La belle rousse était décidément très autoritaire. C'est d'ailleurs avec fermeté qu'elle sollicita un serveur qui passait par là, réclamant son verre précédemment commandé. Cela faisait un moment que je n'avais pas vu un vampire aussi odieux. J'avoue qu'il m'est déjà arrivé de traiter les gens avec mépris, mais je devais admettre que dans cette catégorie, la vampire remporterait une palme d'or. Enfin, il semblait que son dédain soit uniquement porté à l'encontre des humains, ce qui était monnaie courante à Heartkiller. La plupart des vampires considèrent avec un intérêt moindre les humains, exception faîte pour quelques esclaves sous les ordres de maîtres relativement cléments. Après tout, il y avait une certaine légitimité à tout ça puisque théoriquement, nous sommes nettement supérieurs à ces vulgaires êtres vivants. Je me souviens d'une époque où j'ai tué des hordes d'humains sans aucun scrupule, allant même jusqu'à massacrer des villages entiers. Heureusement que depuis j'ai réussi à me calmer. J'ai même un avis beaucoup moins tranché sur la question. Avant, j'aurais pu écraser l'un d'eux comme un insecte, mais maintenant que j'ai appris à connaître certains d'en eux et je suis peut être un peu plus clément. Ce n'est pas un signe de faiblesse de ma part non, c'est juste qu'avec l'âge, j'essaye d'avoir un comportement plus « mature ». Pendant mes débuts en tant que vampire, j'ai fait toutes les choses possibles et imaginables, voire même les choses les plus proscrites dans les lois vampiriques. Par conséquent, maintenant que je connais les conséquences, je vois la vie différemment. Toujours est-il que j'ai sympathisé avec quelques humains. Quelques se résumant à 2 voire 3, ce n'est pas comme s'ils étaient tous devenus mes meilleurs amis ; je fais simplement plus attention quand je me nourris etc.. Bref, la jeune femme, elle, ne semblait guère être aussi amical que moi envers eux puisqu'elles les envoyaient tous balader sur les roses. C'était plutôt amusant à vrai dire...

Alors que je continuai d'observer la sulfureuse demoiselle, elle dénia répondre à ma première remarque: « Quel mépris ? ». C'est bien je pensais, ce mépris était uniquement tourné vers les serveurs du Killer Burger qui étaient pour la plupart des humains. Comme moi, elle avait certainement du se rendre compte que je faisais parti des siens et qu'en soit, je méritai un minimum de respect. Et puis qui sait? Peut-être que mes charmes avaient aussi leurs places dans l'histoire. Je devais avoir l'air d'un petit garçon malheureux qui attend que sa mère lui accorde la permission de sortir avec ses copains. Eh oui, même avec plus de sept-cent ans d'existence, je pouvais encore revêtir cette expression de chien battu, qui a de nombreuses fois fait ses preuves. J'aurais très bien pu m’asseoir sans demander son avis, mais mon côté gentleman m'en avait empêché. Visiblement d'humeur généreuse, la jeune femme m'intima de prendre place, ce que je fis aussitôt. J'avais utilisé la figure du vouvoiement pour faire bonne figure, contrairement à la vampire dans sa réponse. Soit elle était malpolie, soit elle s'estimait être supérieur à mon rang. Je suis un vampire noble et il n'y a qu'un membre d'une famille royale qui est susceptible d'être supérieur. Optant pour la dernière hypothèse, je tenterai de jouer le reste de la conversation avec diplomatie. Après tout, j'avais déjà eu de nombreux membre royaux sur le dos, manquerait plus qu'elle en sache plus sur moi qu'il n'était permis. Cependant, comme je n'avais jamais eu l'occasion de voir ce visage, j'espérai qu'elle vienne d'un pays où je n'avais pas de passé tumultueux. « Je pourrai savoir qui tu es ? » dit-elle avec curiosité.

Il m'arrive souvent d'être paranoïaque, comme en ce moment même. Après tout, c'était normal qu'elle veuille savoir à qui elle avait affaire, mais on ne sait jamais, peut-être que mon prénom lui rappellerait quelque chose de suspect. J'avais changé de nom de famille donc celui-ci ne posera pas de problème. Je décidai finalement de répondre à sa question, puisqu'il fallait bien que je lui dise à un moment ou à un autre. Pas du tout convaincu, mais ne laissant rien paraître, je répondis avec un sourire charmeur : « Isaac Blackwood, soldat de l'armée royal ». Elle n'avait pas encore demandé quelle profession j'exerçai, mais je trouvai que ça sonnait bien. De plus, elle pouvait se concentrer sur ce dernier point et non sur ce que mon prénom pourrait éventuellement lui rappeler. Je n'avais pas précisé d'en savoir plus sur elle, car je supposai qu'elle le ferait naturellement pour poursuivre notre conversation. Je ne savais pas trop comment la soirée allait évolué, mais il était toujours intéressant de faire de nouvelles rencontres alors je comptai bien en savoir le plus possible sur la belle rousse.

Je devais arrêter d'être aussi transparent. Habituellement, je revêt un masque impassible dans toutes les circonstances, mais tout était différent à Heartkiller. Cette fois-ci, en plus de changer de vie, j'avais également complètement métamorphosé mon comportement et mes habitudes. En soit, j'étais devenu quelqu'un de beaucoup moins impulsif, plus sérieux dans mes actes et décisions. Sauf bien sur le fait de fréquenter d'un peu trop près Esfir Bridgestone. Mis à part cette exception, j'estime avoir mûri. Il était temps quand même. Avec plus de sept-cent ans, je crois être l'un des plus vieux vampires nobles de l'île. J'avais hésité bien trop longtemps avant de répondre à la question de la belle rousse. Il n'était pas question de lui donner la moindre excuse de fouiner outre mesure sur ma personne. Je suis plutôt méfiant et ne fais confiance qu'à mon propre jugement sur les choses et les gens. Et j'avais beau trouvé la jeune femme de bonne compagnie, je n'étais pas prêt à lui faire des confidences indiscrètes. Je ne savais toujours pas qui elle était, ni ce qu'elle faisait là, ni le danger qu'elle représentait pour moi. De plus, au moment même où je lui dis comment je m’appelais, son visage exprima une légère expression, très subtile mais j'eus le temps de m'en rendre compte. D'après mon expérience, cela signifiait que ça l'intriguait. Avait-elle reconnu mon nom ? J'avais des siècles d'entraînement pour encercler les pensées d'autrui, tâchant de découvrir si la personne face à moi était digne de confiance ou non. Il est vrai qu'après avoir été poursuivi par d’innombrable garde, je me devais de déterminer en un quart de seconde, à la simple vue d'une expression, si ma vie était en danger au non. Au début, cela résumait simplement à détecter la haine, la détermination ou encore l'animosité. Mais au fur et à mesure que je m'exerçais, j'ai commencé à essayer de trouver comment s'extériorisait l'amour, le bonheur et la prospérité. Ce que je voyais sur le visage pâle de la jeune femme était sans conteste de l'intérêt et de la curiosité. Je me promis donc d'être moins expressif la prochaine fois qu'elle poserait une question dangereuse pour ma couverture.

Finalement, elle m'éclaira à son tour sur son identité : « Hm... Enchantée, je suis Nymphea.». Cependant, elle ne précisa pas son nom de famille. Nymphea, Nymphea... Cela me rappelait vaguement quelque chose. À force de traîner dans les couloirs du Palais, on tombe souvent sur des discussions indiscrètes et j'aurai pu mettre ma main à couper que j'avais déjà entendu ce nom quelque part. Comme escompter, elle devait certainement avoir son rôle à jouer au sein même de la hiérarchie de l'île. Je suis certain que si elle avait ajouté son nom de famille, j'aurai retrouvé de qui il s'agissait. Mais je ne pouvais la forcer à le faire, par conséquent, il fallait que je trouve un moyen de lui faire cracher le morceau. Pour ma part, si je lui avais donné mon nom au complet, c'était pour ne pas attirer l'attention sur « Isaac » qui est un nom peu commun et celui sous lequel j'ai commis mes nombreuses erreurs. J'y tiens énormément et n’aie pas souhaité changé ce dernier en plus de Nottingham. Car oui, Nottingham est mon vrai nom de famille, Blackwood n'est qu'un emprunt pour ne pas me faire repérer. Elle finit son verre précédemment commander d'une traite.. Comme je m'y étais attendu, elle interpella de nouveau l'un des serveurs pour passer une nouvelle commande. Ce fut un tout nouveau qui se présenta à notre table, visiblement averti que Nymphea était une cliente difficile. Il avait l'air aussi effrayé que les autres, le regard fuyant. Il demanda assez maladroitement ce qu'elle désirait. Cette dernière répondit très naturellement et avec beaucoup de sérieux : « Ta carotide ».

Je ne pus m'empêcher de m'esclaffer à la vue de l'expression apeuré du serveur. Le pauvre, cela se voyait qu'il était prêt à fuir le plus rapidement possible. Même s'il n'avait aucune chance contre un vampire. Fort heureusement pour lui, nous avions l'interdiction de nous nourrir « à la source » au Killer Burger. Par conséquent, il aurait la peau sauve ce soir. Nymphea m'adressa un regard complice avant de répondre au garçon pour cette fois-ci, passer sa véritable commande : « La même chose, O négatif. Et toi ? ». Je m'empressai de répondre, à la jeune femme comme au serveur : « A positif ». C'était en effet mon groupe sanguin de prédilection. Puisqu'elle m'avait proposé de prendre un verre avec elle, j'imaginai qu'elle veuille que je reste en sa compagnie. En attendant nos verres, je fis le curieux et demandai à la jeune femme « Alors, qu'est ce qui t'amène ici ? ». Les formalités de base était passée, je pouvais désormais utiliser la figure du tutoiement.