Douloureusement, je m'éveille d'un songe qui me ramène à des souvenirs enfouis. Je sens que l’hiver de mon cœur est en train de se fissurer jusque dans ma tête et que le passé me rattrape. Je souffre seul, le regard fixé sur des photos invisibles. Inaccessible rêve. Perdue dans ma mémoire, des fragments d'innocence fragiles et secrets forment des images presque intactes. Qu'il était doux le temps des berceuses ! Je dois à l'enfance mes plus précieux instants comme mes regrets les plus amères. Maman... l'année 1037 m'apporte mes sept ans, mais lorsqu’elle me regarde j'ai l'impression que je viens de naître. De mon petit âge je lui assure que je ne suis plus un enfant, mais je ne peux rien lui cacher. Elle me prend dans ses bras, je fais semblant de dormir. Elle ne doit pas savoir comme j'ai peur. Je l'aime infiniment, mais je ne lui avouerais jamais, je ne trouve pas les mots pour exprimer au combien ma mère est merveilleuse. Dehors le ciel gronde, impossible de fermer les yeux tant l'atmosphère de ma chambre est oppressante. C'est l'été qui n'en finit pas, c'est le désert du manque qui poudre mes angoisses. J'aimerais que l'hiver soit là, qu'il m'apporte ce père trop longtemps parti.

Soudain un éclair perse les carreaux et mon cœur s’emballe, je suis en vie. Je me souviens maintenant comme il fait chaud de vivre.

Mon père, le comte Pendragon, est absent depuis des mois. Il livre son âme à la bataille qui fait rage proche du comté de Pembroke où je suis né. Reviendra-il sain et sauf ? J’en suis certain, il poussera cette lourde porte faisant claquer ses bottes sur le seuil, alors il posera une main rassurante sur mon épaule et nous resterons silencieux comme toujours. J’ai gardé de lui cette extrême pudeur. Il est parfois dur de l’aimer, mais il est pour moi l’homme le plus honorable qui soit. Je ferais tout ce qui est en mon possible pour le rendre fier y compris devenir un grand chevalier tout comme lui. Il m’enseigne les rudiments d’équitation et de la chasse. Bien que je sois si jeune ma maîtrise de l’arc se fait très vite redoutable. Au prix de longues heures d’entraînement et de punitions sévères j’apprends à ne jamais rater ma cible, je comprends que je n’ai pas le droit à l’erreur. C’est à mon frère aîné que revient la charge de m’initier à l’escrime. Ellias fait partie de la garde du roi, on me prédit le même destin bien que je ne sois pas encore à la hauteur de ses talents d'épéiste. Je prends un malin plaisir à le défier, j'aime le taquiner, car il est le seul à savoir me faire rire. C'est un héros dont les exploits retentissent à travers tout le royaume d'Angleterre, mon modèle. J'aime sa façon de raconter des histoires, il a toujours un millier d'anecdotes passionnantes pour nourrir ma curiosité. J'aimerais tant pouvoir le suivre à travers ses voyages et voir de mes propres yeux les merveilles de ce monde que je ne perçois encore qu'en rêverie.


Que je me rassure, j’allais bientôt prendre le large et quitter ma famille pour accompagner mon père sur-le-champ de bataille. À huit ans seulement je passe du statut de page à celui d’écuyer. Dévoué, on reconnaît en moi les qualités essentielles d’un futur chevalier. Bien que la peur me condamne à commettre quelques impaires, je porte les armes de mon tuteur avec fierté et honneur. Me frayant un chemin à travers la mort avec toute l’agilité de mon âge je me retrouve à un moment donné seul au milieu du chaos. Et je pense à ce dieu qui nous a plantés là, un bouclier sous le bras pour se protéger de nous-même. Autour de moi le choc des armures forme une mélodie désastreuse, la voix de ma mère me manque, mais je n’ai pas le droit d’avoir peur. Il est temps de devenir un homme me confie mon père en même temps qu’il pose dans mes mains le manche de son épée trop lourde. Je tremble un peu, le désordre me rend sourd et ma tête se met à tourner. À mes pieds un homme agonisant s’accroche aux dernières lueurs de sa vie, on me demande d’abréger ses souffrances. Obsédé par mon propre reflet dans ses yeux je ne pense qu'à une chose, mon père sera-il fière de moi ? Alors que j’abats l’épée sur le crâne du mourant mes tremblements cessent. Un vide se créer à l’intérieur de mon esprit, il me semble que quelque chose en moi vient de se briser pour toujours. Pour la toute première fois je me vois mourir.

Bien plus de 900 ans me sépare aujourd’hui de moi-même, de ce petit bout de gnome qui se croyait déjà trop grand. Il m’a fallût tout ce temps pour comprendre qu’être un homme c’est accepter de verser des larmes. Trop tard pour moi l’horloge a tourné, emportant dans son sillage mécanique trop de cadavres mutilés. Je n’ai plus jamais pleuré après l’hiver de mes huit ans, tout est resté si froid. Je me lève, il fait jour, Heartkiller est endormi. Caressant du bout des doigts les filets de soleil qui s’échappe des fenêtres, je recherche la chaleur particulière des sourires d’Anna. Je me brûle. Anna est morte depuis si longtemps, comment puis-je encore espérer la retrouver ? Si même la mort ni peu rien il est certain que le ridicule finira par avoir raison de moi. Elle me manque terriblement. J’ai le mal du souvenir, je suis lourd de toutes ces chaînes que je traîne comme un fantôme. Il me faut passer cette épreuve afin de me libérer de son emprise. Avec un sentiment pénible de culpabilité et de tristesse je me replonge à l’intérieur de ce que nous étions, des enfants.








12 ans, les contes de fées ont laissé place à la dure réalité. Cela fait trois ans qu’Ellias a disparu, mais je sais qu’il reviendra c’est un homme de parole. Privé du meilleur professeur, je m’entraîne seul en attendant. Je ne m’autorise aucun répit, c’est l’adrénaline du combat qui me fait vivre et mourir un peu plus tous les jours. Chaque année, à la même date et à la même heure je me rends sur les ruines de nos rendez-vous avec l’espoir de le voir apparaître. C’est un endroit secret qui me procure un bien-être indéfinissable. Loin des angoisses du château je peux passer des heures à m’exercer, me nourrissant uniquement du silence. Un silence très vite rompu par une de ces tornades blondes qu’on rencontre parfois en forêt. Anna. Anna est la fille la plus étrange que je connaisse. Je crois qu’elle s’est blessée en tombant de l’arbre et me précipite pour l’aider, mais elle se met à rire et ses cheveux pleins de feuilles lui donne un air de sorcière. Une vraiment très jolie sorcière. Anna est ma cousine issue de germain, nous sommes nés ensembles pour ne plus nous quitter. Notre mariage est arrangé, mais il me semble que je l’aime depuis toujours. A elle non plus je ne peux rien cacher, elle me connaît mieux que tout le monde y compris moi-même. Elle sait comme j’ai peur pour Ellias. Anna voudrait que nous partions tous les deux à sa recherche, elle a même récoltée des noisettes pour le voyage ! Cette petite fille m’apaise et m’attendrit, je n’ai pas besoin de jouer les gros durs en sa présence, je suis simplement moi sans mon épée, un garçon timide et renfermé. Elle me sourit, un miracle dans mon cœur je me réchauffe. Si elle n’est pas une sorcière, je la soupçonne d’être un peu magicienne. Pris d’une euphorie soudaine j’attrape sa main et bégaye une demande en mariage si maladroite que la petite blonde se tord de rire avant de m’embrasser. J’ai douze ans lorsque j’épouse Anna pour la première fois.

Les années passent et défient nos liens, mais rien ne nous sépare, Anna est indispensable à ma vie. A présent devenu un homme je n’ai gardé de l’enfance que ces yeux d’amour pour elle, une noisette et cette fleur que je dépose dans les cheveux de ma belle. Cela me donne l’impression de retrouver la petite-fille qu’elle n’est plus, où qu’elle cache avec précaution derrière ses aires de maman. Je ne peux détacher mes yeux de sa beauté, subjugué par le bonheur qu’elle m’offre chaque jour depuis que nous sommes mariés. De cette union est née une petite fée des bois prénommée Evy. Le regard porté sur cette enfant je prends conscience que je suis entrain de vivre les plus beaux moments de mon existence. C’est à travers les yeux de ma fille que je me sens véritablement vivant et entier. Et la guerre aura beau me guider au plus loin de leurs bras, elles savent que je serais toujours là pour veiller sur elle et les protéger. Elles se trompent.

Bien vite l'hiver nous apporte le froid, avec lui son lot d'effroyables nouvelles. 1966, les Français ont envahi le Nord du pays de Galle. Ils se dirigent à présent vers Caerdydd, une ville en bordure de rivière un point stratégique d’où nous avons ordre d’attaquer. Il va falloir traverser la glace, beaucoup d'entre nous mourront pris au piège de leur propre stratégie. Tout comme mon père autrefois je me dois d'accomplir mon devoir, celui d'un chevalier hardi, honorable et fier. Ce qui signifie partir, laisser seules ma femme et ma fille. Cette simple pensée m’est insupportable. Lorsque je m’apprête à passer la grande porte c'est l'image de ce père absent qui revient me hanter. Peut-être souffrait il autant que moi de cette impuissance, peut être que je comprends mieux aujourd'hui ses silences. J’ai troqué mon costume d’époux contre une armure glaciale, il me semble qu’Evy ne me reconnaît plus. Mon cœur se brise au son de ses pleurs, mais je ne laisse rien paraître. Je dois leur montrer que je suis fort. Sur l’oreiller j’ai déposé une de ces fleurs bleues que je lui cueillais lorsque nous étions petits, je sais qu’Anna la regardera faner jusqu’à mon retour. Sans leur dire que je les aime, j’embrasse ma femme et ma fille et je les regarde disparaître. Bien vite leur silhouette s’efface dans le lointain, elles ne sont plus qu'un mirage, elles ne seront plus jamais que des ombres.

La bataille que je me livre à moi-même est plus douloureuse qu’un coup d’épée, c’est celle d’un homme esclave de ses principes et de sa loyauté, qui par devoir choisi la voix du chaos plutôt que celle du cœur. Je suis une arme de chair et de sang et j’ai laissé mon âme au chevet de ma famille. Un cadavre bravant la faux avec une lame d’argent, voilà ce que je suis devenu, voilà ce que je resterais. Nous avons perdu cette guerre, il ne reste plus qu’un homme au milieu des décombres pour contempler son erreur, mon horreur. Est-ce la honte ou le regret qui me brûle l’estomac ? Pourquoi suis-je encore en vie ? Il faut à tout prix que je me relève, que je retire cette flèche de mon genou, mais le sang jaillit de la plaie dès lors que je fais le moindre mouvement. Je me relève après un effort surhumain et parcours quelques kilomètres en apnée, proche de l’évanouissement. Ce qui reste du paysage, ce sont des ruines quelques cadavres et des poussières. Ici même les arbres sont mutilés, il n’y a plus rien de vivant si ce n’est ce corps en lambeau que je trimballe comme un boulet. Soudain la peur m’assaille, elle se fait plus pressente lorsque j’aperçois au loin les vestiges de mes racines. Pembrock est en train de mourir et c’est toute mon existence, ce pourquoi je me suis toujours battu et ce pourquoi je respire qui se dérobe sous mes yeux. Je vais rentrer chez moi et je pense, Evy ne doit pas me voir dans cet état, je vais lui faire peur avec la terre sur mes yeux et se sang sur mes mains. Boitant à travers les décombres, le regard fixé droit, je m’accroche à cette pensée pour ne pas perdre la raison.

Soudain le silence. Je n’entends plus que mon cœur qui bat, qui explose à l’intérieur et muet d’horreur face à cette nouvelle mort je me fraye un chemin vers ce qu’il reste de nous. Mes jambes que je ne contrôle plus me portent à travers la fumée d’un château que je ne reconnais pas. Dans la chambre d’Anna il y a cette fleur que je piétine maladroitement. Je me baisse pour la ramasser et mon regard est attiré par deux formes sous le lit. Je voudrais crier, mais je suis incapable de former le moindre son et la douleur gonfle à l’intérieur de moi étouffante. Je ne respire plus, tremblant du bout des doigts je caresse le visage sans vie d’Anna. À côté de sa mère Evy dort pour toujours. Je reste là des heures, immobile, impuissant. Heurté aux parois du désespoir la tristesse laisse très vite place à la colère. La haine me dévore, elle fait de moi un animal. Guidé par cet instinct qui m’ordonne de me venger, je me relève et parcours la lande sans m’arrêter. Au loin une escouade de chevaliers m’attend. Ils ont déjà brandi leurs armes et je n’ai que des poings, mais quelque chose d’invisible m’entraîne. Je me débats jusqu’au dernier souffle, il ne se fait pas une seconde sans que je pense à elles. Au moment de partir, je sens comme une vague chaleur parcourir mon corps. C'est une mort tendre, presque sensuelle qui m'emporte et je me laisse faire paisiblement fin prêt à quitter ce monde de désolation...







Renaître, se battre, recommencer, nouvelle chance ou un châtiment inéluctable ? Je suis bel et bien mort cette nuit, mais s’était sans compter sur la présence d’un vampire qui jeta son dévolu sur ma pauvre carcasse démolie pour me faire sien. Je suis devenu un monstre et cela je le dois à un seul homme, Sir Seth Bridgestone. Comme un enfant qui découvre le monde je me suis relevé, assoiffé de comprendre. J’ai bravé des années de deuil, un combat sans trêve en quête de soi et je me suis oublié dans l’obscurité. Je n’étais qu’une ombre parmi les ombres, incapable de me contrôler. Je me suis perdu. Guidé par mon Sir et suite à des décennies de voyages à travers le monde, j’ai finalement trouvé ma place parmi les autres vampires sur l’île d’Heartkiller. Neuf-cent ans n’ont pourtant pas suffis à ce que j’accepte ma condition d’être demi mort et je me sens toujours en marge de ceux de mon espèce. Avec le temps j’apprends à m’ouvrir aux autres, je profite au maximum de cette nouvelle vie qui s’offre à moi et de ces nombreux mystères. Sur l'île je reste un élément discret, mais impitoyable. En tant que second en chef de l'armée, je veille à la sécurité des Bridgestone. Je n’ai jamais quitté Seth, et bien que je l’aie d’abord haï pour ce qu’il m’a fait, ce vampire est devenu l’être le plus cher à ma vie. Je l’admire, le respecte et le considère comme mon propre frère. Il existe un lien entre nous si délicat et pourtant si fort qu’il en est indestructible. Le chevalier noir et son faucon. Je ne saurais dire exactement pourquoi je me sens si proche de lui, je crois simplement que nous nous comprenons. Seth est la seule personne en qui j’ai confiance, il sait aussi qu’il peut compter sur moi, car j’ai promis de le servir et de l’honorer jusqu’à ce qu’un pieu nous sépare.

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