Il avait neigé l’hiver précédent. Le printemps renaissait et la nature en fête semblait avoir oublié les longs mois de chagrin et de froid. New York, la grande ville de l'Est Américain, se réveillait de sa torpeur. Le printemps. Période propice aux naissances. Une femme, en cette fin de journée, sent son ventre se contracter violemment. La vie qui palpite en elle ne demande qu’à en sortir pour enfin explorer le monde extérieur. Plusieurs heures passent et les cris résonnent dans la petite maison humble du couple. Un couple de bottiers. Des artisans vivant du produit de leur art mais doué d’une habileté peu commune. La femme hurle au rythme des contractions. Une amie était venue les soutenir, elle se tenait juste à côté de la parturiente. L’homme se tenait dans la pièce de vie, arpentant la salle, le regard angoissé, perdu dans ses pensées. Il se figeait à chaque cri puis, invariablement, reprenait sa marche. Et soudain, un cri vibrant, déchirant, retentit. L’homme sursaute et se précipite dans la pièce adjacente. L’amie lui sourit, tenant dans ses bras une petite chose gigotante.

C’est une fille. Félicitations, elle est magnifique.
Oh, mon dieu…

L’homme, ému aux larmes, tient sa fille dans ses bras et la porte délicatement pour la déposer à côté de sa mère.

Bienvenue Yoenaï…

Les parents de la petite Yoenaï ne pouvaient naturellement imaginer à cet instant que l’enfant aurait un destin peu commun. La petite fille était calme, gentille et obéissante. Elle grandit et, grâce à la renommée de ses parents, elle ne manqua de rien. Elle vécut une enfance heureuse, au milieu d’amis du quartier. Dès son entrée à l’école, elle montra des capacités certaines pour apprendre et se montrait curieuse de tout. Elle passa donc une enfance totalement normale. D’enfant, elle devint une jeune adolescente dont tout le monde louait la beauté.

Yoenaï aidait régulièrement ses parents à tenir la boutique. Ce soir ne faisait pas exception à la règle. Ce fameux soir de sa vie où tout bascula. Elle était restée tard, les clients se bousculant comme de coutume dans le magasin. Cela faisait plusieurs jours qu'un mystérieux inconnu était venu dans la boutique, l'avait observé sans mot dire et puis était ressorti. Il avait une beauté irréelle et Yoenaï était plus qu'intriguée par le jeune homme. Il était tard, très tard mais cela n’inquiétait pas Yoenaï outre mesure. Elle connaissait par cœur le chemin qui menait chez ses parents. Elle décida, après avoir fermé l’échoppe, de couper par la forêt, cela lui ferait gagner un temps précieux. Si elle avait pris la route, toute sa vie aurait été différente… Elle marchait d’un  bon pas, observant d’un œil légèrement inquiet les ombres que dessinaient les arbres sur le sentier. Tout à coup, elle ne se sentait plus si rassurée… Accélérant l’allure, elle crut soudain entendre un bruit non loin. Elle n’y prêta pas attention, marchant de plus belle. Quand  soudain, une forme immense et sombre la percuta de plein fouet. Sonnée, elle tomba au sol, l’espèce de gigantesque ombre sur elle. Une douleur lui transperce le corps tandis que les crocs barbouillés de sang déchirent sa chair. La violence de l’attaque la laisse étendue sur la mousse, brisée, le sang coulant de ses blessures. Yoenaï perd alors connaissance….

Lorsqu’elle ouvre à nouveau les yeux, elle ne reconnait rien autour d’elle. Un avion. Puis elle ressombre dans l'inconscience. Une plage de sable fin. Elle frémit lorsqu’elle voit un homme se pencher sur elle. Un flash. Terrifiant. La forme sombre est à nouveau sur elle. Il va la tuer, c’est certain. Hurlant, Yoenaï se redresse et repousse l’homme qui effectue un vol plané à travers la pièce. Ne prêtant même pas attention à cette force étrange qu’elle semble posséder, elle arrache sa perfusion et s’enfuit, écartant tout obstacle sur son passage. Perdue, sans attache et la tête pleine de questions, elle ne tarda pas à être rattrapée. Trois jours plus tard, elle comprit enfin sa nouvelle nature. Trois jours plus tard, la  bête qui sommeillait à présent en elle se réveilla. Si elle avait pensé que la douleur qu’elle avait ressentie lors de son agression était terrible, elle était bien en-deçà de ce qu’elle put ressentir ce soir-là. Elle avait la sensation que chaque os de son corps se brisait, qu’on lui déchirait la peau, que son cerveau bouillait, sur le point d’éclater, que son cœur allait briser la prison de ses côtes. Une douleur sans nom qui menaçait de la rendre folle. Et puis, le souffle court, ses canines ayant percé, une soif inextinguible s'empara d'elle. Le sang qui coula dans sa gorge lorsqu'elle déchira le cou de son premier humain fut un délice sans nom. Ce fut sa deuxième naissance, en tant que vampire cette fois…

Si Yoenaï avait été approché et transformé, c'est qu'elle avait été choisi. Sa beauté était particulièrement grande et elle servirait à présent les vampires. La jeune femme avait bien changé. La petite fille timide et gentille avait disparu, elle était morte dans l’agression qui avait fait d’elle une succube. Ce fut quelques mois après son arrivée qu’elle fut achetée par un premier maître, Nathanaël, un vampire sanguinaire et cruel. C’était lui qui l’avait agressé et transformé. Une soif de vengeance la saisit alors. Pendant plusieurs jours, elle avait subi ses assauts, son maître ayant clairement l'intention d'en faire son jouet. Ce soir-là fut comme chaque soir, Nathanaël posa sa main sur sa joue et l’embrassa, tendrement d’abord, beaucoup plus férocement ensuite. Yoenaï se laissa faire, feignant le plaisir, pour finalement s’étendre sur le lit du vampire, ce dernier la déshabillant lentement. Elle sentait son souffle dans son cou, son corps chaud contre le sien lorsqu’ils ne formèrent plus qu’un et son esprit froid était fixé sur son objectif. L’ultime moment, l’ultime soupir et Nathanaël gisait sur le lit à ses côtés, sans force, somnolent, parfaitement à sa merci.Yoenaï savoura cette vision. Enfin, elle allait avoir sa vengeance. Se levant discrètement, elle avait dissimulé dans ses affaires un pieu de bois et approcha du lit, brandissant l'arme et prête à frapper. Malheureusement pour elle, son attaque échoua, Nathanaël se réveillant au dernier moment. Elle se retrouva face à son maître furieux, prêt à répondre à l’agression. Sachant qu’elle avait échoué et que la punition serait à la mesure de l’offense,Yoenaï posa son arme. Elle souffrit effectivement mille tourments entre les mains expertes de son maître. Cela lui passa définitivement l'envie de se rebeller, sembla-t-il. Mais en elle brûlait un feu qui ne devait jamais s'éteindre...

Finalement, son maître décida de la vendre. Yoenaï eut durant sa longue vie de nombreux maîtres, tous plus cruels les uns que les autres. Etant une succube, elle avait pour mission de charmer les humains mâles et de les amener à son maître. Mission qu'elle réussissait à la perfection. Yoenaï tenta toujours de se révolter. Elle subit nombre d'humiliations en représailles mais elle se jura de ne jamais plier. Récemment, elle a été racheté par un nouveau maître, John Constantine. Ce dernier est bien différent des précédents maîtres qu'elle a pu avoir. Toujours aussi rebelle, Yoenaï n'est pas plus décidée à obéir qu'avant. Mais ce maître semble décidément bien différent. Le déteste-t-elle vraiment ?