Ce soir, j’étais seule au manoir. En effet, Dimitri ainsi qu’un tas d’autres vampires nobles avaient été conviés au bal des Brigestone , ceux-ci accueillant apparemment des vampires venus de Roumanie. Je ne savais pas vraiment grand-chose sur cette réception, Dimitri ne m’en avait que très brièvement parlé. Et puis de toute façon, ça ne m’intéressait pas. J’étais juste curieuse de savoir ce qu’allait faire Dimitri à ce bal, avec qui allait-il passer la soirée. Aurait-il une petite pensée pour moi ? Assise sur une chaise dans la salle à manger, je me rongeais les ongles tout en me posant toutes ces questions. Mon assiette était quasiment pleine, mais je n’avais plus faim. C’était stupide, je sais, mais je me faisais du souci pour mon maître. Je craignais qu’il ne lui arrive quelque chose. Ce n’était pas faute, j’avais toujours été protectrice avec les gens que j’appréciais. Et puis, j’aimais bien tout contrôler, savoir ce qu’il se passait. Là, j’étais dans l’ignorance totale. Et je détestais cela.
Je levai la tête et observai les autres esclaves de mon maître qui mangeaient en silence. Aucun ne semblait inquiet. Au contraire même, ils avaient l’air plutôt soulagés et réjouis de passer la soirée sans Dimitri. Les salauds ! Je me levai et débarrassai mes affaires, avant de me diriger vers la porte. « Hé, tu fous quoi ? On n’a pas l’autorisation de sortir, j’te rappelle. » Je me retournai, faisant face à un jeune homme, la vingtaine, plutôt mignon. Il n’était pas là depuis longtemps, il n’était arrivé que quatre jours auparavant. Un naufrage, si je m’en souvenais bien. Il avait perdu sa sœur âgée de cinq ans. Le pauvre. Rien qu’à y penser, j’en avais des frissons. Le pire dans tout ça était que je savais qu’il ne vivrait pas longtemps. Deux semaines à tout casser. Tout comme les autres esclaves attablés dans la salle à manger. Il m’arrivait parfois d’en vouloir à mon maître d’être aussi cruel et sans pitié, mais j’avais fini par m’y faire. Même si c’était très douloureux pour moi. Quand on vit 24h/24 avec des personnes, on finit par s’y attacher. C’était la raison pour laquelle je faisais de mon mieux pour garder mes distances avec les autres esclaves de mon maître. Ce n’était pas toujours facile, je ne pouvais pas les ignorer lorsqu’ils me parlaient mais je ne voulais pas non plus trop m’investir. Alors parfois je restais des heures dans ma chambre, à attendre que le temps passe. Ils ne comprenaient pas, ils ne savaient pas. Ils ne pouvaient pas savoir. J’étais sans doute trop sensible. Il m’arrivait souvent de prier pour eux, pour qu’ils vivent encore, pour que mon maître devienne plus indulgent et gentil. Mais aucune de mes prières n’avait porté ses fruits. Et au bout de compte, j’étais toujours seule. Chaque semaine, ils défilaient, certains partants et d’autres arrivants. Toujours la même chose. Je détournai le regard un instant, ma main sur la poignée de la porte. « Je sais. Je vais juste faire un tour, il n’en saura rien.» Je me retournai vers la porte, me mordillant la lèvre puis fit de nouveau volte-face vers le garçon derrière moi. Je pris un air sérieux et quelque peu inquiet, avant de le menacer. « Si tu caftes, je te jure que…» Mon dieu, mais qu’est-ce qu’il me prenait ? Depuis quand je menaçais des innocents, moi ? Et depuis quand je menace des gens tout court ?! Je lançai un regard désolé au jeune homme puis m’empressai de sortir du manoir, refermant doucement la porte derrière moi.

La nuit était tombée depuis un moment déjà, mais je n’étais presque pas fatiguée. De là où je me trouvais, je pouvais apercevoir le palais des Bridgestone, où se trouvait mon maître bien-aimé. L’île était calme et l’air frais, presque froid. Je fermai les yeux et souris. J’aimais être seule au calme, n’entendre rien d’autre que le vent et le bruissement des feuilles et des insectes de nuit. C’était agréable de se retrouver seule quelques fois. Je n’étais pourtant pas très fan de la solitude mais j’en avais parfois besoin, je ne savais pas l’expliquer. Je rouvris les yeux et commençai à marcher, m’éloignant peu à peu du manoir.
Soudain, alors que la paix semblait régner sur l’île, des cris parvinrent à mes tympans. Je me retournai et … Oh mon Dieu, ça provenait du manoir. Je ne savais pas quoi faire. Devais-je risquer ma vie et y retourner pour aider mes semblables ? C’est ce que je voulus faire, au départ. Mais à peine avais-je avancé de deux mètres que déjà une main empoigna mon bras. Ensuite, tout se passa très vite. Je n’eus pas le temps de crier, une autre main se plaqua sur ma bouche, étouffant mes cris. Et d’un coup, la cité d’Heartkiller qui semblait pourtant si paisible quelques minutes auparavant se métamorphosa complètement. Un mélange de cri, de pleurs, de peur et même de sang. Le vampire me tenait fermement, m’empêchant de m’enfuir. Il parlait à un de ses compatriotes mais je n’y comprenais de rien. J’étais seulement bilingue, je parlais l’espagnol et l’anglais, mais c’était tout. Quoi que, je savais également me débrouiller en français mais bon. Je ne comprenais rien à ce qu’il se passait, je tentais de me débattre mais le vampire enserrait fermement mon poignet à présent souffrant. J’eus à peine le temps de réaliser ce qu’il se passait que déjà, d’autres vampires arrivaient. Il y en avait certains que j’avais déjà croisé, d’autres pas. Ils se battaient et je peinais à distinguer les bons des mauvais. Le roumain finit par me lâcher et, dans la bataille, je tombai au sol. Je devenais à présent spectatrice de la scène qui se déroulait sous mes yeux. Quelques instants plus tard – ou peut-être quelques minutes, je ne sais pas- je fus brusquement relevée. C’était lui. L’esclave au joli minois. Mais l’heure était grave, je ne pouvais pas rester là à le contempler. D’ailleurs, je n’en eus pas l’occasion plus temps. Déjà un autre vampire m’attrapa par le bras, m’emmenant plus loin. Il courait à vitesse humaine car sinon, je n’aurais pas pu le suivre. Or les roumains nous rattrapèrent sans peine et il fut donc forcé de me prendre dans ses bras pour poursuivre sa course d’une vitesse surnaturelle.

Au bout d’une quinzaine de secondes, il me déposa devant le Killer Burger et me poussa à l’intérieur, ne me laissant même pas riposter. Je ne comprenais rien, je n’avais aucune idée de ce qu’il venait de se passer. J’étais perdue. Mon cœur battait encore à toute vitesse, j’étais encore sous le choc. Je relevai la tête et m’avançai un peu dans la pièce, avant de remarquer une jeune femme que je connaissais bien. Pretisha. Nous étions assez amies, je me confiais assez souvent à elle mais malheureusement, nous ne passions pas beaucoup de temps ensemble. Nos maîtres étaient en effet assez spéciaux et par conséquent, nous n’avions pas nos heures de libertés au même moment. Je n’avais donc pas souvent l’occasion de la voir mais quand c’était le cas, ça ne rendait nos retrouvailles que plus belles encore. Je marchai vers elle, tentant de lui sourire d’un air rassurant. Sauf que je n’étais pas du tout rassurée. « ‘Tisha, j’comprends rien, ils sont devenus complètement tarés ou quoi ? » Ma voix n’était qu’un murmure, je ne voulais pas attirer l’attention sur moi. J’espérais que Pretisha pourrait éclairer ma lanterne, même si j’en doutais un peu. Elle n’était qu’une esclave, tout comme moi, alors qu’aurait-elle pu savoir sur ce qu’il se tramait sur l’île ? Mais je ne voulais pas perdre pied, et commencer à réellement stresser, sinon j’allais péter un câble. Non, il fallait que je reste calme, que je réfléchisse posément… « Ca fait longtemps que tu es ici ? » Si nous étions condamnées à rester coincées ici, autant engager la conversation. J’essayais de paraître la plus naturelle possible et de cacher ma peur. Je ne voulais pas lui transmettre ma terreur.Après tout, ça ne pouvait pas être si terrible. Si ?

J'étais complètement paniquée, j’avais du mal à garder mon calme et à comprendre ce qu’il se passait. Dans le Killer Burger, c’était la folie. Nous devions sans doute être une cinquantaine, humains, esclaves et vampires confondus. Et une sorte de solidarité s’était formée. Ceux qui parvenaient à faire face à la situation sans être particulièrement angoissés prenaient soin des plus " faibles" et les rassuraient. Je faisais partie des faibles. Dans telles conditions, il était impossible de ne pas avoir peur, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Elle était assise, le dos contre le mur, recroquevillée. En me voyant arriver, elle sourit et se releva, avant de me serrer dans mes bras. Je répondis à son étreinte sans hésiter mais je veillai à faire attention. Elle ne semblait pas blessée mais je préférais prendre mes précautions, je ne voulais pas lui faire mal. « Si tu veux mon avis, ils ont toujours été tarés. » Un rire nerveux s’échappa de ma gorge en entendant la réplique de mon amie. Il n’y avait rien de drôle à cela, mais c’était nerveux. Quand j’étais stressée ou mal à l’aise, il m’arrivait souvent de rire. Fort heureusement, je n’avais jamais assisté à un enterrement. Et c’était une bonne chose ! Je suis sûre que je n’aurais pas pu m’empêcher de rire. Les gens m’auraient sûrement prise pour une folle insensible et ils auraient eu raison car cette réaction, celle de rire, aurait vraiment été déplacée. Mais Pretisha avait raison. Ils avaient toujours été tarés. Vampires ou pas, leur attitude était incompréhensible, inhumaine et intolérable. Quel être pouvait prendre plaisir à torturer et tuer ? Une chose pour moi était certaine. Si un jour je devais être transformée, et je priais pour ça n’arrive pas, jamais je ne serais comme eux. Jamais je ne pourrai torturer et tuer. J’aurai des esclaves mais ce sera contre mon gré, par obligation. Je n’étais pas comme eux et jamais je ne le serai. Peu importe ce qu’il devait m’arriver par la suite, je resterai Ava, je resterai moi-même et je ne changerai pas. « Dis-moi tout ce que tu sais. » Pretisha me relâcha et je m’écartai un peu d’elle, restant néanmoins assez proche de la jeune femme. Il y avait un brouhaha dans la pièce et je n’avais pas envie de devoir hurler pour me faire entendre. Je m’apprêtais à répondre mais un grand fracas se fit entendre. « Ava, Pretisha ! J’ai besoin de vous » En un rien de temps, Seth Bridgestone s’était retrouvé devant nous avec une jeune femme dans les bras. Et cette jeune femme n’était autre que… « Mélinda ! Oh mon Dieu est-ce qu’elle… » Je n’arrivais pas à terminer ma phrase car c’était pour moi inconcevable. Je m’étais attaché à Mélinda et elle était à présent pour moi une amie que j’appréciais beaucoup. Seth s’accroupit face à nous et je m’empressai de faire de même. « Vous pouvez m’aider à la soigner, je crains qu’elle ne tienne le coup sans soins… » J’hochai la tête, incapable de prononcer un simple "oui ". Les mots restaient bloqués dans ma gorge. La jeune femme avait visiblement été attaquée par plusieurs vampires, elle était couverte de sang… C’était horrible. Mais il fallait que je sois forte, ce n’était pas le moment de flancher. Seth disparut quelques instants et revint presque aussitôt, avec de quoi soigner Mélinda. « Désolé pour le grabuge, ce n’était pas vraiment prévu au programme. Vous, ça va ? Ava, tu peux nettoyer ses plaies avec ce produit ? Pretisha, tu peux la maintenir et lui mettre le bâton de bois à tes pieds dans la bouche pendant que je lui remets l’os de l’avant bras en place ? » C’était évident que j’allais l’aider, je n’allais pas laisser mon amie mourir devant moi. Mais… Seth allait faire quoi ? Remettre l’os de son avant-bras en place ?! Seigneur… J’inspirai profondément et hochai vivement la tête. « Oui, oui bien sûr. » Mélinda hurla, de douleur sans doute. Elle pleurait, des larmes coulaient le long de ses joues et se mêlaient aux tâches de sang sur son visage. Je caressai doucement ses cheveux et chuchotai à son oreille, voulant la rassurer. « C’est moi, Ava... On est là pour t’aider ne t’inquiète pas, ça va aller. » Je pris le désinfectant et de l’ouate, et nettoyai les plaies sur le corps de Mélinda. Ca devait sans doute piquer un peu mais je faisais de mon mieux pour ne pas lui faire mal. Son cou saignait encore beaucoup, je pressai donc une compresse contre sa peau afin de stopper la petite hémorragie. Pendant que Pretisha la maintenait au sol pour éviter qu’elle ne gigote, je pris sa main dans la mienne. Je voulais qu’elle sache que j’étais là, que je ne l’abandonnais pas.