1033 ▽ La nuit c’est beau. Oui c’est beau mais c’est ennuyeux. Assise sur le balcon, tes petites jambes se balançant dans le vide, tu regardes la lune avec une espèce de lassitude que l’on n’observe que rarement chez des enfants de dix ans, quand bien même ils seraient des vampires. Enfin demi-vampire puisque dans les familles royales on préconise un sang commun. C’est parce que tu aimerais bien voir la lumière du jour. Dans les livres ils disent qu’elle est belle. Qu’au lever de soleil tout semble flotter dans la lueur dorée qui se reflète sur la rosée matinale, que tout est aussi figé que dansant comme si c’était l’aube des temps chaque jour. Mais tu ne l’as jamais vu ça. Et tous ces romans sont un bien piètre substitut à la beauté présumée de l’aurore. Même un crépuscule te suffirait si l’autre t’était refusé. Les films ont beau dépeindre tout cela avec une fidélité remarquable, rien n’est jamais exactement comme il devrait l’être. Et ça, ça t’énerve. Tu as demandé pourtant à pouvoir sortir le jour mais on t’a dit que tu en mourrais. Cela ne te tente pas trop mais pour le principe tu as quand même boudé pendant trois semaines. Si au moins la nuit ici se paraissait de ces mille couleurs boréales que l’on observe dans les pays du Nord tu serais plus heureuse. Mais l’Italie n’est pas comme ça, l’Italie est normale avec seulement les mauvais point communs avec la nuit Norvégienne : le froid. Oh ce n’est pas ce qui te dérange. Les yeux à présent baissés ce sont tes pieds que tu regardes, avec le vide en-dessous. L’air contrit, tu réfléchis. C’est comme une punition en fait. Privée de soleil alors que pour une fois tu n’as rien fait. C’est pas juste. Tu entends des pas derrière toi, c’est encore un esclave. Tournant la tête vers la jeune femme blonde qui s’avance vers toi, tu lui jettes un regard rempli de rancoeur. Qu’on te foute la paix, tu boudes ça ne se voit pas ? Retroussant les lèvres, tu grognes, les canines allongées. Barre-toi. L’autre se fige, pesant probablement les chances qu’elle a de rester en vie si elle s’approche. Baissant à nouveau la tête vers la terre qui semble bien loin, des dizaines de mètres sous tes pieds, tu demandes si tu ne vas pas sauter juste pour lui faire peur. Tu es une petite dont les caprices ont bien plus de conséquences que les autres. Enfin pas sur toi bien évidemment, sur les humains. Mais ça fait toujours un peu mal de tomber de haut alors tu ne sautes pas. Tu te mets debout sur la rambarde - c’est une de ces grandes rambardes en pierre ouvragée, large et plate et non pas une fine barre de métal - et fais deux trois pas avant de sauter sur le balcon. Marchant pied nus, tu sens la fraîcheur de la pierre sur ta plante. Tu gambades avec légèreté et t’arrêtes juste face à l’esclave. Avec un sourire innocent, les canines à présent d’une taille normale, tu tires un peu sur le bas de sa robe comme pour demander une faveur. « Je veux jouer à la poupée. » Un sourire indécis naît sur les lèvres de la blonde qui se penche vers toi. « Mais tu sais tu en a plein dans ton coffre ! Tu veux que je joue avec toi ? » Un rictus gourmand étire tes lèvres roses et tu lui fais signe de se pencher un peu plus pour que tu puisses lui glisser quelque chose à l’oreille. Alors que tu parles le sourire sur le visage de l’humaine coule comme un dessin de craie sous la pluie. Une peur s’allume dans ses yeux, impossible à masquer. Tu la prends par la main mais elle reste comme paralysée. « Qu’est-ce que tu entends par ‘‘c’est toi la poupée ?’’. » Elle parle comme si ces mots lui râpaient la langue, comme si elle parlait avec des tessons de verre dans la bouche et qu’elle n’avait pas d’autre fois. Tu hoches la tête avec un petit sourire et l’entraînes d’une poigne douce mais qui lui fait déjà mal au poignet. Tu la forces à s’asseoir sur une chaise et commences à peigner sa longue chevelure bouclée avec plaisir, debout sur un tabouret. Tu t’acharnes sur les noeuds, ignorant les gémissements qu’elle tente d’étouffer. Elle va pas se plaindre non plus ! Tu vas la coiffer bien comme il faut. Une fois ses cheveux démêlés, tu poses le peigne et fouilles dans une boîte d’élastiques et de rubans, te demandant ce que tu peux bien lui faire. Dans ta tête tu optes pour une tresse sur le côté, tu as appris à les faire il n’y a pas longtemps. Tirant sur ses mèches sans se soucier de la douleur que tu peux lui occasionner, tu les agrémentes de rubans tout en les nouant entre elles énergiquement. Au final elle se retrouve avec quelque chose qui ne ressemble guère à ce que tu avais en tête. Une espèce d’amas de mèches si mal nouées que la moitié sort de la tresse, des rubans aux couleurs bariolées n’allant pas ensemble pendent des cheveux blonds. En colère de n’avoir pas réussi, tu la frappes sur le bras avec force, lui arrachant un grand cri alors qu’un craquement retentit. Son épaule est probablement démise et elle se met à pleurer sans pouvoir se contrôler. Tu n’aimes pas l’entendre pleurer comme ça alors tu te rapproches d’elle et plantes tes canines dans le creux de sa nuque. Elle hurle mais bien vite se tait alors que tu bois goulument. Tu n’avais pas encore mangé et tu commençais à avoir fin de toute façon. Mais ça a fait des taches sur le sol et c’est à ce moment que la porte de ta chambre s’ouvre. « Serena qu’est-ce que tu as encore fait ? » Tu te tournes avec une vivacité impressionnante et cours pour sauter au cou de ton père. « Mais papa j’avais faim ! » Il te repose immédiatement sur le sol et tu affectes d’être contrite. Non mais c’est vrai quoi, t’es en haut de la chaîne alimentaire on va pas te faire la morale parce que tu manges... Le roi se met sur un genou et te parle en face. « Serena tu ne dois pas être injuste envers les esclaves. Des fois ils méritent la mort mais ils ne doivent pas être exécutés sans que tu les aies jugés. » C’est comme s’il t’engueulait et tu n’aimes pas vraiment ça. Ce n’est absolument pas agréable. C’est peut-être parce que ton père transpire d’une autorité irrévocable, moi-même il me donne des frissons dans le dos. Et pourtant tu l’aimes beaucoup ton père. Comme pour toutes les petites filles, qu’elles soient humaines ou vampires, il est ton héros pour l’instant. Tu baisses les yeux vers le sol, tortillant tes mains entre elles. « Promets-moi que tu ne recommenceras pas. » Tu lèves des yeux brillants de larmes vers ton géniteur et acquiesce d’une toute petite voix tremblante. Dans la pièce d’à-côté le cadavre encore tiède de l’esclave reste assis sur la chaise et tu lui jettes un regard de regret. Elle n’était pas méchante en plus. Tu étais juste énervée de ne pas pouvoir voir le soleil...

1154 ▽ Cela fait maintenant 131 ans que tu parcours cette terre. Elle est loin la gamine capricieuse qui tuait des esclaves parce qu’elle voulait voir le soleil. Elle a grandi et pas qu’un peu. Tu es devenue officiellement importante de par le métier que tu exerces en plus de ton seul rang de princesse. Négociatrice du royaume d’Italie, responsable de toutes les alliances avec les autres nations, voyez-vous ça. Tu es peut-être un peu jeune pour cela mais être la fille du roi aide. L’avantage c’est que tu voyages. Oh tu adores ton pays qu’on n’aille pas s’imaginer le contraire mais voir d’autres contrées apaise cette espèce de côté sauvage et animal que ton père t’a légué. Et tu n’es pas la seule à en avoir hérité, ton frère aîné Achille en a hérité aussi. Dernier de tes six frères, il est de fait le plus proche de toi, autant au niveau de son âge qu’émotionnellement. Lui aussi ressent constamment le besoin de voyager et souvent tu vas avec lui. Espagne, France, Grèce, Asie, Afrique du Nord comme du centre ou du Sud, Russie... Vous êtes allés dans beaucoup d’endroits pour remplir vos devoirs de prince et princesse. Tu trouves rarement le temps de t’ennuyer dans ces voyages et si au début tu suivais toujours à la perfection ton emploi du temps, quitte à rester à ne rien faire parce que tu avais un trou dans celui-ci, tu as pris l’habitude d’exploiter tes moments d’inaction en allant dans les rues des capitales - la nuit bien évidemment - te mêler aux vampires de classe inférieure. Tu les trouves plus intéressants que ces princesses fades et peinturlurées que tu es obligée de supporter lors de réceptions. Ils te permettent de comprendre ce dont parlait ton père quand il mentionnait l’immense tâche qu’est celle de gouverner. Et tu es heureuse de savoir que tu n’auras jamais le faire. Mais t’acquitter de ta tâche reste à tes yeux un moyen d’alléger son fardeau. La famille c’est sacré, et Dieu sait pourtant que tu as eu du mal à t’y imposer. A quoi s’attendre d’autre de toute façon lorsque l’on est la cadette de six hommes considérant automatiquement une femme comme faible ? Cela ne fait pas si longtemps que cela que tu as réussi à les convaincre que tu valais un peu plus que cela. A vrai dire pour une femme tu jouis d’une réputation bien plus haute que tu ne le devrais. Au Moyen-Âge central on n’a guère l’habitude d’accorder une grande importance à une femme. J’entends bien évidemment par cela que si une princesse sera traitée avec le plus grand respect par un paysan, aux yeux des princes elle ne vaudra guère plus qu’une fermière vue par un autre fermier. Tu étais donc née pour leur être inférieure. Tu les as fait changer d’avis. Et ça a été une très longue bataille. Oui, heureusement que tu tiens tant de ton père pour ce qui est du caractère car tu n’y serais jamais parvenue autrement. C’est peut-être grâce - ou à cause la question se discute - de tes frères que tu es devenue telle que tu l’es et que tu as tenu à gagner en indépendance. Tu es forte maintenant. Oui, elle est décidément bien loin cette gamine. C’est ce que je me dis alors que tu regardes simplement le ciel de Norvège. C’est la première fois que tu t’y rends et Achille est avec toi. La nuit promet d’être longue mais vous avez encore un peu de temps devant vous. Appuyés contre la rambarde du balcon, vous discutez tranquillement. Avec lui tu es bien moins froide que tu ne l’es envers la plupart des vampires et même tes autres frères dans une moindre mesure. Les étoiles brillent haut, très haut. Jamais tu n’as vu un tel ciel, chaque astre y est deux fois plus visible qu’à l’Aquila. C’est comme si quelqu’un avait semé des paillettes partout dans la nuit et qu’il avait allumé une lampe pour que sa lumière s’y reflète. Une étoile filante passe, laissant une traînée rouge sang derrière elle. « Fais un voeu. » Tu souris à ton frère et fermes les yeux. Fais un voeu. Que souhaiter ? Fais un voeu. Tu rouvres les yeux. De petits nuages n’obstruant nullement le ciel y passent, parfaitement visible grâce à la lueur qui les éclaire. Une lueur ? Une espèce de rayon vert naît paresseusement au creux des collines qui vous font face et commence à s’étirer de plus en plus vite. Il grandit, cachant presque la magnificence de la Voie Lactée. Bouche bée, tu sens ton coeur faire un bond devant le spectacle aussi étrange qu’époustouflant. Il te semble entendre la voie de l’esclave qui te servait de nourrice alors qu’elle te contait des légendes. « Achille, les lumières du Nord... » Tu avais tort quand tu étais petite. Aucun jour, aucune aurore, aucun crépuscule ne pourrait jamais égaler les aurores boréales qui se pavanent devant tes pupilles écarquillées. Comment le pourraient-ils ? Tu ne sais plus vraiment où tu es, il te semble pourtant que tu es là depuis des siècles. Comme si c’était ton chez toi. La Voie Lactée, l’aurore boréale... Tu es dans une espèce de rêve. Le plus beau c’est de te dire que tu as l’éternité devant toi pour revenir dans ce théâtre et applaudir ce spectacle encore et encore.

1349 ▽ Tu poses une main sur le front de l’esclave. Il frissonne de fièvre, sa peau est brûlante. Tu te mords la lèvre avec mécontentement. Il te jette un regard apeuré, se demandant ce que tu vas faire de lui. Tu le saisis par le bras et il pousse un hurlement de douleur. Suspicieuse, tu déchires d’un coup sa manche, révélant sa peau marbrée de rouge. Il a un énorme bubon, on peut presque voir les liquides s’ajouter en-dessous. « Tu croyais pouvoir nous cacher ça longtemps ? » Il secoue la tête en tremblant et tu prends avec douceur son visage entre tes mains avant d’imposer une violente torsion à son cou. Un craquement retentit. Il n’a même pas eu le temps de crier avant d’expirer. Au moins il n’aura pas souffert, c’était une faveur que tu lui as fait. Tu laisses son corps sur le carrelage et prends une torche pour le brûler à même le sol. L’odeur de chair brûlée monte à tes narines et t’arrache une grimace. Mais la ville entière elle-même est comme habitée de cette senteur en permanence depuis deux mois. Ignoble. Et dire que vous devez vous nourrir des seuls valides qui restent. Tu ouvres la double porte du petit salon et sors, marchant à la rencontre d’un de tes frères aînés, Athos. « Encore un. » Il te lance un regard un peu las avant de hocher la tête vers la chambre dont il sort. Lui aussi vient d’abréger les souffrances d’un ou d’une esclave. Dire que ça occupe à présent une partie de votre nuit... Désespérant non ? « Il faudra qu’on aille enterrer leurs restes avant l’aube. » Tu acquiesces avec lassitude. La peste t’épuise. Indirectement elle touche aussi les immortels. La moitié des humains semble y passer. Il faut s’occuper des esclaves, trouver de la nourriture saine... Le sang contaminé n’est pas nocif mais il est immonde, tout bonnement infect. Quand on n’a rien d’autre à boire à la limite mais on évite sinon. La famine qui sévit sur le pays n’a pas seulement rapport aux cultures abandonnées et au bétail infecté au final. Tu n’as pas voyagé depuis le début de l’épidémie, chacun a trop à faire dans son propre pays. Tu t’imagines les princesses de France ou d’Espagne confrontées à un esclave contaminé et cette simple image te fait rire. Elles en mourraient ces pauvres petites poupées. Et ça se dit vampire... Tu vas jeter un coup d’oeil dans la chambre d’où ton aîné sort et c’est pour reconnaître le visage de la jeune femme dont le corps est en train de se consumer. Une bouille d’ange, des cheveux bruns. Selena qu’elle s’appelait, presque comme toi effectivement. Et Athos l’aimait... Plus qu’il n’aurait dû disons. Tu le savais fort bien. Lorsque tu retournes dans le couloir, tu le trouves adossé au mur, secoué de tremblements d’avoir dû ôter la vie à celle dont il s’était amouraché. Tu te rapproches de lui et alors que tu ne lui témoignes pas souvent d’affection, tu le serres dans tes bras. « Athos, on ne la laissera pas dans une fosse avec les autres. On la mettra en bière. » Il lève des yeux humides vers toi et acquiesces avant de chuchoter quelques mots d’une voix rauque. « On jettera le cercueil dans la mer ? » Tu remarques que sous l’effet de l’émotion ses canines sont allongées. Sa requête te surprend et tu ne sais guère quoi répondre. La mer est loin, il vous faudrait voyager. Et surtout de la part du plus grand de tes frères c’est assez surprenant. Déroutée, tu finis par répondre sans avoir vraiment réfléchi. « Oui. Oui si tu veux. » Et merde. Que tu sois damnée, c’est parti pour un magnifique voyage. Tu te mords la lèvre en te rendant compte de la connerie que tu viens de faire mais déjà Athos te remercie. Eh bien c’est parti.

On ne voyage pas très vite avec un cercueil c’est moi qui vous le dit. Mais tu supportes en silence. Après tout vous avez l’éternité devant vous. Beaucoup des villages que vous traversez sont déserts et on entend résonner les cris des Fossoyeurs. Tu regardes la lune. Chaque jour vous êtes obligés de vous réfugier dans une maison de pestiférés et parfois même vous devez sortir les corps. Et tu ne cesse de te demander ce qui t’a motivé à accepter de venir avec lui. Après plusieurs jours de route vous y êtes enfin. Devant vous s’étend la mer, indifférente à la misère des humains comme celle des immortels. Le ressac frappe inlassablement la plage et les rochers comme dans une vieille bataille qu’il espère gagner et chaque crête de vague rutile sous la lumière lunaire, comme si l’océan était un tapis de diamants. Il te semble comprendre pourquoi Athos désirait que l’on abandonne ici le cercueil de celle qu’il a fugitivement aimée. La raison de cet amour en lui-même t’échappe mais cela n’a guère d’importance. Sachant qu’il n’a pas besoin de ton aide pour soulever la dernière demeure de Selena, tu saisis quand même l’arrière de la boîte mortuaire et l’accompagne alors qu’il s’avance dans les flots. L’eau glacée te monte jusqu’à la taille, ta jupe te colle à la peau et tu continues pourtant de marcher sans te soucier de la morsure gelée sur ta peau. Oh ça ne va pas te tuer de toute façon. L’écho des vagues sur le rivage est le seul son à oser briser le silence. Tu jettes un oeil à ton aîné, à son poing crispé sur la poignée du cercueil, à sa mâchoire serrée de douleur. C’est si étrange de voir un être vieux de plus de quatre cent ans que tu as toujours considéré comme une espèce de roc souvent méchant dans un tel état. Comme quoi même les plus forts d’entre nous peuvent être brisés. Une espèce de tristesse t’étreint dans ce lieu où tout semble prendre une autre dimension. Soudain il s’arrête et tu fais de même. Vous lâchez le cercueil et tu lui donnes une impulsion pour qu’il s’éloigne. Combien de temps sera-t’il ballotté avant de s'abîmer enfin ? Comme s’il ne pouvait plus tenir debout sans aide, Athos s’appuie sur ton épaule, se raccrochant à toi comme si tu étais son dernier port. Tu sais qu’il ne le fait que parce que tu es le seul être vivant à côté de lui mais ça te touche quand même. Tu ne regrettes plus tant de l’avoir accompagné, c’était un devoir.

1812 ▽ Elle n’est plus là la peste et depuis bien longtemps. Son souvenir a passé, ses dégâts sont depuis longtemps oubliés. Et si le nom de Selena se rappelle encore parfois à Athos, c’est sans douleur qu’il y pense. Juste une anecdote. C’est étrange comme le temps déforme l’avis qu’on avait des gens, comme il en magnifie le souvenir ou au contraire le minimise. Oui les temps ont bien changé. La révolution industrielle anglaise a changé bien des choses même à votre vie de vampire. La palais s’est nettement amélioré et si tu préférais peut-être la garde-robe que tu avais lorsque tu étais invitée à la cour de Louis XIV ce bon vieux roi de France, on peut dire que votre style de vie est plus agréable avec toutes ces nouvelles inventions. La littérature française est également impressionnante bien que tu aimes énormément l’italienne. Tu es justement assise dans un fauteuil dans ta chambre et dévores un roman. Tu profites de ces moments où tu n’as rien à faire pour te cultiver disons. C’est qu’ils se font de plus en plus rares ces moments en question. Soudain la porte s’ouvre et tu lances un regard excédé à l’esclave qui vient de passer sa tête dans l’embrasure. « J’avais demandé qu’on ne me dérange pas. » Oh c’est bon fais un effort c’est certainement pas de son plein gré qu’elle est là la gamine. Après tout qui a envie de se frotter à toi ? Pas moi en tout cas, coup du destin j’y suis obligée. On remerciera le boulot de conscience. D’une petite voix apeurée - je ne vois pas pourquoi tu ne fais pas de mal aux esclaves quand ils ne l’ont pas mérité - la brunette t’informe : « Mais princesse votre père vous attend dans le salon... » Allons bon, le Grand Manitou te demande. Qu’est-ce qu’il peut bien te vouloir ? Tu congédies l’humaine d’un geste de la main, rassembles les plis de ta jupe et te lèves pour passer la porte et rejoindre ton paternel. Comme toi il n’aime pas qu’on le fasse attendre alors tu presses le pas. Tu le trouves le dos tourné à la porte, regardant par la fenêtre. « Assied-toi Serena. » Intriguée, tu t’exécutes en silence. Qu’est-ce qu’il va t’annoncer le daron ? Il se retourne et te regarde avec un grand sourire, comme s’il était porteur de la Bonne Nouvelle. « Nous avons tout convenu, tu te marieras avec Jewel Harrington, le prince du royaume d’Angleterre. » Quoi ? Quoi ? « Quoi ? » Tu cries presque en te levant d’un bond. Ton père semble désarçonné, il devait penser que la nouvelle te ferait plaisir. Eh bien apparemment non. « Eh bien tu sais, le frère de ton amie Jézabel. » Oui non mais tu sais qui c’est. Enfin tu ne l’as jamais vu mais tu as compris de qui il parlait, tu n’es pas idiote. Ton exclamation portait plutôt sur la partie ‘‘tu vas te marier et passer l’éternité avec un homme qu’on a choisi et on ne t’a pas demandé ton avis’’. « Je m’en fous de qui c’est ! Vous auriez pu me prévenir ! » Enfin le principe du mariage arrangé entre puissants c’est justement qu’on ne demande pas l’avis des concernés vois-tu, c’est cela qui fait si justement polémique. Sinon ça n’aurait pas d’intérêt. Cela n’est pourtant pas à ton goût. Du tout. En fait c’est une espèce de volcan qui s’est réveillé sous ta peau. Un volcan explosif et non pas effusif comme le Stromboli. A noter que l’on peut prendre ma phrase dans les deux sens, soit comme le Stromboli étant un volcan effusif, soit comme le Stromboli étant un volcan explosif. Eh oui, ma mémoire de conscience me joue parfois des tours. Mais tu n’as pas grand chose à foutre de la catégorie à laquelle appartient le Stromboli. « Eh bien figure-toi que je viens de te prévenir. Et c’est comme ça. » Il n’a plus l’air de douter de lui non, il a repris ses esprits et a le même ton qu’il utilisait pour te gronder quand tu étais petite. Ce ton que tu détestes. Implacable, il te regarde avec des yeux d’aciers et à ce moment même tu comprends que tu n’as absolument pas le choix. Pourtant tu ne renonces pas à faire entendre ta voix. Peut-être que tu l’aimeras ce Jewel mais c’est pour le principe. Bordel tu ne veux pas qu’on te fasse ça. Tu commences à hurler à plein poumons, les lèvres retroussées sur des canines démesurément allongées, criant à t’en arracher les cordes vocales. Tu donnes un coup de poing sur un meuble et ta main enfonce le bois avec violence, arrachant un craquement désespéré à l’antique commode qui cède sans trop batailler. Puis tu renverses la table. Oubliée la princesse distante et froide, celle qui fait face à ses obligations sans montrer de réel sentiments, oubliée. Ta sauvagerie se déchaîne à l’état pur mais ton père reste planté au milieu de la pièce, roc imperturbable. Tu ne veux pas te marier comme ça. Tu t’es battu siècle après siècle pour qu’on te considère comme plus que simplement une femme et au final ça n’a servi à rien. Lorsque ta fureur semble s’être écoulée, épuisée, tu te tiens debout face à lui, ne sachant plus vraiment quoi penser ou quoi faire. Il prend ton visage entre ses mains et t’embrasse sur le front. « Ce qui s’est passé dans cette pièce restera dans cette pièce. Mais tu te marieras avec lui. » C’est une petite voix d’enfant qui sort de ta bouche, zozotant un peu à cause des canines. « D’accord père. » Non. Tu ne veux pas. Tu voudrais recommencer à crier mais tu n’en trouves pas la force. Quand bien même il serait le meilleur homm.. Vampire du monde, tu le haïrais parce qu’on te force à l’aimer.