« Qu'est la vie humaine en ce monde inconstant ? Rien qu'un instant. »

Comme la plupart des vampires âgés de plus d'une centaine d'années, je n'ai pratiquement aucun souvenir de ma naissance « humaine ». Cela peut paraître normal et avons-le, ce n'est pas très intéressant. Pour le peu que je m'en souvienne, ma venue au monde était très attendu par toute la famille Notthingham. Mes parents possédaient une modeste maison dans la région de Suffolk en Angleterre, à Ipswich. L'éducation de l'époque était relativement sévère : mes parents ne cédaient jamais à mes caprices. Mon père disait même que le seul moyen de devenir un homme accompli était de se former un caractère dès le plus jeune âge. Aussi j'appris qu'on n'avait jamais rien sans rien, chaque demande se transformant en négociation. J'étais censé être fils unique, mais le destin s'en est mêlé aux alentours de mes 10 ans. J'étais le seul qui sembla accueillir avec un enthousiaste non dissimulé la seconde grossesse de ma mère. Celle-ci fut difficile, elle était très malade et bien qu'elle fasse de son mieux pour rester forte, elle resta clouée au lit pendant les derniers mois de sa grossesse. Cependant, à la vue de la magnifique petite fille dont ils avaient hérité (du nom d'Eldearde), mes parents furent ravis. Malgré mon jeune âge, je m'occupais toujours de mon adorable sœur dans la joie et la bonne humeur, heureux de pouvoir exercer une certaine influence sur elle. Au fil des années, nous étions devenus très soudés ; chose que nous ne montrions jamais vraiment. Seulement, certains événements ne vous permettent pas de mentir ; la tristesse dans laquelle je fus plongé lorsque ma sœur tomba malade prouvait mon grand attachement à son égard. Cela faisait plusieurs jours qu'elle ne mangeait pas, qu'elle ressentait une chaleur insoutenable dans les jambes et que son état de fatigue était intense. Lorsqu'elle put enfin voir des médecins, elle était dans un coma profond. Apparemment, elle avait développé une maladie très rependue à l'époque. D'après l'avis des soigneurs, si elle passait la nuit, ses chances de survie seraient bonnes, mais le traitement nécessaire plus qu'onéreux. La famille avait pris la décision de faire de gros sacrifices et permettre à la petite de se rétablir convenablement. Malheureusement et selon les dires de mes parents à cette époque, ma petite sœur n'avait pas survécu. Je n'avais même pas pu la voir une dernière fois, car c'était soit-disant « trop difficile à supporter». Après ce tragique incident, la vie n'était plus du tout la même. Plus personne n'a jamais parlé d'Eldearde, ce mot était même proscrit à la maison.
Vient ensuite une période plutôt floue entre mes 12 et 27 ans, où je ne me souviens de rien d'extraordinaire ; je suis presque certain d'avoir fait des études, mais de quoi, je ne saurai le dire. Le deuxième événement marquant de ma vie humaine est sans nul doute la révélation de mes parents à l'aube de mes 28 ans. Je me souviendrai toujours de leurs visages à la fois gênés et profondément navrés. Ils m'ont fait asseoir solennellement, face à eux, et mon père a commencé à parler. Cela remonte à tellement longtemps que les détails restent abstraits, mais deux morceaux de phrases resteront à jamais graver dans ma mémoire : « ta sœur est toujours en vie » et « nous n'avions pas les moyens de subvenir à son traitement, le médecin a bien voulu la soigner à condition qu'il adopte sur-le-champ, en toute discrétion » sa femme et lui rêvaient soi-disant d'un enfant depuis longtemps, mais étaient dans l'incapacité d'en engendrer. Malgré toutes les explications de mes parents, comme quoi l'enfant était bien élevé, en bonne santé, aimé etc.. je n'ai pas supporté ce mensonge. Pourquoi avoir avoué leur avais-je demandé ? Car ce secret pesait trop lourd sur la conscience de ma mère...
Et c'est ainsi qu'à 28 ans, je quittais le domicile familiale à la recherche de ma sœur.




« Il n'y a pas de mauvaise route, il n'y a que des mauvaises rencontres »

#FLASH BACK#
Je suivis la piste d'Eldearde à travers toute l'Angleterre, allant même jusqu'à me retrouver en Écosse, en plein cœur de la guerre d'indépendance de celle-ci. Finalement et en attendant la fin des hostilités, j'avais décidé d'intégrer l'armée de Sir William Wallace, où j'appris comment me battre et manier les armes en tout genre.

Après deux victoires bien méritées, l'ensemble des troupes s'était réuni dans un pub au coin d'une rue sombre. L'uniforme avait le don d'émoustiller les femmes et rares étaient les soldats qui ne profitaient pas d'une nuit en bonne compagnie. Ce soir-là, je n'avais d'yeux que pour une sulfureuse blonde adossée sur le comptoir. Tous les hommes tournaient autour d'elle, venaient tâter le terrain, mais visiblement elle refusait toute compagnie. La tête haute, le corps mince, les hanches étroites, les jambes longues et fines, j'avais moi aussi décidé de tenter ma chance. Je ne sais pas si c'est mon regard pénétrant ou mon magnétisme soi-disant irrésistible qui l'a convaincu, mais après quelques formalités, la mystérieuse créature m'entraîna dans une des chambres à l'étage. À la fois surpris et attisé, il fallut peu de temps pour que nous nous livrions à un plaisir déroutant. En plein ébat, les yeux de mon amante devinrent soudain entourés de rides sanglantes et son visage s'approcha dangereusement de ma jugulaire.
Les tentatives pour me débarrasser d'elle étaient toutes vaines et ses crocs se plantaient dans ma gorge, distillant leur poison dans mon corps, subtilisant son essence vitale. La vie m'échappait tandis qu'elle se gorgeait de mon sang en émettant des bruits de succion qui, peu à peu, me paraissaient de plus en plus lointain. Je l'entendais toujours me parler sans qu'elle ait besoin d'utiliser sa voix, prenant un plaisir pervers à me faire savoir que j'avais un goût exquis. Abandonner par mes forces, je me sentais lentement glisser dans un gouffre obscure et vide, n'attendant plus rien sinon la fin. Il y a pire que mourir : il y à se réveiller en proie à des crampes qui vous donne l'envie de vous arracher les boyaux pour la faire taire, en proie à la certitude que si elles continuent à vous faire souffrir, vous allez devenir fou, prêt à vous jeter par la fenêtre pour y mettre un terme. Elles ne semblaient se calmer que pour revenir encore plus violentes et j'avais beau me tourner, changer de position, hurler en me frappant le ventre, elles me torturaient avec indifférence. Au vampire qui poussait la porte de ma chambre chaque matin et chaque soir, déposant un verre de couleur sombre sur la table de nuit, je réclamais toujours la même chose : Qu'elle m'achève et me libère. Celle-ci refusait invariablement et j'enrageais entre me tordant de douleur sans écouter ce qu'elle pouvait me dire. Combien de temps encore avant qu'elle soit satisfaite ou se lasse de me voir souffrir ? Je me perdais dans le temps jusqu'à ce que les crampes s'atténuent et s'espacent suffisamment pour me laisser réfléchir. Je devais être mort et pourtant, j'étais capable de penser, de bouger, de ressentir la douleur.
Je tentais de me lever quand la porte s'ouvrit sur la vampire qui m'avait mordu, la regardais avec méfiance reprendre le verre auquel je n'avais pas touché pour en déposer un autre. Elle prenait place sur un siège et je m'asseyais au bord du lit sans la quitter du regard. Elle prenait son temps pour m'expliquer pourquoi j'avais mal et pourquoi elle ne voulait pas m'épargner la souffrance qui était mienne. Je l'écoutais en silence, avec l'impression que ce n'était pas la première fois que j'entendais prononcer ces mêmes paroles. Elles mettaient du temps à prendre un sens dans mon esprit, mais lorsque je comprenais ce qu'elle attendait de moi, j'attrapais le verre sur la table et lui jetais au visage en criant : « Jamais ! » Le verre s'éclatait sur le mur, son contenu se répandait le long de celui-ci sans qu'il n'ait un seul battement de cils.
Je refusais le sang qu'elle continuait de m'apporter pendant deux jours encore, jusqu'au moment où les crampes revenaient plus violentes que les premières. J'aurais aimé avoir le courage de les subir jusqu'à ce que la mort m'emporte, mais j'en ai manqué et fini par porter à mes lèvres le verre qui n'attendait que d'être vidé. Malgré le dégoût que le liquide m'inspirait, le mépris que je m'inspirais à moi-même pour le boire en sachant d'où il provenait, je n'en laissais pas une goutte et mes boyaux cessaient de me torturer. Quand elle revenait le matin, elle jaugeait le verre vide avant de tourner les yeux sur moi sans rien dire, se contentant d'incliner légèrement la tête et de le remplacer par un autre avant de sortir. Je bataillais longtemps contre l'envie que m'inspirait son contenu, lui tournant le dos et cherchant à m'abrutir de pensées inutiles pour l'oublier, mais la soif était la plus forte et je le vidais à son tour en éprouvant plus de soulagement que d’écœurement. À son retour en début de soirée, elle m'apportait des vêtements en plus d'un autre verre et contrairement à l'accoutumée, elle s'attardait sur son siège, m'observant avec ce regard séducteur qui m'avait tellement plu la première fois. Rageur, je lui demandais pourquoi elle ne m'avait pas laissé mourir et la voyais sourire de la même façon que dans le lit cette fameuse nuit. « Quel gâchis de ne pas offrir l'éternité à un si beau visage. À présent tu es mien et tu le seras pour toujours... Je m'appelle Lisette, mais pour toi ce sera Belle Morte. ».
#FLASHBACK#



« Le trop de confiance attire le danger »


Je m'étais offert au monde de la nuit prématurément, peut être trop prématurément. Aux côtés de Belle Morte, j'appris à me nourrir et développer mes capacités vampiriques. Malgré toute la rancune que j'éprouvais à son encontre, je lui étais totalement soumis. Pour autant, le contrôle de ma soif de sang devenait de plus en plus ingérable. Je sentais une rage et une cruauté immerger de mon corps, comme si ma transformation avait brisé toutes les barrières de mon self-control. Je semais mort et carnage dans chaque village, les uns après les autres. Humains démembrés et vidés de leur sang offraient un tableau qui m'insufflait satisfaction. Le sang coulait à flot autour de moi et malgré l'intransigeance et l'autorité de Lisette, cela ne calmait en rien ma férocité. Je devenais incontrôlable avec une soif meurtrière. Mes écarts et excès de rage ne s'atténuaient pas, ce qui contribuait à attirer l'attention sur nous et elle fut bientôt dans l'obligation de me céder à un autre vampire, Julian. Comment respecter un maître qui n'est même pas capable de sauver son enfant ? Qui le jette comme un vulgaire pantin désarticulé dans les bras de quelqu'un d'autre..? Je n'ai pas supporté son envie de m'abandonner, après toutes ces années passées ensemble, après ce qu'elle m'avait fait subir sous prétexte d'être trop beau pour mourir de vieillesse. Je suis mort sous son corps, ce n'était que justice qu'elle meurt à son tour sous le mien. Les siècles de confiance s'étaient évanouis et je ne supportais plus sa prétendue autorité maternelle. Je n'avais pas embrassé le pouvoir et la liberté pour être entravé et dirigé par quelqu'un d'autre. Ce fût durant le siècle des Lumières que je commis le crime ultime pour la communauté vampirique : tuer son créateur. J'avais longuement réfléchi à comment procéder, sachant que peu de temps me serait compté. Finalement, j'avais tout simplement profité d'un de nos moments intimes pour lui planter un couteau dans le dos -tout comme elle plusieurs siècles plus tôt-. J'avais sans grande peine fait acquisition d'un pieu en bois d'aubépine ; je me souviens encore avoir enfoncé cette arme fatale sans aucune pitié, gagné par un désir de vengeance sanglant. Pour être sûr qu'elle soit belle et bien morte, j'avais également coupé sa tête avec une des épées qui trônait fièrement au-dessus de la tête de lit. J'étais conscient de m'attirer les foudres de l'autorité vampirique et en quelque sorte, être traqué jusqu'à la fin de mes jours, mais j'étais enfin libre de cette chienne sans cœur.
Parcourant le monde, décimant des villages en bain de sang, il était facile de manipuler les humains et de me nourrir de leur vie. Je prenais un plaisir monstre à séduire les hommes comme les femmes, rythmant ma vie de meurtre et de sang. Mais cette dernière ne fit que m'attirer des ennuis; provoquant les foudres de la monarchie anglaise, de chasseurs et autres créatures. J'étais de surcroît devenu une cible potentielle pouvant mettre en danger l'existence de cette race qui devait rester dans l'ombre. Je fus bientôt contraint de m'enfuir et modérer mon accès de violence. Je pris la décision de m'installer dans la profonde Italie, à Tarante. Là-bas, la vie redevint un peu plus paisible, sachant que personne ne me connaissait. J'appris ainsi à devenir discret et contrôler ma soif de sang.
Aux alentours de 1600, j'ai vécu pendant une vingtaine d'année en ménage à trois avec un autre vampire nommé Asher et sa servante humaine Julianna. Que représente 20 ans dans la vie d'un vampire ? Rien du tout, mais nous avions tout de même noués des liens puissants. Ce ménage prit malheureusement fin quand Asher et Julianna furent capturés par les prêtres de l'Inquisition. Je me suis donné corps et âme pour sauver les deux nouveaux êtres chers de ma vie, mais je n'ai réussi qu'à secourir in extremis Asher, défiguré « à vie » par de l'eau bénite. Julianna n'a pas connu cette chance et a été brûlée vive comme sorcière, en quelque sorte par ma faute. Depuis ce jour, je me suis promis de ne plus faire souffrir les gens que j'ai le malheur d'aimé. Après ce drame, Asher m'en voulu à mort et fut rongé par la haine.. Nous nous sommes tout bonnement séparés et c'est à ce moment-là que j'ai décidé de prendre ma vie en main, de fuir là où était ma place, là où personne ne me chasserait ou rêverait de me massacrer.




« Les départs donnent souvent l'illusion d'une renaissance. »
Heartkiller... le son d'une douce délivrance. Les rumeurs courraient qu'une île située au large de l'océan atlantique abritait une communauté vampirique secrète. Cette dernière avait choisi le mythe du triangle des Bermudes comme alibi pour expliquer les mystérieux phénomènes à son encontre. Cette échappatoire semblait être l'endroit rêvé pour prendre un nouveau départ et surtout, pour trouver le refuge adéquat. Armé d'une nouvelle identité ainsi que d'une histoire bien ficelée, toutes les conditions étaient réunis pour que je réussisse ma mission avec brio. J'avais troqué le nom de Nottingham pour quelque chose de plus diversifié : Blackwood. Pour ce qui était de mon passé tumultueux, j'avais opté pour du typique chez les vampires : une femme séduite qui se révélait être un vampire était à l'origine de ma transformation, elle m'avait ensuite laissé à mon triste sort et cetera. En soit, ce n'était que la vérité un poil nuancée...
Mon arrivée se déroula sans encombre ; l'île était de bonne augure pour les vampires considérés comme nobles. Mon changement de vie fut tellement radical que j'eus beaucoup de mal à prendre mes marques. Au fil des années, voire des siècles, j'avais appris à constamment me retourner pour être certain de ne pas être démasqué, ne jamais rester plus que quelques mois dans la même ville, éviter à tout prix de s'attacher... Finalement et après une période d'adaptation plus rapide que prévue, j'avais décidé de prendre mon « nouveau moi » en main. Ayant un passé actif dans l'armée, mes capacités en tant que soldat n'étaient plus à démontrer. À tout hasard, j'avais postulé pour intégrer l'armée de Seth Bridgestone, un des membres de la famille à la tête d'Heartkiller. Même si j'ai souvent eu des problèmes avec l’autorité, je considère la famille Bridgestone avec beaucoup de respect. Que ce soit pour leur principe de séparation des pouvoirs, leur impartialité ou leur rectitude, les frères et sœurs imposent une considération légitime. De plus, cela revenait être le meilleur moyen de me fondre dans la masse sans trop attirer l'attention. Dorénavant, je ressens l'intime besoin de protéger ma nouvelle patrie et en quelque sorte, ma nouvelle famille. Tout semblait être enclin à me permettre de poursuivre une vie paisible.. Néanmoins, une rencontre fortuite eut le don de bouleverser toutes mes convictions.


Pour réussir cette mission-suicide, je compte user de mon courage à toutes épreuves et de mon besoin imérieux d'agir. Ma discrétion et mes talents d'observateur sont des plus qui me seront d'une grande utilité. Je n'aime pas la facilité: c'est au contraire la difficulté qui me fascine et en quelque sorte, me donne des ailes. Et puis comme un célèbre dicton le dit : « la difficulté attire l'homme de caractère ». Si je devais monter au sommet d'une montagne, je choisirai sans conteste la pente la plus raide pour y accéder. Je considère mon sens moral relativement douteux et la plupart du temps, je ne m’embarrasse guère de scrupules. Tout ce qui me donne l'occasion d'agir est une justification morale suffisante. Jouer sur tous les tableaux n'est pas un problème si cela peut me permettre de ne pas me faire repérer. Oui, je sais, pas toujours facile à gérer le bouquetin et cela me pose parfois quelques problèmes de discipline ! Égoïste ? Bah, parfois peut-être. Mais je préfère quant à moi parler d’indépendance, d’autonomie et de soif de liberté. On me dit autoritaire mais n’est-ce pas la meilleure façon de pouvoir faire ce que l’on veut ? En cas de conflit, ma personnalité bouillonnante et mon entêtement prédisposent généralement à la colère. En effet, ma réaction première à une éventuelle crise me conduit à être furieux ou brutal. Mais cet emportement est très vite remplacé par un besoin de comprendre les raisons du problème afin d’envisager une solution, ce qui permet d’accéder à de nouvelles perspectives, à de nouvelles visions des situations.