Je n'avais pas dormi depuis des jours. J'étais resté bloqué, sur un page blanche, les larmes plein les yeux.
Pourquoi n'arrivais-je pas à l'atteindre? J'avais cru qu'en trouvant les bons mots, je réussirai à la tirer du monde de l'imaginaire, que je lui donnerait une âme. Et qu'ils suffirait ensuite de l'implanter dans le corps de la première venue. C'était la bonne solution. Et pourtant, ça me semblait impossible. Je n'arrivait pas à trouver les bons mots.
Diana.
La maitresse du personnage de mon premier roman. Une femme fatale à la voix de glace. Une reine et une mandiente. Le fantasme de ma vie d'homme. En la créant je ne pensais pas m'y attacher comme à un dernier espoir, ni même lui écrire une suite. Alors de là à tomber amoureux...
Je la voyais me hanter, je le connaissais par coeur, mais pourtant je n'arrivais pas à trouver ce qu'il manquait. Ce détail qui donnerait la vie à son fantôme. Ce détail si important, celui qui m'avait rendu accro, et qui pourtant n'existait peut-être même pas.
Je ne savais plus comment penser. À force de me répéter son nom, j'avais oublié son sens. Diana. Diana. Diana. Je l'entendais résonner en moi, comme une cloche teintant à m'en déchirer le coeur. J'avais besoin de me changer les idées.
C'est d'un mouvement plus mécanique que volontaire que je me leva et me dirigea au bar. J'étais sensé y travaillé, mais ça faisait au moins une semaine que je n'y avait pas mis les pieds. Tant pis. Jimmy s'y débrouillerai. Ce soir, j'irai en client.

* * *

Je m'arrêta au bout de la rue. À l'entrée du Black Apple. Je ne pouvais pas me résoudre à pousser la porte. J'avais peur des visages que je devrais affronter. Ceux qui me jugeraient, me traiteraient de fou et de meurtrier. Au moins ils ne savaient pas la vérité, car ce serait bien pire.
Une bonne bouffée d'air. Et je pris mon courage à deux mains. Mais la porte s'ouvrit d'elle même. Un alcoolique qui trainait la jambe, sa choppe encore à la main.
"Hey, mais t'étais passé où toi? On a cru avec les copains, que tu t'étais suicidé."
J'aurai préféré.
L'alcoolique tituba encore, et se vautra dans une chute qui ressemblait un peu à celle d'un clown. J'enjamba son corps, et m'introduit à l'intérieur.
Il faisait toujours aussi sombre, un nuage de fumée donnait à la pièce cet aspect usé et malade. Il n'y avait pas foule. À peine une dizaine de personnes. Stanley, un jeune de vingt ans devenu alcoolique après s'être fait larguer par la fille qu'il aimait depuis qu'il avait douze ans; Mike, le vieillard qui vidait des litres et des litres de bière pour se prouver qu'il était un vrai homme, qu'il était encore jeune et qu'il pouvait encore; Klaus, un ancien nazi, d'après ses dires; James et son groupe de rock, les Steaks Hâchés. Il y en avait d'autres, des inconnus ou des étrangers. De toute façon, j'en avais rien à faire.
Je m'approcha du bar, tout de suite Jimmy me demanda ce que j'avais foutu durant tout ce temps. Que répondre? Que j'avais essayé de donner la vie à le femme que j'aimais? Ou que je m'étais laissé mourir devant une page blanche? "J'étais malade, en train de crever au fond de mon lit." "T'aurais pu appeler au moins! Nos prévenir!" "Fais pas chier! Sert moi quelque chose de fort tu veux."
Il s'activa derrière le bar, et me servi un verre. J'y trompa mes lèvres. C'était immonde, ça brûlait la gorge, le goût était acre et insistant, mais pire que tout, le breuvage était tiède. C'était horrible au point que ça me faisait du bien. "Sert m'en un autre!"
Les verres se suivaient, et m'enivraient. Bientôt je voyais flou et je ne pouvais plus penser à rien. C'était l'occasion ou jamais de prendre mon courage à deux mains. Et de rejoindre Diana.
Le port était tout près. Une centaine de mètres qui me semblèrent une éternité. Et puis les quais étaient là, sous mes pieds. Le bois moisi, l'odeur de la mer. Le reflet de la lune sur les vagues, qui me rappelait ses yeux. Tout me criait d'en finir. Il n'y aurait ici personne pour me sauver. Ou peut-être si, cette ombre dans mon dos, cette paranoïa qui semblait m'observer.
Tout serait bientôt fini. Mais ce serait pourtant le début de tout.

* * *

Je me réveillais éblouis par les phares d'une voiture. Pourquoi étais-je encore de ce monde? Qu'est ce que je faisais là? D'ailleurs, c'était où, là? J'étais encore trompe, et le j'avais froid. Très froid. Et puis il y avait cette ombre sur moi, qui me regardait avec les yeux d'une hyène folle et affamée. Elle semblait me supplier de la suivre, et pourtant, il y avait trop de fierté pour moins qu'un ordre. Et puis je fermais les yeux à nouveau, emportés par le chagrin et la douleur.

* * *

C'était il y a trois ans. Là où tout avait commencé. De mon suicide j'étais né, dans les yeux de Zéphyr. Je l'avais donc suivi. Et puis d'une morsure, j'étais devenu la bête. La créature d'un roman, prête à rejoindre l'éternité, dans le sein de Diana, de la littérature et de la joie. J'avais pris vie, pourquoi ne pas la donner alors?
Et pourtant, rien n'avait vraiment changé. Je travaillais toujours dans un bar, aux Plaisir Coupable. Je cherchais vainement un sort. Et je ne jurait que par le suicide. Il se trainait comme un peau morte sur le bout de ma langue, et pourtant j'étais immortel.