Tirée de mon profond sommeil par quelques voix, je tentais vainement de me rendormir. Mais je n’y parvenais pas. Ils criaient dans mes oreilles, ils hurlaient même, leur voix était si proche que je ne parvenais même pas à distinguer si c’était une femme ou un homme. Il y avait trop de bruits, j’avais l’impression que mes tympans allaient exploser. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, c’était brouillé et puis il me semblait aussi qu’ils parlaient une autre langue. Ils faisaient un vacarme incroyable, et ils marchaient tellement bruyamment ! C’était comme si ils sautaient tous sur place en hurlant des mots incompréhensibles. Pourquoi diable Dimitri ne les faisait-il pas taire ?! J’aurais moi-aussi voulu leur hurler qu’il y avait des gens sur cette île qui essayaient de dormir ! Je me retournai dans mon lit, agacée. Je tentais de faire abstraction de ce brouhaha, or c’était me demander l’impossible. « Si dans cinq minutes ils font toujours autant de bruit, tu descendras et tu leur demanderas gentiment de fermer leur bouche. » Je poussai un long soupire, toujours les yeux fermés, coinçai ma tête dans mon oreiller de façon à me boucher les oreilles et essayai de me rendormir. Au lieu de ça, je finis malgré moi par me concentrer sur les bruits. Au fur et à mesure, ils devenaient plus clairs. Moins stridents, aussi. J’entendais des assiettes, des verres s’entrechoquer. Sans doute était-ce les autres esclaves qui dressaient la table. Merde, il fallait que je me lève moi-aussi. Je n’allais pas faire la grasse matinée, Dimitri allait s’énerver, après. J’ouvris les yeux me redressai aussitôt. Je me relevai d’un bond en découvrant l’état de ma chambre. Les draps étaient déchirés, l’oreiller éventré et le lit semblait avoir été attaqué par un chien enragé… J’écarquillai les yeux et enlevai une plume blanche, provenant de l’oreiller, de mes cheveux. « Qu’est-ce que… » Je fis volte-face, m’attendant à me retrouver face à un vampire ou même un animal. Personne. J’étais bien seule dans la chambre. J’aurais dû sentir mon cœur s’affoler mais rien… Rien. J’étais comme vide. J’avais juste l’irrépressible envie de pleurer, maintenant que la réalité me revenait en pleine face. « Oh mon Dieu… » Je passai mes doigts sur ma joue et découvris avec effroi que je pleurais du sang. Était-ce normal ? Je n’avais jamais vu un vampire pleurer, je n’en savais absolument rien. Si ça se trouvait, je n’étais pas normale et j’allais mourir dans d’atroces souffrances. Je ravalais un sanglot lorsque je me rendis compte de la phrase que je venais de prononcer. C’était tellement ironique et stupide, dans cette situation !

Alors que des larmes de sang coulaient toujours sur mes joues pâles, je me surpris à rire. C’était tellement horrible de ressentir ça, d’être partagée entre l’envie de rire et de pleurer. Je ne savais pas, je ne savais plus, j’étais complètement perdue. Une part de moi se raccrochait à son humanité, tandis que l’autre n’avait qu’une seule envie : Profiter et tout détruire sur son passage. Je soufflai et me précipitai dans la petite salle de bain. Je passai mes mains tâchées de sang sous l’eau et nettoyai aussi mon visage ensanglanté par mes larmes. Je relevai la tête et… Nouveau choc. La fille dans le miroir ne me ressemblait plus. Ses cheveux étaient parfaitement lisses, d’une délicieuse teinte chocolat. Par réflex, je portai ma main à mes cheveux, comme pour m’assurer que c’était bien les miens. Le regard toujours rivé sur le miroir, mes doigts glissèrent jusqu’à ma joue. Mon teint était pâle, contrastant avec la couleur des yeux qui eux étaient noisettes. Je passai mon index sur mes lèvres, comme si je redécouvrais mon propre corps. Celles-ci étaient roses et douces. J’ouvris la bouche, mes dents étaient parfaitement blanches et alignées, comme une de ces filles pour les publicités Colgate. Ma main glissa ensuite jusqu'à mon ventre, qui avait totalement cicatrisé. Je ne pus m’empêcher de sourire puis sortis de la salle de bain. J’avais faim. Ou soif, je ne savais pas trop en fait, peut-être était-ce les deux. Je quittai ma chambre, prenant soin de ne pas regarder mon lit bien amoché, et traversai le couloir. Je marchais avec une certaine grâce, ce qui me surprenait et m’amusait beaucoup étant donné que j’étais d’un naturel maladroit. Je descendis les escaliers et ma voix résonna dans le hall. « Maître ? » Je n’osais pas vraiment l’appeler par son prénom, l’habitude sans doute. Et… Techniquement, j’étais sa succube non ? Je n’en savais rien, en fait, nous n’avions jamais eu cette discussion. Je ne voulais pas être un fardeau pour Dimitri, je voulais qu’il soit fier de moi. J’allais donc me conduire de façon exemplaire. Je n’eus pas le temps de faire un pas de plus, que déjà mon maître était devant moi. Mon regard se plongea dans le sien, et les évènements de la veille me revinrent en mémoire. Il m’avait sauvée. Il ne m’avait pas laissée mourir, il m’avait sauvée, il m’avait gardée auprès de lui. Il était définitivement mon héros. Comme lors de notre première rencontre.


« Lâchez-moi ! » Je me débattais autant que je le pouvais, j’étais déchaînée, je lui jetais des coups de pieds, le griffait… En vain. L’armoire à glace refusait de me lâcher et de me laisser partir. J’entendais des cris derrière moi, je savais que des hommes étaient en train d’emmener les survivants du crash. Il y avait eu tellement de sang dans la mer, je pensais qu’ils étaient tous morts. Apparemment, ce n’était pas le cas. Mais j’avais bien failli y passer. Quand l’avion avait plongé dans l’eau, il s’était brisé en deux et j’avais été projetée contre une paroi. Ma jambe était ensuite restée coincée dans un des débris de l’avion et un de ces étranges hommes m’avait sortie de là en entendant mes cris. J’avais cru qu’il allait me sauver, me rassurer mais au lieu de ça, il avait ri. A présent, il me tenait fermement le bras, me tirant pour m’emmener avec lui. J’avais mal, partout, c’était affreux. Ma jambe était ensanglantée, et le sang ne cessait de couler, semant des petites gouttes à chaque pas que je faisais. J’avais d’horribles maux de tête, aussi, et des bleus un peu partout sur corps.

Alors que je ne cessais de lui hurler de me lâcher, le jeune homme me plaqua contre un mur – car nous venions d’arriver dans ce qui ressemblait à ville- et appuya sa main sur ma bouche. « Tu la fermes, maintenant, ou je t’arrache la langue. » J’écarquillai les yeux, terrifiée. M’arracher la langue ? Il était complètement taré ! Néanmoins, je me tus, ne désirant pas tester sa sincérité. Il me traîna longtemps, du moins ça m’avait paru être des heures. Je n’en pouvais plus, j’avais atrocement mal à la jambe mais il ne semblait pas s’en soucier. Au bout d’un moment, je finis par parler. « J’ai trop mal, j’peux plus avancer, s’il vous plait… » Il se tourna vers moi et me dévisagea, moi et mon visage baigné de larmes. Il leva les yeux au ciel et répondit simplement. « Avance. On est bientôt arrivé. » Je gémis et continuai de le suivre, malgré tout. Nous finîmes par arriver et je pus enfin m’arrêter. Nous étions encore à l’extérieur, mais je ne savais absolument pas où nous étions , je ne voyais rien tant il faisait sombre. Une femme sublime apparut alors devant moi, alors que je croyais rêver. Comment avait-elle fait ? Je ne l’avais même pas vue venir ! L’endroit était apparemment un lieu de rendez-vous.« Rick, je t’ai déjà dit cent fois que j’avais suffisamment d’esclaves. De plus, tu sais très bien que je préfère les rousses. Et toi, tu m’amènes cette fille… » Elle prit un air dégoûté en me regardant. Je ne comprenais rien à ce qu’il se passait, j’avais l’impression d’être dans un cauchemar. L’esclavagisme n’existait plus depuis bien longtemps, de quoi parlait-elle ? Je reculai, voulant partir, mais la demoiselle m’attrapa par le bras. « Insolente, en plus de cela… » Je fronçai les sourcils et tentai de me dégager de sa poigne. « Je n’ai rien fait, laissez-moi ! » Son autre main me gifla violemment et je vacillai tant le coup avait été puissant. « Vide-la de son sang, je n’ai pas besoin d’elle. » Elle me lâcha et je portai aussitôt ma main à ma joue brûlante. J’étais complètement terrifiée, je ne comprenais pas pourquoi ils étaient aussi méchants avec moi, je ne les connaissais pourtant pas.

L’homme s’avança vers moi, un sourire sadique aux lèvres, me forçant à reculer encore. Mon cœur battait à toute vitesse, je n’avais jamais eu aussi peur de toute ma vie. Je ne savais pas comment il allait bien pouvoir « me vider de mon sang » étant donné qu’il n’avait aucune arme sur lui, et que la femme ne semblait pas en avoir non plus. Soudain, alors que la distance entre mon bourreau et moi devenait de plus en plus réduite, un homme s’interposa entre nous deux. Il était arrivé sans que je ne le voie venir, peut-être était-il depuis le début ? Apeurée, je reculai encore, pour m’éloigner de ces gens, mais je fus forcée de reconnaître la beauté du nouvel arrivant. Il avait des cheveux sombres, un peu en bataille, et était habillé de façon très classe. Je ne pouvais distinguer la couleur de ses yeux, il faisait trop sombre, mais j’étais certaine que je n’aurais pas été déçue..


Je souris et me jetai dans ses bras, manquant au passage de le faire tomber. Cette journée allait être géniale.