J'ai probablement été esclave depuis ma naissance. Esclave des conventions, esclaves des qu'en dira-t-on.  Pourtant, je suis née dans une bonne famille, assez aisée. Mais il y avait des règles strictes. Ça ne me disait rien de bon, mais je ne sais pas si respecter ou non ces règles auraient changé la donne. Gamine, je me cachais des gouvernantes, j'en ai fait renvoyer des tas. À l'école, j'étais indisciplinée et déterminer à faire ma loi. Toute jeune, je tapais sur les garçons et j'étais amie avec toutes les filles, que je défendais bravement contre les même garçons que je tapais. La suite n'a pas été meilleure. J'ai fait plusieurs fugues à l'adolescence, j'ai passé des mois et des mois à la rue, coincée dans un quartier chaud et hostile, j'ai du apprendre à lutter, j'ai du apprendre à me défendre, mais aussi à souffrir et encaisser sans me plaindre. Beaucoup de moments de ma vie ont été effacés de ma mémoire, soit par certaines drogues, soit par la douleur, mais à voir certaines de mes cicatrices ou le souvenir de blessures et de sévices me donnent de bonnes idées de ce que j'ai parfois encaisser. Certains jours, je me suis réveillée si mal en point, si douloureuse que je me dis que c'est une bénédiction d'avoir oublié certains détails. Je ne regrette pas ces vides de quelques heures de mon passé. J'ai pourtant assisté à tant d'autres que j'aurais préféré oublier. Mais je garde certains comme un espoir de vie meilleure.

J'ai eu quelques années de lucidité, il y a 8 ans. J'avais presque reprit une vie normale, suivi des cours. Je tenais entre mes mains mon avenir et j'avais confiance en ce qu'elle semblait vouloir m'apporter. Mon passé trouble avait forgé mon caractère et j'étais déterminée à être forte et à regarder droit devant moi et ne pas me laisser abattre. Foncer dans le tas et devenir quelqu'un. Mais nécessairement, pour devenir quelqu'un, pour être celle qui se trouve devant, il faut laisser certaine personnes derrière et en plus, il faut parfois jouer du coude et en bousculer d'autres. Quelques uns d'entre eux n'ont pas apprécié se faire bousculer. Plutôt que de tenter de me bousculer à leur tour pour passer devant, ils ont préféré m'abattre pour de bon. J'ai peut-être été naïve ou peut-être que j'ai été assez prétentieuse pour me croire invincible, ou que ces choses là ne pouvaient pas m'arriver. Je ne sais plus trop. Ils s'y sont mis à plusieurs, autant hommes que femmes. Ils m'ont laissé, brisée, meurtrie, presque morte, j'aurais voulu l'être, durant un moment. Mais ils n'ont pas brisé ma volonté. Je me suis relevée et j'ai parlé, haut et fort. Ils ont fait front commun, contre moi. Mon passé trouble ne m'a été d'aucun secours, cette fois. Je dirais que mon passé m'a nuit. Ils ont niés, ils ont payés, ils ont mentis. Je me suis retrouvée paria et rejetée de tout mon monde. Mais ils ont créer en moi cette rage et cette colère qui ne s'est jamais éteinte.

Assise sur le siège confortable du pilote du yacht de plaisance, je met le cap directement vers le flou sur la carte. J'accomplis aujourd'hui ma vengeance. Je crois que j'y songe depuis plus de 5 ans et enfin ce jour arrive. C'était avant un fantasme et maintenant, une réalité que j'espère accomplir. Je suis si excitée. Je risque beaucoup, ma vie plus particulièrement, mais je m'en fiche. J'ai vu une chance de quitter ce monde si horrible pour quelque chose de mieux et je risque tout pour l'atteindre. Je suis une survivante et je compte survivre encore longtemps. D'accord, ce n'est pas la liberté et le parfait bonheur, mais je n'en peux plus de cette vie qui ne tient qu'à un fil et surtout à la volonté de types totalement malsains. D'accord, ce que je fais en ce moment n'est pas des plus sain, c'est même tout le contraire. Il y a des dizaines de personnes sur ce yatch et nous allons probablement tous mourir. Ils ne le méritent pas tous, ou peut-être que si. Mais une dizaine d'entre eux ont totalement ruiné ma vie comme je vais ruiner la leur. Je jubile à cette idée, j'espère arriver à entendre leurs hurlements de douleurs, comme j'ai souvent  entendu les miens.

Un frisson d'excitation a parcouru ma colonne vertébrale lorsque je les ai entendu s'acharner contre la porte de la salle principale. Ils ont visiblement compris qu'ils sont coincés là. Je suis à l'abri ici, du moins jusqu'à ce qu'ils trouvent un moyen de défoncer la porte d'acier. Je n'ai pas à m'inquiéter de l'équipage restreint. De un, ils sont de leur bande, alors j'en ai rien à foutre. De deux je les ai tous drogué au sédatifs et j'ai renouvelé la dose il y a une heure. Et ils sont tous enfermés ensemble et le capitaine avec. Je pousse les moteurs à fond et je ressens le grondement des moteurs jusque dans ma poitrine. Les vagues défilent, me rapprochent petit à petit de la liberté que j'ai choisit. Je les entends au loin, qui hurlent des insanités à mon égard, mais je m'en fiche. Il est vrai que pour le moment, je suis tout cela. Et je me fiche pas mal de rôtir en Enfer après ça. Ils y seront avant moi de toute manière, parce qu'il ne leur reste que quelques heures à vivre. Le soleil décline lentement. J'y arriverai à la tombée de la nuit. Ce sera parfait.