Deux mois plus tôt, La Nouvelle-Orléans.

Un bruit de chaînes retentit dans la cave et me tire de mes pensées. Je me relève de ma chaise et m'approche de mon "invité". Celui-ci commence déjà à s'agiter et à grogner. Ben voyons. Il peut toujours essayer de se libérer, le bougre. Je n'ai pas lésiné sur les chaînes quand je l'ai accroché à ce pilier. Oh, ça y est, il se rend compte de ma présence. Il montre les crocs. Je l'ai vraiment foutu en rogne, il faut croire, pour qu'il exhibe à ce point sa vraie nature. Je souris et le regarde droit dans les yeux.

- Salut, John. Ou William ? Je m'y perds un peu, parmi tous tes noms. C'est peut-être Jack ? Ou Nicholas ? Attends, je crois que je s...

- C'est Monsieur O'Connor, pour toi, crevure.

Sans dire un mot, je me dirige vers la table à l'écart, qu'il n'a pas encore remarquée. Dessus ? Tout l'attirail du petit chasseur de vampires débutant. Eau bénite, ail, pieu en bois, sang de mort, argent, crucifix ... tout ce qui, dans une légende, un mythe, même le plus farfelu, est efficace contre les vampires. Je m'empare de la gourde d'eau bénite, et, sans crier gare, l'asperge un bon coup avec. Il grogne, souffre, se met à fumer. Je repose la gourde et reprend mon monologue, sur le même ton posé.

- Ca m'a pris du temps, pour te retrouver, tu sais. Quatre ans et demi. Tu m'auras bien fait courir, pour sûr. Je suis presque déçu. Quatre ans et demi de traque, pour que tu te fasses avoir par un piège aussi primaire. Ton ego tient le coup ? Remarque, s'il encaisse aussi bien que ton corps ...

- Tu sais pas à quoi tu t'attaques, pauvre tâche. Tu te prends pour un héros, c'est ça ? Tu vas purifier le monde des démons qui le hantent ? Tu crois vraiment que les Bridgestone vont te laisser faire ? On va te trouver, te faire la p...

Ce coup-ci, c'est à moi de l'interrompre. Un bon jet d'eau bénite, et il la ramène déjà moins. S'il croit vraiment qu'il va me pousser à bout de la sorte ... Je ne prends aucun plaisir particulier au traitement que je lui inflige. Pas plus que je n'éprouve de dégoût, d'ailleurs. Je dois obtenir quelque chose de lui. Quelqu'en soit le prix à payer. Et pour ça, je dois le briser. Lui et son ego démesuré. Rien de personnel ? Oh, si, au contraire ... Les souvenirs remontent à la surface, entraînant des tremblements imperceptibles. Je me tourne vers la table et choppe la bouteille de whisky qui y traîne. Une gorgée, pas plus, mais la chaleur de l'alcool apaise mes membres. Je m'essuie la bouche avec ma manche et m'intéresse à nouveau à mon invité du soir. Je me penche vers lui, avec un calme et un ton glacials.

- Une interruption, un jet. Je suis clair ? Et pas de "on". C'est entre toi et moi. Personne d'autre. Compris ?

Visiblement, non, vu qu'il recommence à m'insulter et à chercher à me faire sortir de mes gonds. Je soupire devant sa résistance aussi futile qu'éphémère. Bah, de toute façon, il ne sortira pas vivant de cette cave. Et il le sait aussi. Rien d'étonnant à ce qu'il décide de s'offrir un petit baroud d'honneur. Mais il se trompe sur un point. Je ne suis pas un héros. Je n'ai aucune prétention à débarrasser le monde des vampires. Ce qui correspond d'ailleurs à un génocide, d'un certain point de vue. Je ne veux qu'une chose, une seule. Et il n'y a que lui qui puisse me la donner. Oh, il finira par le faire. C'est juste une question de temps. Et de souffrance. En attendant, alors que j'entreprends de lui clarifier un peu les idées à grand renfort d'eau bénite, mon esprit dérive, distraitement. Les souvenirs enfouis continuent à remonter en dépit du whisky ...






Vous vous demandez peut-être comment un Ecossais de pure souche, né à Edimbourg en 1977, dans une famille aisée mais sans prétention, se retrouve trente-cinq ans plus à tard à torturer un vampire à la Nouvelle-Orléans ? Je ne pense pas que c'était ce que mes parents avaient en tête, lorsque je suis venu au monde. Surtout pas mon père, ce médecin humanitaire ... Même maintenant qu'il a pris sa retraite, il reste très attaché au serment d'Hippocrate, à la valeur de la vie humaine, aux Droits de l'Homme, à la tolérance, au respect d'autrui. Autant de valeurs qu'il s'est efforcé de me transmettre. Avec succès, d'ailleurs, même si je sais que ça n'en a pas l'air. Ma mère ... ma mère, je pense qu'elle m'aurait compris. Elle était flic. Du genre à ne pas hésiter à s'écarter de la loi, si c'était pour coffrer une ordure ou protéger des innocents. Une vraie lionne. Je l'admirais beaucoup, étant gamin.

Mon enfance ? Oh, banale. Si, je vous assure. J'ai grandit entre des parents aimants, affectueux, mais peu présents. La faute aux missions humanitaires de l'un et au travail chronophage de l'autre. Je suis allé à l'école, comme les autres gosses, j'ai fait de nombreuses bêtises, comme les autres, je me suis fait de nombreux potes, comme les autres. J'étais heureux et insouciant. La vie était confortable. Je n'étais pas à plaindre, quoi.

J'ai découvert le tir à l'arc vers mes huit ans. Mon grand-père maternel s'en est chargé. Quelqu'un de bourru, mais de chaleureux, à sa manière, et le coeur sur la main. Il s'occupait beaucoup de moi quand ma mère était retenue au poste et mon père à l'autre bout du monde. Et puis, un jour où je m'ennuyais, il m'a emmené dans son atelier. C'était un vrai passionné d'archerie médiévale, et de chasse. Et il m'a refilé ce virus. Je dois encore l'avoir dans un coin, quelque part. Le premier arc qu'il m'a fabriqué de ses mains. En bois d'if, à l'ancienne. Bien sûr, depuis, je suis passé à des versions plus grandes, puissantes, et modernes, mais c'est comme ça que j'ai appris. A l'ancienne, à la dure. Sans viseur, sans palette. Mes débuts ont été pour le moins pitoyable, bien sûr. Mais j'ai persévéré.

L'adolescence ? L'une des meilleures périodes de ma vie. Les sorties entre potes, les parties de chasse avec mon grand-père, ses leçons de tir à l'arc ... Bon, je n'étais pas particulièrement brillant en cours. Sauf en sport. Là, j'étais parmi les meilleurs. Mais alors le reste ... Je m'en fichais un peu, à vrai dire. J'obtenais des résultats moyens, sans trop me forcer, et ça me convenait tout à fait. Au grand désespoir de mes profs. Le fameux "peut mieux faire" ...

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