Je suis la fille du roi de Norvège et d’une humaine norvégienne, elle aussi, dont mon père tomba amoureux au premier regard. Je n’ai jamais eu de frère ni de sœur, j’ai toujours vécu seule avec mon père après la mort de ma mère. Il ne voulait pas la transformer –je ne lui en ai jamais voulu pour ça- car il pense que la condition de vampire n’est pas la meilleure chose pour vivre et que la plupart sont impurs. D’ailleurs mon père était très croyant et c’est lui qui m’apprit ce qu’était la foi. Grâce à lui, je crois en Dieu, et je sais pertinemment que c’est lui qui a créé l’Homme. Pour ce qui est des vampires, je ne sais pas vraiment d’où nous venons étant donné que nous sommes des abominations de la nature… Nous ne nous sortions quasiment jamais, peu d’humains avaient connaissance de notre existence à part quelques serviteurs qui défilaient de génération en génération. Nous avons un peu… Honte de ce que nous sommes. Ce n’est pas humain de vider les gens de leur sang, de les maltraiter, de les priver de leur liberté. Je n’ai jamais supporté ça et n’y arriverai sans doute jamais, j’aimais les gens respectueux des autres, même s’ils étaient différents d’eux-mêmes. Je suis très tolérante envers les humains, il m’arrive de les envier pour leur pureté, et surtout pour leur innocence. Chaque vampire a au moins blessé voire tué un humain, certains en éprouvent une grande joie, d’autres culpabilisent et seraient prêts à être châtiés pour ce qu’ils ont fait, personnellement, j’appartiens à la deuxième catégorie. Je me souviens de la première fois où c’est arrivé, c’était il y a très longtemps, une dizaine d’années après ma naissance, j’étais jeune et je n’avais pas beaucoup d’expérience, je ne savais pas me contrôler ni gérer tous les dons comme l’hypnose. Je m’en veux tellement pour ce que j’ai fait… Ce n’était rien qu’un innocent. De plus, il faisait partie de notre armée et il défendait notre pays… J’avais tout essayé pour le ramener à la vie, comme lui donner mon sang mais il était déjà trop tard. Mon Dieu qu’est-ce que je me sentais mal… J’étais allée chercher refuge près de mon père qui m’avait dit de lire la Bible, que cela m’apaiserait et il a eu raison. J’avais passé la nuit à prier pour que l’âme de notre soldat repose en paix. J’avais vraiment eu envie de mourir pour ce que j’avais fait et j’avais énormément pleuré… J’aurais été capable de me sacrifier pour lui rendre sa vie, si ça avait été possible. C’est un de mes grands défauts, d’après mon père, je culpabilise trop vite, je trouve que c’est faux, je me sens juste coupable quand je le dois… Comme la mort de ce soldat que je n’oublierai jamais.

A part ça, j’eus une enfance heureuse, bien que je sois fille unique et que j’eusse perdu ma mère très tôt, comme elle n’avait pas la même espérance de vie que nous. Heureusement, elle était partie sans souffrir, c’était dû à son âge, alors que nous ne prenions pas une ride. A cause de ça, je ne pouvais pas dire que l’éternité était belle, jamais je ne pourrais voir le Soleil et ses reflets dans l’eau, rien que ceux de la Lune. Son seul avantage d’après moi était de pouvoir voir les progrès de la médecine et l’évolution de l’histoire, puis vivre avec ceux qu’on aime pour toujours. J’ai quand même eu de la chance dans mon malheur car la proximité de mon père et d’une grande famille de Russie, les Levinson m’a permis de rencontrer Elysium –fille d’Allan Levinson- qui fut ma meilleure amie. On se confiait tout, on faisait tout ensemble, on aurait pu penser que nous étions des sœurs jumelles tellement nous nous ressemblions physiquement. On nous avait posé la question plusieurs fois mais nous n’en avions jamais profité. En fait, on se complétait, elle était assez vive tandis que j’étais timide ; elle avait été amoureuse, moi pas. Je me souviens de son premier amour comme si c’était hier, elle me disait qu’il était charmant, galant et qu’il avait tout pour faire un bon mari. Elle rêvait de fonder une famille avec lui puis elle s’est aperçue que c’était réciproque. J’étais une des seules personnes à être au courant de sa liaison avec Eleazar Bridgestone. Evidemment, il ne fallait pas révéler ce secret. Je la poussais à se marier avec lui tellement je remarquais qu’elle était épanouie lorsqu’elle revenait d’un de leurs rendez-vous clandestins. Si elle était heureuse alors je l’étais aussi. Mais un évènement terrible vint chambouler tous leurs plans. J’étais en Norvège à ce moment-là, alors qu’Elysium et Eleazar étaient à des lieues de moi. Je recevais une lettre apportée par un corbeau, j’étais surprise car je ne recevais du courrier que rarement, sauf quelques mots de ma sœur de cœur presque chaque semaine. Or, ce n’était pas son écriture, c’en était une étrangère… Je commençais à m’affoler jusqu’à temps que je tombe sur deux mots qui me firent un choc énorme : « mort » et « Elysium ». Tous deux dans la même phrase. Plus tard, j’apprenais que c’était dû à la rébellion dans Brigestone. Mes larmes ruisselaient sur mes joues et tombaient sur le papier. C’est là que je perdis le peu de gaieté que j’avais auparavant. Mon deuil s’éternisait et je demeurais mélancolique pendant très longtemps, ce qui est long pour quelqu’un comme moi. Je n’avais plus personne pour me confier, heureusement que je n’avais pas grand-chose à dire, c’était plutôt moi qui étais à l’écoute des autres.

Je vivais très mal cette perte pendant des siècles, rien ne me plaisait dans ma condition de vampire… Devoir m’abreuver des autres pour subsister m’était insupportable, je ne pouvais pas sortir au grand jour, et cette vie-là ne me satisfaisait pas du tout. Je ne rencontrais aucun homme qui me plaisait suffisamment pour qu’on puisse passer l’éternité ensemble. Je respectais traditions religieuses, je priais énormément pour le salut du soldat que j’avais tué ainsi que pour celui d’Elysium. Je me cultivais aussi en lisant un nombre effarant de livres, en écoutant de la musique, en visitant des musées... Je voulais voyager et me renseignais sur tous les pays du monde, je n’avais pas envie de laisser mon père ici pour autant alors j’apprenais de nombreuses langues telles que l’espagnol, le français, l’allemand, l’italien… J’en parlais bien une dizaine. Je n’avais rien à faire, chaque jour était semblable au précédent et rien ne cassait ma routine. Jusqu’au jour où je reçus la visite d’Echo-Alice Sunshine, une inconnue jusque-là. Elle était venue m’annoncer que j’allais me marier au frère de l’Empereur d’Amérique qui résidait à Heart Killer, une île proche du Triangle des Bermudes, en compagnie de ses frères et sœurs ainsi que de celles de vampires nobles. Je n’étais pas ravie à l’idée de me marier, en plus c’était un mariage arrangé, non d’amour. De plus, c’était censé être le conjoint d’Elysium il y a des siècles de ça. Je me sentais si coupable… J’avais l’impression de prendre la place de ma défunte meilleure amie, ce que je ne pouvais pas supporter. C’est comme si je la trahissais, elle que je considérais comme ma sœur. Bien que je n’eusse pas du tout envie que cela se produise, je me montrais courtoise envers elle et nous devînmes rapidement proches grâce à nos goûts communs –voyages, langues étrangères…

Quelques temps après, je quittais mon pays natal pour Heart Killer, je disais au revoir à mon père qui me promettait de me rendre visite une fois que je serais là-bas. J’appréhendais tellement de devoir m’installer dans un pays complètement inconnu. J’avais peur aussi de mon futur mari bien qu’Elysium m’en dressa un tableau élogieux. Je gardais espoir pour qu’il puisse m’aimer comme un mari devrait aimer sa femme mais j’entendais de mauvaises choses sur lui comme quoi il maltraitait ses esclaves et qu’il les violait, ce que je ne pourrais jamais tolérer, et le Seigneur m’enverrait tout droit en Enfer pour épouser un homme comme lui… Je me demandais d’ailleurs s’il avait fait souffrir ma meilleure amie de la sorte. Si seulement il pouvait être aussi magnifique à l’intérieur qu’à l’extérieur… ! Ce n’est pas possible que j’arrive à m’attacher à un homme aussi irrespectueux et impur ! Il ne se respecte même pas lui-même en renvoyant une telle image de lui… Autant j’appréciais Esfir, la dauphine pour son respect envers les humains et sa douceur, autant je me méfie de Satyne, l’impératrice pour sa cruauté et sa façon de traiter les mortels. Enfin, je savais à quoi m’attendre, je n’avais plus qu’à essayer de m’habituer à cette nouvelle vie…