N’être que le fils d’un paysan n’aurait dû, en théorie, que me destiner à travailler la terre, à courber le dos jusqu’à trainer par terre pour ramasser et me faire dérober par les plus riches les trois quart de mes récoltes, ne me laissant pour vivre qu’une véritable misère. Mais ma mère désirait autre chose pour son tout petit garçon, qui en vérité n’aurait aucun héritage. Mes aînés auraient déjà tout pris, se partageant une terre déjà minuscule, aussi jugea-t-elle plus judicieux de me destiner à une vie de moine… et le terme n’est pas mal choisi ou une vulgaire image dû à un vocabulaire mal choisi, bien au contraire. Elle alla voir le prêtre qui officiait dans notre village, et lui demanda de me prendre sous son aile, ce qu’il accepta. Déjà vieux, il faudrait quelqu’un pour le remplacer. J’ai donc très tôt quitté la maison familiale, ayant la rude impression d’être arraché à ma mère, pour vivre dans la même maison que le vieil homme, qui ne tarda pas à m’apprendre à lire, à écrire, à recopier la calligraphie… à parler et à comprendre le latin, à compter… J’étais plus érudit que le plus intelligent de mes frères, et si au départ je souffrais de ne pouvoir vivre avec eux, l’accès à la connaissance, à la lecture de la bible, changea peu à peu mon opinion. Sans en comprendre l’entière portée, ma mère m’avait offert le monde, même si elle me destinait à une vie de solitude qui m’obligerait à ne jamais en effleurer un seul véritable plaisir. Car à la puberté, lorsque mon regard commença à être attiré par les quelques jeunes filles du village, ce fut mon dos que le fouet expiatoire mordit avec avidité. C’était un péché. Un redoutable péché, auquel je ne devais surtout pas céder. Le vieux y tenait, sans même savoir que les plus hautes instances de l’Eglise était pourries jusqu’à la moelle, dérobant même virginité et innocence sous le prétexte que leurs positions le leur permettaient.

Mais au fond, je n’étais pas plus au courant que le vieux à cette époque, je n’étais qu’un fils de paysan qui devint lettré, un érudit que le destin ne prédestinait pas plus à ça qu’à ce qui vint un jour dans mon village. Certes, j’apprenais à vivre une vie de dévotion, une vie de sacrifice et de services. Une vie qui devrait veiller sur toutes celles qui viendraient à moi, les absoudre de leurs pêchés, les sanctifier jusque dans leur dernière demeure, me placer en accusateur lorsque je verrais des choses qui ne me plairaient pas vraiment. Néanmoins, il m’arrivait encore de donner quelques coups de main à ma famille dans leur ferme… Bien sûr, mon corps n’était pas bâti pour y travailler, et cela se ressentait. J’étais bien plus à l’aise un stylo ou un livre à la main, plutôt qu’un outil à la main. Si ma dextérité était plutôt bonne, ma force me faisait défaut. Et à l’époque, je vous assure que j’aurais troqué toutes mes connaissances contre un morceau de terre et une femme à … Rien que d’y penser, cela relevait du péché. Malgré tout, ma foi en l'Enfer, en Dieu et la crainte que nous devions avoir d'eux étaient absolument totale. J'y croyais comme on pourrait se réclamer des ténèbres aujourd'hui.

✞ L'immortalité se signe d'une mort.

« Si nous ne pouvons pas retenir la bête qui vit à l'intérieur, elle trouvera son chemin d'une façon ou d'une autre, à un moment. » W.Temptation.