tromper, car je ne pouvais être son marie. Toujours charmant, je me proposais de la raccompagner chez elle et ce afin qu'elle ne crit pas au scandale en pleine ville. Mais quelle ne fut pas là mon erreur... Reconnaissant les murs malgré moi, je me reconnus sur d'anciennes gravures, d'anciennes photos et c'est à cet instant que je pris conscience que j'avais été quelque chose avant...

Les semaines qui passèrent furent des plus difficiles, j'avais l'impression que l'on m'avait menti, que je m'étais menti. Ne trouvant plus réellement le repos, j'entrepris de rechercher les fragments de ma vie, j'envisageais même de retrouver l'humanité que l'on m'avait volée... Mais cela fut brisé lorsque je découvris que mon fils était loin d'être un modèle d'excellence, quand je compris qu'il était peut-être pire que moi... Lui avait abandonné sa famille en âme et conscience, et il semblait s'en contre de foutre... Revenant alors vers mon père, je commis les plus grands massacres de mon existence, me défoulant, essayant d'oublier... Mais ce ne fut jamais le cas.

Avec les années, je commençais à supporter de moins en moins la présence de celui qui m'avait arraché la vie. L'accusant de plus en plus et m'éloignant de lui. Je ne le supportais plus, à moins que cette haine soit celle de ma propre existence. Me révoltant de plus en plus, je finis par briser mes chaînes. Le reniant définitivement, je commis des actes peu recommandables envers ma propre espèce... C'était il y a 40 ans.

De noble, je passais au rang médiocre d'exclu et c'est ainsi que je disparus du système. Devenant invisible, imitant ma propre mort. Je me reconstruits de nombreuses vies, me protégeant toujours un peu plus des autres, mais cela ne fut jamais réellement suffisant pour moi. En effet, mon exil me fit comprendre que j'avais commis là une erreur dont je ne pourrais me remettre. Car sans lui, sans l'homme qui m'avait crée, je n'étais qu'un vampire, un vampire perdu et ne sachant plus ou aller. J'étais perdu et peu à peu je sombrais dans les eaux troubles et obscures de la folie.

Perdu, j'errais sans but dans une humanité qui m'avait dégouté. Qu'avait-il de bon dans les hommes ? Rien, car les mois passaient à les soigner, à m'occuper d'eux alors qu'ils étaient plus vulnérables que jamais, me fit comprendre que si le vampire était un monstre s'était uniquement car nous étions une hyperbole de l'humanité.

Alors pourquoi avoir quitté, non, avoir trahis celui qui m'avait élevé loin de la médiocrité ? Je n'arrivais pas à savoir, je n'arrivais plus à me comprendre. Tout renier en pensant être le mal, tous renier pour les hommes ? Pour ce qui n'avait été au final qu'un prémisse à mon immortalité ? J'avais merdé, plus que merdé... Durant ce qui m'avait paru quelques mois, j'avais été heureux, insouciant, et aujourd'hui, j'étais devenu une caricature. Pourtant, il y avait une chose que je ne regrettais pas, ma liberté, ce sentiment puissant que j'avais si longtemps ignorer. Un mal pour un bien me direz-vous ? Je ne pense pas, car à l'heure où je vous parle, je fais mon grand retour auprès des miens. La liberté à un prix, mais mon âme mérite-t-elle se sacrifice ?