Lheti est née dans la vieille ville de Lübeck, sur une île du nord de l'Allemagne d'aujourd'hui. Sa belle Lübeck, une ville forte, indépendante pendant des siècles, la plus grande ville sur la route maritime et commerçante de l'époque. Ses parents avaient toujours été d'humbles pêcheurs, alors voir son petit frère suivre les pas de son père avait semblé en toute somme logique. Leur disparition en mer également, à vrai dire. Oh, Lheti a pleuré, oh oui, quand même. Combien de larmes n'a t'elle pas versées, à cette époque, combien... Mais elle ne pu le faire bien longtemps, après tout ; elle et sa mère devaient se ressaisir et aller de l'avant. La mère de Lheti s'associa avec son beau-frère, lui aussi pêcheur, elle vendait ses poissons dans une petite boutique aux abords du port. Lheti se souvient de ses années... en demi-teinte. Car si elles vivaient convenablement, elle apprit à découvrir que tout les hommes n'étaient pas comme son père, dignes et protecteurs. Elle apprit que la pêche rendait les hommes violents, elle les renvoyait à leur état primitif. Au bleu cobalt de la mer, elle découvrit ses reflets ; violacés, jaunissants, rouge vifs. Elle comprit que la mer était hostile aux femmes pour bien des raisons, et découvrit les larmes amères qu'elle faisait couler continuellement sur le visage de sa mère. Alors elle prit la fuite, chercha des réponses ; elle finit par trouver refuge derrière la toute nouvelle imprimerie de la ville. Une vraie révolution à cette époque, un monstre de briques et de ferraille pour elle, petite adolescente perdue. Elle jouait avec les formes métalliques usées, difformes, tentait de former des mots avec ; elle écrivait à son père, son frère, sur les murs de l'imprimerie, entre deux buissons.

Puis, un soir, elle fut réveillée par une dispute, une de plus ; mais une de trop. Lorsqu'elle osa descendre voir ce qu'il se passait, le silence était déjà revenu : sa mère s'était tue. Son oncle avait du sang sur les mains, sur... partout en fait. Tellement qu'aucune mer du monde n'aurait pu le laver de ce qu'il avait fait, et ça ne semblait pas le gêner. Lorsqu'il aperçu Lheti, il voulu s'élancer à sa poursuite, mais la jeune femme avait prit les devants en s'enfuyant par l'arrière-boutique. Ses pas la conduisirent automatiquement vers l'imprimerie, même si à cause de l'heure tardive, il semblait évident que personne ne lui ouvrirait. Une fois arrivée devant la bâtisse, elle tambourina à la grande porte en criant qu'on l'aide, mais bientôt les pas rapides et les jurons de son oncle, un couteau à la main, se rapprochaient de plus en plus. Elle fit donc le tour de l'usine pour se cacher là où elle s'était toujours cachée de la violence, priant pour qu'il ne la trouve pas. Dans sa panique, elle n'entendit pas les portes de l'usine s'ouvrir, aussi lorsque la silhouette massive de son oncle s'afficha devant les buissons qui la cachaient, elle cru voir la fin venir. Ce fut en réalité la fin de son calvaire ; Lheti vit une grande ombre s'abattre sur eux, et son oncle tomba à terre, la nuque brisée. La jeune fille venait de rencontrer son premier vampire, sa future maîtresse. Mais à ce moment-là, elle était bien trop choquée pour penser à quoi que ce soit ! Elle ne voyait que le corps étendu et inerte du monstre qui l'avait tyrannisée et manquer de tuer, et lorsqu'elle leva les yeux, une magnifique femme, à la beauté ensorcelante. Elle ne put la voir que comme une déesse, venue pour la sauver en lui accordant sa grâce.
Elle découvrit vite qu'Aliénor n'était intervenue qu'à cause de son dégoût envers la race humaine, et principalement envers "les porcs qui n'hésitaient pas à tuer leurs semblables". N'ayant plus de famille, et peut-être par un coup de chance du destin, la vampire accepta de la recueillir, sans pour autant la traiter comme son égale. Lheti devint son esclave un premier temps, se tuant à la tache, travaillant de jour à l'imprimerie au milieu des hommes, tous très bizarres d'ailleurs, on aurait dit des robots sans vie, et la nuit au service de sa belle et... hypnotisante maîtresse. Au début, on aurait dit qu'Aliénor avait complètement oublié l'humaine, comme si elle ne la connaissait pas ; elle ne lui accordait jamais un regard, et ses ordres venaient d'autres esclaves, jamais d'elle directement. Ce manège dura un an environ, un an durant lequel Lheti se fit une place tant bien que mal dans ce nouvel univers, aux règles nouvelles et intrigantes. Jusqu'à un soir, où Aliénor la remarqua enfin, où elle posa son regard glacé sur l'humaine, toute d'encre noire barbouillée. Elle lui somma de la suivre, la mena dans une salle d'eau, et lui ordonna de se laver. Lheti ne se fit pas prier et se déshabilla, ne remarquant pas tout de suite cet espèce de petit rictus sur le visage de sa maîtresse. Elle se nettoya et voulu sortir de l'eau mais Aliénor l'en empêcha ; en une fraction de seconde elle la maitrisait, et entre ses mains Lheti eut l'impression de n'être plus qu'une enfant. Elle ne résista pas, ce qui amusa la vampire, intriguée par son attitude ; elle lui demanda pourquoi elle n'avait pas peur, alors qu'elle savait ce qu'elle avait fait à son oncle, et qu'elle pouvait décider de sa vie en cet instant, si elle le voulait. La réponse de la jeune femme n'a jamais changé : "pourquoi ?". Elle était sereine, totalement offerte, car Aliénor l'avait sauvée, Aliénor lui avait offert un toit, un travail, Aliénor était sa seule famille. Pourquoi aurait-elle peur ? Et lorsque la vampire planta ses crocs en elle, Lheti ne laissa échapper qu'un soupir de délivrance. Cette morsure, pour elle, n'était pas une attaque ; c'était un cadeau. Elle n'avait pas peur de mourir, car s'il le fallait, alors elle aurait été mangée par sa déesse... A cet instant, Lheti se sentit acceptée, comme récompensée. Elle avait eut un avant-goût du paradis entre les bras d'Aliénor, et à son réveil, se rendit compte des sentiments qu'elle avait pour elle. La belle vampire, le soir venu, en fit son humaine attitrée.

Alors le monde de l'humaine devint infini : elle fit ses premiers pas dans celui des vampires, voyagea à travers le monde, à mesure que son amour pour sa maîtresse grandit. Elle devint ses yeux et ses oreilles le jour, son arme secrète, tant et si bien que lorsque Colomb découvrit l'Amérique et qu'il fallu, par ordre de l'Autorité vampirique de l'époque en Europe, envoyer des vampires en éclaireurs, Aliénor laissa à Lheti le soin de gérer la ville, dont elle tirait secrètement les ficelles derrière la façade de son imprimerie. C'est alors qu'elle fit la connaissance de Lance, le frère jumeau d'Aliénor, a qui elle avait tout de même légué le contrôle du reste de la région, famille oblige. Elle se rendit compte que si sa maîtresse pouvait être froide et autoritaire, Lance était glacial et sans pitié. Si Aliénor ne lui avait pas clairement précisé que Lheti était sienne et qu'elle refusait qu'il la touche, elle serait sûrement morte aujourd'hui. Car Lance n'était pas patient, encore moins pédagogue, et elle le savait, jamais il ne l'aurait aidée, alors heureusement qu'elle avait apprit à se débrouiller sans l'aide d'un homme. Fidèle et soumise envers Aliénor, Lheti remarqua vite que tenir tête au vampire ne fut pas inutile, même si, elle n'était pas stupide, elle savait bien que la protection de sa maîtresse y était pour beaucoup. Mais elle prit tout de même goût à l’effronterie et les quelques punitions méritées, il faut l'avouer (se pointer à son bureau avec un pendentif en forme de crucifix entre les seins c'était peut-être de trop, en effet), eurent malgré tout un effet inespéré. Lance avait prit goût à l'humaine de sa sœur, comprenant petit à petit pourquoi elle l'avait faite sienne, et finit lui aussi par l'accepter. Un soir, il la prit à part dans son bureau, et lui avoua, tout contre sa peau, qu'il regrettait de ne jamais pouvoir la goûter ; mais qu'il se ravissait de bientôt pouvoir la considérer à son égal. Il la laissa, perplexe, avec un sourire mystérieux qui lui fit penser à celui de sa maîtresse.

Ses paroles prirent sens au retour d'Aliénor, qui, ravie de voir comment Lheti s'était débrouillée tout ce temps (plus de trois ans quand même !) sans elle, lui accorda sa grâce ultime, en la transformant. Avec Lance, ils s'occupèrent de son éducation de vampire, et après quelques années, il fut vite décidé qu'elle deviendrait une Succube ; elle était faite pour ça. Encore une fois, les jumeaux s'en chargèrent, et les paroles du vampire jadis font encore sourire Lheti, lorsqu'aujourd'hui elle se remémore ses premiers ébats "vampiriques" avec le frère de sa créatrice. Tout naturellement, elle prit le pouvoir de Lübeck et de sa région, par intermittences bien sur, il ne fallait pas éveiller les soupçons. Elle vécu quelques décennies en Amérique, revenant souvent à ses premiers amours, l'Europe, jusqu'à ce que la nouvelle du chavirement du règne des Levinson au Triangle des Bermudes l'obligent, elle et les jumeaux, à quitter l'Allemagne. Ils élurent domicile sur l'île durant la reconstruction de la cité, et lorsque la famille royale fut bien installée, Aliénor lui intima l'ordre de rester sur l'île en obéissant à Lance jusqu'à son retour. Depuis, elle joue les sirènes sur les falaises et les plages de l'île pour attirer les bateaux d'humains, attendant le retour de sa maîtresse...